THÈMES PRÉKEYNÉSIENS A BROOKINGS
Cette étude est consacrée aux travaux de la Brookings Institution pendant la crise de 1929, en particulier aux analyses de Harold Moulton. Les chercheurs de Brookings virent dans un défaut structurel de demande de biens de consommation, la cause principale de la crise, et, de façon plus générale, l'origine des faibles performances du capitalisme. Ils attribuèrent ce manque de demande à un biais dans la répartition des revenus, à l'avantage des revenus les plus élevés, responsable d'une épargne excessive. Ce pouvoir d'achat insuffisant fut finalement imputé au manque de flexibilité des prix, propre au capitalisme moderne (faisant suite aux transformations de la concurrence qui empêchaient le salaire réel de croître au rythme des progrès de la productivité du travail). Le cadre d'analyse utilisé était, à plusieurs points de vue, similaire à celui de Keynes ou à d'autres cadres keynésiens. L'épargne n'est pas nécessairement investie, et l'investissement est une fonction de la consommation, faisant ainsi écho à l'accélérateur de Harrod. Les principaux thèmes de cette analyse sont bien dans la ligne de l'évolution de l'économie américaine et des controverses qui l'accompagnèrent: les transformations de la concurrence et des lois antitrusts, ainsi que la forte croyance dans le pouvoir de l'organisation et des réformes. Cette attitude réformiste était commune à Brookings et à Roosevelt. Elle contrastait fortement avec l'insistance de Keynes concernant les politiques monétaires et budgétaires, et son rejet des programmes de réforme trop ambitieux, qui ouvrirent la voie à ses idées et permirent finalement leur suprématie.
PRE-KEYNESIAN THEMES AT BROOKINGS
This study focuses on the work of the Brookings Institution during the Great Depression, in particular on the analysis of Harold Moulton. Brookings' researchers identified a structural lack of demand for consumption goods as the central cause of the depression, and more generally of the poor performances of capitalism. This inadequate demand was blamed on a bias in income distribution to the advantage of higher income groups, the source of excess savings. This deficient purchasing power was eventually imputed to the price inflexibility prevailing within modern capitalism (in connection to the transformations of competition which impeded the rise of the real wage along the progress of labor productivity). The framework of analysis was, in many respects, similar to that of Keynes and several Keynesians. Savings are not necessarily invested, and investment is a function of the growth of consumption, thus echoing Harrod's accelerator model. The main themes of this analysis arise from the evolution of the American economy, and the corresponding controversies: the transformations of competition and the antitrust legislation, and the strong belief in the power of organization and reforms. This attitude was shared by both Brookings and the Roosevelt administration. In sharp contrast, Keynes' emphasis on monetary and fiscal policies, and his dismissal of excessively ambitious reform programs, paved the way for the final rise to dominance of his views.
G. Duménil, D. Lévy, "Pre-Keynesian Themes at Brookings", 1999,
in L. Pasinetti, B. Schefold, The Impact of Keynes on Economics in the 20th Century, Edward Elgar : Aldershot, England.
Version complète: Communication to the Conférence Annuelle de la Société Européenne pour l'Histoire de la Pensée Économique, Marseille, 27 Février-2 Mars, 1997
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