D’un confinement à l’autre, l’année 2020 a été marquée par des variations importantes dans l’évaluation que les Français ont de leur bien-être. Alors que le mois de juin marquait un point haut pour la plupart de nos indicateurs, décembre 2020 – avec une enquête intégralement conduite pendant le second confinement, marque un repli par rapport à juin.
D’un côté, les dimensions relatives à l’état émotionnel semblent très fortement affectées par la situation de confinement : anxiété face à la situation sanitaire, isolement relationnel forcé, arrêt d’un grand nombre d’activités pèsent sur le bien-être des ménages. D’un autre côté, la satisfaction à l’égard du niveau de vie, reflétant plus les conditions matérielles, ou encore celle à l’égard du travail restent relativement élevées. Ainsi, si la satisfaction dans la vie, qui combine tous ces éléments, se replie nettement, il ne fait pour l’instant que retrouver son niveau moyen d’avant la pandémie.
Ces mouvements opposés des différentes composantes du bien-être suggèrent ainsi que l’épidémie a rendu plus saillantes les dimensions non-matérielles du bien-être, en particulier le rôle joué par les relations sociales.
Mathieu Perona, directeur exécutif de l’Observatoire du Bien-être du Cepremap, mathieu.perona@cepremap.org
Tableau de bord
En mars dernier, notre tableau de bord pris juste avant le premier confinement montrait une situation subjective encore peu affectée par l’épidémie. Celui de juin, en plein déconfinement, faisait apparaître une forte amélioration des indicateurs, bien au-dessus des moyennes historiques. Elle a été suivi d’un repli partiel en septembre, à des niveaux qui restaient toutefois historiquement hauts, comme si la satisfaction d’avoir échappé au confinement avait laissé une trace profonde. L’image que nous prenons en décembre est celle d’une France qui subit un ressac profond. Elle a été prise, dans les dernières semaines de son second confinement, l’enquête ayant été menée du 25 novembre au 15 décembre.
Cet instantané (Tableau 1) renvoie une double image de la situation subjective. À court terme, si on compare la situation de décembre à celle de juin, on constate un fort repli de la plupart des indicateurs. En adoptant une perspective plus longue, en comparant décembre 2020 à décembre 2019, ce repli apparaît largement comme une retour sinon à la normale, au moins à la gamme de valeurs observées depuis le début de notre enquête en 2016.
Dimension | Moyenne de 0 à 10 | ||
Grandes dimensions | Dec. 2019 | Dec. 2020 | |
Satisfaction de vie | → | 6,6 | 6,5 |
Sens de la vie | ↗ | 7,1 | 7,2 |
Bonheur | → | 6,8 | 6,7 |
Anxiété et dépression* | ↘ | 2,0 | 2,3 |
Santé | → | 7,0 | 7,0 |
Niveau de vie | ↗ | 6,5 | 6,8 |
Comparaison avec les autres Français | ↗ | 6,6 | 6,7 |
Perception de l’avenir | |||
Vie future (personnelle) | → | 5,9 | 5,9 |
Prochaine génération France | → | 4,0 | 3,9 |
Prochaine génération Europe | → | 4,3 | 4,1 |
Proches et environnement | |||
Relations avec les proches | → | 8,1 | 8,12 |
Gens sur qui compter | → | 7,5 | 7,5 |
Sentiment de sécurité | → | 7,1 | 7,1 |
Agression ressentie* | ↗ | 1,9 | 1,6 |
Travail et temps de vie | |||
Satisfaction au travail | ↗ | 7,2 | 7,4 |
Relations de travail | → | 7,0 | 7,2 |
Équilibre des temps de vie | → | 5,8 | 5,8 |
Temps libre | → | 6,5 | 6,4 |
Dans l’ombre du confinement ?
La satisfaction dans la vie, qui constitue la principale synthèse de l’appréciation du bien-être subjectif, affiche une moyenne de 6,5, en recul par rapport à un et septembre, mais à un niveau comparable à celui de décembre (Figure 1).
Contrairement aux deux derniers trimestres, il est partagé par l’ensemble des classes de revenus. Parmi les autres indicateurs, on retrouve ce constat dans les composantes reflétant l’état émotionnel et relationnel des répondants à notre enquête. C’est ainsi le cas de la réponse à la question « Vous êtes vous senti heureux hier », où le repli a été particulièrement marqué pour les femmes de notre échantillon (Figure 2), le fait de se sentir déprimé ou l’évaluation des relations avec les proches.
Dans ce dernier domaine, nos constatons que les évaluation des 17-44 ans et celle des plus de 65 ans chutent plus lourdement que celle des 45-65 ans, ce qui suggère un impact différencié de la situation de confinement sur les relations sociales.
Nous voyons également l’effet du confinement dans le repli des opinions sur l’équilibre des temps de vie – qui ne revient cependant qu’à son niveau habituel depuis 2016, mais surtout sur la satisfaction à l’égard de son temps libre (Figure 3). Cette baisse de la satisfaction à l’égard du temps libre apparaît logique en situation de confinement.
Plus précisément, le confinement a eu deux conséquences principales sur l’utilisation du temps libre. D’une part, il a limité nos interactions sociales, tant celles liées au travail que les rencontres avec les amis ou la famille. D’autre part, il a limité l’accès à des activités pratiquées en milieu fermé (cinémas, musées, salles de sport). Ces deux dimensions ne sont évidemment pas mutuellement exclusives : on peut aller au cinéma entre amis, ou au restaurant en famille. Il semblerait logique que certaines catégories de personnes, par exemple celles en milieu urbain, soient plus dépendantes des activités en milieu fermé, et donc souffrent plus de cette perte d’opportunité. Dans notre enquête cependant, la baisse de satisfaction vis-à-vis du temps libre est très similaire quel que soit le type d’agglomération de résidence, la classe de revenu ou la génération. Cette similarité suggère que ce que nous mesurons ici tient d’abord à la perte des interactions sociales.
Une appréciation de la situation matérielle qui résiste
Par contraste, les métriques plus appuyées sur la situation matérielle et professionnelle résistent mieux. Par exemple, l’appréciation du niveau de vie reste à un niveau assez élevé comparativement aux années précédentes (Figure 4). Jusqu’en juin 2020, cette appréciation du niveau de vie avait évolué de manière parallèle à la satisfaction dans la vie en général. Il est donc intéressant de constater le décalage au cours des deux derniers semestres : la crise sanitaire semble avoir mis en relief l’effet des facteurs non-matériels de la satisfaction dans la vie.
De même, la satisfaction à l’égard du travail reste stable. Depuis juin, l’opinion des enquêtés à l’égard de leur travail s’est ainsi installée au niveau le plus élevé observé depuis le début de notre enquête. Malgré des conditions inhabituelles, qu’il s’agisse de télétravail ou de protocole sanitaire, le travail demeure ainsi un point d’ancrage. Peut-être permet-il aussi le maintien d’une forme de sociabilité, ainsi qu’en atteste aussi le niveau assez élevé de la satisfaction à l’égard des relations de travail.
L’enquête servant de support à notre plate-forme de questions est l’enquête de conjoncture auprès des ménages de l’Insee1. L’élément-clef de cette enquête est l’indicateur synthétique de confiance des ménages construit à partir des avis des personnes interrogées sur les perspectives économiques de leur foyer et du pays. De 2016 à la mi-2019, la satisfaction dans la vie et cet indice ont évolué de manière assez parallèle, y compris au cours des périodes électorales ou la crise des Gilets jaunes.
Depuis la mi-2019 et surtout le début de 2020, les trajectoires se distinguent nettement (Figure 5). Avec la crise sanitaire, l’évaluation que les Français font de leur vie a donc divergé de celle qu’ils portent sur leurs perspectives économiques.
Une crise perçue comme temporaire
En juin, l’évaluation que les personnes enquêtées faisaient de leur vie pour les prochaines années avait en partie suivi l’amélioration post-confinement. Cet indicateur s’est replié en juin, et à nouveau en septembre. Ce repli ne fait toutefois que ramener cet indicateur à proximité de sa moyenne depuis 2016, comme si l’épidémie n’affectait pas profondément la conception du moyen terme – ce qui peut signifier en particulier que les répondants n’estiment pas que la situation conduise à une crise économique profonde ou durable.
Au niveau collectif, on retrouve l’évaluation assez pessimiste des perspectives de la prochaine génération en France qui avait marqué 2019. Il ne va de même lorsque la question est élargie à l’échelle européenne.
Quel impact des confinements ?
Les enquêtes de conjoncture ayant lieu trimestriellement, nous n’avons que des éléments limités sur les effets du confinement proprement dit. Toutefois, nous pouvons mettre nos observations en regard des données collectées par Santé Publique France dans son enquête CoviPrev, dédiée au suivi de la santé mentale pendant l’épidémie. Commencée fin mars 2020, cette enquête comporte une question sur la satisfaction dans la vie comparable à celle que nous utilisons.
La comparaison des deux séries met en évidence qu’en juin et en septembre, les niveaux de satisfaction dans la vie mesurés par les deux enquêtes sont très similaires. On observe cependant un décalage marqué entre notre vague de mars 2020, juste avant le confinement, et la première vague de CoviPrev (23-25 mars, au tout début du confinement). Il est possible que le caractère nouveau et anxiogène de cette mesure ait affecté l’évaluation que formaient les personnes interrogées dans les tous premiers jours du confinement. Avec le temps, les répondants ont pu s’habituer à cette situation et se rassurer tant à l’organisation de leur travail qu’à l’évolution de l’épidémie. On constate d’ailleurs qu’il n’y a pas eu de chute très marquée à l’entrée dans le second confinement, qui n’avait pas de caractère de nouveauté, mais pas non plus la même rigueur.
- Insee, « En décembre 2020, la confiance des ménages rebondit nettement et retrouve son niveau de septembre », Informations rapides, n°002, 06/01/2021 pour celle correspondant à la vague de décembre 2020.