La vague de juin de notre enquête trimestrielle sur le bien-être subjectif confirme le retour à la normale observé en mars, après le grand trou d’air de décembre. Les principaux indicateurs de bien-être subjectif se maintiennent à des niveaux proches de leur moyenne observée depuis maintenant trois ans que nous conduisons cette enquête tous les trimestres. Les ménages les plus modestes en particulier consolident l’amélioration de leur perception quant à leur situation personnelle et leurs perspectives futures.
Toutefois, notable que nous avions observée en mars sur les dimensions relatives au travail ne s’est pas confirmée. Dans leur ensemble, ces indicateurs reviennent eux aussi à leur niveau de long terme, alors qu’ils semblaient sur une trajectoire d’amélioration. Cet effet est particulièrement marqué pour les ménages modestes, qui n’ont jamais été aussi peu satisfaits de leur travail depuis que nous avons commencé cette enquête. Une fois de plus, le travail semble constituer un point de fragilité dans la société française.
Auteurs :
Mathieu Perona, directeur exécutif de l’Observatoire du Bien-être du Cepremap
Notre note sur l’enquête de mars retraçait un retour à la normale des indicateurs de bien-être subjectif, après le grand trou d’air de décembre. L’édition de juin de notre Tableau de bord du bien-être en France montre une stabilisation des principales métriques vers leurs moyennes observées depuis maintenant trois ans.
Toutefois, la dynamique positive des éléments relatifs au travail s’est inversée dans la vague de juin. Les appréciations dans ce domaine retournent elles aussi à leurs moyennes observées sur ces trois dernières années.
Tableau de bord
Dimension | Moyenne de 0 à 10 | ||
Grandes dimensions | Juin 2018 | Juin 2019 | |
Satisfaction de vie | → | 6,6 | 6,6 |
Sens de la vie | → | 7,1 | 7,0 |
Bonheur | → | 6,9 | 7,0 |
Anxiété et dépression* | → | 2,1 | 2,0 |
Santé | → | 6,9 | 6,7 |
Niveau de vie | → | 6,5 | 6,4 |
Comparaison avec les autres Français | → | 6,6 | 6,5 |
Perception de l’avenir | |||
Vie future (personnelle) | → | 6,0 | 5,9 |
Prochaine génération France | → | 4,2 | 4,1 |
Prochaine génération Europe | → | 4,3 | 4,4 |
Proches et environnement | |||
Relations avec les proches | → | 8,1 | 8,1 |
Gens sur qui compter | → | 7,7 | 7,6 |
Sentiment de sécurité | → | 7,2 | 7,2 |
Agression ressentie* | ↗ | 1,7 | 1,5 |
Travail et temps de vie | |||
Satisfaction au travail | → | 7,1 | 7,0 |
Relations de travail | → | 7,0 | 6,9 |
Équilibre des temps de vie | ↘ | 5,9 | 5,7 |
Temps libre | → | 6,6 | 6,6 |
Tableau 1 : Tableau de bord. Les flèches indiquent les variations par rapport au même mois l’année précédente
* Pour l’anxiété et l’agression, un score plus haut indique un niveau d’anxiété ou d’agression plus élevé
Confirmation du retour à la normale
La vague de juin de notre enquête confirme le retour des grandes dimensions du bien-être à leur niveau de long terme après le trou d’air de décembre. La satisfaction de vie moyenne (figure 1) se stabilise ainsi pratiquement à la même valeur qu’en mars, et à un niveau très similaire à celui de juin 2018. Contrairement à ce que nous avions observé en juin 2017, nous ne voyons pas ce trimestre d’effet des élections (européennes), qui se sont déroulées quelques semaines avant l’enquête.
Cette stabilisation s’observe également sur les réponses relatives au sentiment d’avoir été heureux hier ou à celui que sa vie à un sens. La satisfaction de vie des deux tiers supérieurs de la distribution des revenus est stable, voire en très léger repli (figure 2), compensé par une amélioration de la situation perçue par le tiers inférieur, qui semble voir se réaliser une partie de ses anticipations de mars d’une amélioration de sa situation.
Perceptions de l’avenir
La perception de l’avenir personnel se stabilise elle aussi à un niveau similaire à celui du trimestre dernier, et équivalent à la moyenne depuis le début de cette enquête, il y a trois ans (figure 3).
Cette stabilisation est aussi à l’œuvre sur l’opinion relative à l’avenir collectif, celui de la prochaine génération en France et en Europe. Si le trimestre précédent avait vu une dynamique similaire des opinions des hommes et des femmes sur ces sujets, les opinions des deux genres divergent à nouveau, avec des femmes plus pessimistes à la fois en niveau (la moyenne des opinion des femmes est inférieure à celle des hommes), mais aussi en tendance, puisque celle des femmes est à la baisse (figure 4).
En mars, le sentiment d’une amélioration des perspectives personnelle était partagé par toutes les classes de revenus. Ce trimestre, les dynamiques sont différentes. Alors que les revenus modestes et élevés confirment cette appréciation, le sentiment du tiers médian se détériore assez nettement, pour revenir un peu en-dessous de sa moyenne de long terme(figure 5).
Le contraste qui existait ainsi entre les perspectives d’avenir des plus modestes et leur situation actuelle s’est ainsi largement résorbé, mais le repli de l’optimisme des classes moyenne peut être un facteur de fragilité.
Travail et temps de vie
Notre enquête de mars avait révélé une augmentation assez spectaculaire de la satisfaction de nos enquêtés vis-à-vis des dimensions relatives au travail : satisfaction vis-à-vis du travail lui-même, des relations de travail et de l’équilibre des temps de vie. Sur toutes ces dimensions, la dynamique en juin est négative, avec un niveau moyen qui revient en-dessous de la moyenne depuis le début de notre enquête, et proche de l’étiage de décembre 2018 (figure 6).
De même qu’une bonne partie de l’amélioration en mars était liée à une opinion plus favorable des femmes quant à leur travail, le repli de juin est lié à une dégradation de l’appréciation des femmes plus que celle des hommes. Ce phénomène est commun aux différentes dimensions relatives et travail, et particulièrement visible sur la perception de l’équilibre des temps de vie (figure 7).
Socialement, cette dégradation du sentiment vis-à-vis du travail est partagée entre les trois tiers de la distribution de revenus, mais est particulièrement forte pour les plus modestes (figure 8).
Pour cette catégorie, la satisfaction vis-à-vis du travail atteint son plus bas niveau depuis le début de notre enquête. Cette insatisfaction au travail contraste avec le relatif optimisme quant à l’avenir et la consolidation de la satisfaction de vie que nous avons vues plus haut pour cette catégorie de ménages.
Proches et environnement
Sur une note plus positive, le sentiment d’exposition à de l’agressivité poursuit son amélioration (figure 9). Non seulement le pic de décembre, que commentions dans notre note de l’époque, est effacé, mais cet indicateur retrouve son niveau de 2017, en-deçà du mois de juin 2018.
La poursuite de ce mouvement positif résulte d’une amélioration sous-jacente du ressenti des femmes, celui des hommes étant stable par rapport à son niveau de mars. Cette amélioration est par ailleurs particulièrement ressentie parmi les habitants des communes rurales, avec un écart qui se confirme entre d’une part les « petites » communes (communes rurales et agglomérations de moins de 100 000 habitants) et d’autre part les grandes villes (plus de 100 000 habitants), le niveau d’agression ressenti étant plus élevé dans ces dernières.
Pour autant, le sentiment de sécurité dans son environnement proche (déplacement dans votre quartier à la nuit tombée, figure 10) s’est dégradé pour les deux sexes, et particulièrement pour les communes rurales. Comme nous l’avons déjà souligné plusieurs fois, l’écart entre hommes et femmes reste extrêmement important sur cet indicateur, avec une moyenne de 6,6 pour les femmes (sur une échelle de 0 à 10, où 10 exprime un parfait sentiment de sécurité) contre 7,9 pour les hommes
Perspectives
La vague de juin de notre enquête confirme dans ses grandes lignes le retour à la normale que nous avions relevé dans la vague de mars. La crise des Gilets jaunes n’a semble-t-il pas laissé de traces durables dans l’appréciation qu’ont les enquêtés de leur situation personnelle actuelle ni de leur avenir, qu’il soit personnel ou collectif. Il est par ailleurs rassurant de constater que l’appréciation qu’ont les plus modestes de leur situation actuelle rejoint celle qu’ils ont de leur avenir personnel.
La dégradation de l’opinion quant aux dimensions relatives au travail, même si elle ne fait en moyenne que revenir aux niveaux observés depuis 2016, peut signaler un point de fragilité chronique de la société française. La France, en effet, se positionne très régulièrement dans le bas des comparatifs internationaux quant à la satisfaction au travail.