Optimisme et inquiétudes

Note
Observatoire du bien-ĂȘtre

Version PDF

En juillet dernier, nous constations qu’une vague d’optimisme avait touchĂ© les rĂ©pondants Ă  notre enquĂȘte. Les rĂ©ponses aux questions relatives Ă  l’avenir, traditionnellement moroses en France, s’étaient brusquement amĂ©liorĂ©es. Trois mois plus tard, une large part de cette vague est retombĂ©e, accrĂ©ditant l’idĂ©e qu’il s’agissait d’un effet conjoncturel liĂ© aux Ă©lections, sans qu’il soit possible Ă  ce stade de savoir si les thĂšmes de la campagne ont amplifiĂ© cet effet.

Sur un an, soit en comparant septembre 2017 Ă  septembre 2016, nous constatons toutefois une amĂ©lioration progressive de cette perception de l’avenir. Le paradoxe français, Ă©cart entre un optimisme pour soi-mĂȘme et un pessimisme quant Ă  l’avenir collectif, semble donc se rĂ©sorber lentement.

Sur un point, celui des finances de leur mĂ©nage sur l’annĂ©e Ă  venir, nos rĂ©pondants sont en revanche particuliĂšrement pessimistes. Cette inquiĂ©tude est forte chez les salariĂ©s du secteur privĂ©, et plus encore chez les agents de la fonction publique, dans un environnement oĂč le rĂ©sultat net des rĂ©formes fiscales du gouvernement pour ces populations est incertain.

Ces Ă©volutions moyennes ne doivent pas faire oublier la grande hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des rĂ©ponses. Pour illustrer ce point, nous montrons que la perception de l’avenir varie grandement selon le diplĂŽme et l’ñge. Les titulaires d’un diplĂŽme supĂ©rieur ou Ă©gal Ă  bac +2 sont en effet plus optimistes que les rĂ©pondants moins diplĂŽmĂ©s. Au niveau de l’ñge, les plus jeunes gĂ©nĂ©rations sont les plus pessimistes, tandis que les jeunes retraitĂ©s reprĂ©sentent la tranche d’ñge la plus optimiste.

Auteurs :

Mathieu Perona, directeur exĂ©cutif de l’Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap

Optimisme Ă  long terme

En juillet, nous soulignions une amĂ©lioration spectaculaire de l’optimisme des rĂ©pondants Ă  notre plate-forme de questions Bien-ĂȘtre, adossĂ©e Ă  l’enquĂȘte de conjoncture auprĂšs des mĂ©nages de l’INSEE. L’enquĂȘte ayant Ă©tĂ© menĂ©e au lendemain des Ă©lections prĂ©sidentielles, plusieurs hypothĂšses pouvaient alors expliquer ce choc d’optimisme : la rĂ©alisation de l’embellie Ă©conomique, le regain de confiance collective propre Ă  chaque Ă©lection prĂ©sidentielle[1] ou un effet propre aux messages de la campagne d’Emmanuel Macron.

S’il reste possible que l’orientation de la campagne du nouveau prĂ©sident ait amplifiĂ© l’effet habituel des Ă©lections, force est de constater sur l’enquĂȘte rĂ©alisĂ©e en septembre qu’elle n’en a pas prolongĂ© la durĂ©e. Le score moyen sur la plupart de nos variables de bien-ĂȘtre diminue par rapport Ă  juin, revenant Ă  des valeurs lĂ©gĂšrement supĂ©rieures Ă  celles des trimestres prĂ©cĂ©dents. Les avis portant sur l’avenir de la prochaine gĂ©nĂ©ration en France et en Europe, qui avaient dĂ©collĂ© de maniĂšre spectaculaire, sont reprĂ©sentatives de ce phĂ©nomĂšne (Figure 1).

Figure 1

Cette Ă©volution suggĂšre que les rĂ©ponses Ă  ces questions de long terme comportent une part conjoncturelle. Au niveau intĂ©rieur, les premiĂšres orientations du gouvernement ont pu conduire certains rĂ©pondants Ă  rĂ©viser leurs anticipations quand Ă  l’avenir de la France Ă  l’horizon de leur propre ou d’une gĂ©nĂ©ration : les ordonnances sur le travail ou les rĂ©formes du systĂšme fiscal ont mis en Ă©vidence des choix qui n’étaient pas nĂ©cessairement Ă©vidents durant la campagne prĂ©sidentielle. En revanche, au niveau europĂ©en, il est douteux que la poussĂ©e limitĂ©e de l’extrĂȘme-droite en Allemagne remette en cause l’image qui se formait en juin. Sur ce plan, les positions du nouveau prĂ©sident ont Ă©tĂ© en ligne avec ses dĂ©clarations de campagne, et bien accueillies par les partenaires et la presse internationale[2].

Ce que nous observons sur les questions relatives Ă  l’avenir dans la partie bien-ĂȘtre de l’enquĂȘte rĂ©sonne avec la dynamique observĂ©e sur les questions d’anticipation de conjoncture posĂ©es dans le corps de l’enquĂȘte CAMME (Figure 2). Nous avions constatĂ© la derniĂšre fois le parallĂ©lisme entre les rĂ©ponses concernant le futur de la France et celles sur l’avenir Ă©conomique Ă  12 mois du pays. Ce parallĂ©lisme reste vrai en septembre, et s’applique aussi avec l’anticipation du nombre de chĂŽmeurs ou l’Ă©volution du niveau de vie (Ă  l’horizon 12 mois Ă©galement) : aprĂšs un pic marquĂ© en juin, l’Ă©valuation moyenne revient Ă  des niveaux comparables Ă  ceux d’avant les Ă©lections.

Figure 2

Le parallĂ©lisme gĂ©nĂ©ral des courbes, qui reflĂštent l’opinion moyenne, ne doit pas occulter la diversitĂ© des positionnements individuels quant Ă  l’avenir immĂ©diat et l’avenir Ă  plus long terme. Ainsi, si on ne considĂšre que les personnes ayant rĂ©pondu le plus nĂ©gativement Ă  la question relative Ă  l’avenir Ă©conomique de la France Ă  12 mois (Figure 3[3]), ils ne sont que 60% Ă  ĂȘtre pessimistes quant aux perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration en France. Pratiquement un tiers des rĂ©pondants estime que la situation Ă  long terme est comparable Ă  la situation actuelle et 7% des rĂ©pondants pensent que la situation de la prochaine gĂ©nĂ©ration sera meilleure qu’aujourd’hui.

Figure 3

Le mĂȘme phĂ©nomĂšne s’observe sur toutes les modalitĂ©s de rĂ©ponse Ă  l’une ou l’autre des questions : si en moyenne l’opinion relative Ă  l’avenir immĂ©diat et celle relative Ă  l’avenir Ă  long terme sont corrĂ©lĂ©s, la part des rĂ©pondants optimistes Ă  une Ă©chelle de temps et pessimiste sur l’autre est significative.

Le prĂ©sent et l’avenir

Qu’il existe une composante conjoncturelle des aspects du bien-ĂȘtre liĂ©s Ă  l’avenir n’est pas en soi une surprise : nous avons une tendance Ă  surpondĂ©rer le prĂ©sent et le passĂ© immĂ©diat, ce qui teinte toute notre perception de l’avenir.

Quand on compare ces anticipations aux opinions relatives Ă  la situation prĂ©sente (Figure 4), on constate bien un parallĂ©lisme, mais aussi des diffĂ©rences significatives. Ainsi, si le pic de juin est visible dans toutes les sĂ©ries, il est nettement moins significatif pour les Ă©valuations de la situation prĂ©sente. Plus important sans doute, les Ă©volutions sur un an (de septembre 2016 Ă  septembre 2017) ne sont pas robustes. L’incertitude autour de la moyenne, mesurĂ©e par les barres verticales[4] indique que l’écart entre les deux valeurs pourrait ĂȘtre un simple effet du hasard de la composition de l’échantillon de rĂ©pondants.

Figure 4

Par contraste, les Ă©carts d’un septembre Ă  l’autre sont significatifs sur toutes les variables anticipĂ©es, qu’il s’agisse des variables de bien-ĂȘtre Ă  moyen-long terme (Figure 1) ou des variables que conjoncture Ă  un an (Figure 2).

Cette Ă©volution d’une annĂ©e Ă  l’autre constitue le message essentiel de notre vague d’enquĂȘte de septembre : sur un an, les rĂ©pondants sont devenus plus optimistes vis-Ă -vis de l’avenir collectif.

Sombres perspectives financiĂšres

Ce constat connaĂźt toutefois une exception notable. Les anticipations des mĂ©nages relatives Ă  l’Ă©tat de leurs finances sur l’annĂ©e Ă  venir non seulement se dĂ©gradent considĂ©rablement par rapport Ă  juin, mais contrairement aux variables comparables descendent en septembre nettement au-dessous ne leur niveau depuis juin 2016 (Figure 5).

LĂ  encore, le parallĂšle avec l’évolution de l’opinion relative aux finances actuelles est clair, mais contrairement aux questions prĂ©cĂ©dentes, l’anticipation de l’avenir se dĂ©grade beaucoup plus massivement.

Figure 5

Dans l’ensemble, 33% des rĂ©pondants estiment ainsi en septembre que la situation financiĂšre de leur mĂ©nage va se dĂ©grader, alors qu’ils Ă©taient 22% en juin. En termes d’occupation, cette baisse est essentiellement due Ă  une forte dĂ©gradation des anticipations des retraitĂ©s (Figure 6), pour lesquels les anticipations de dĂ©gradation passent de 27% Ă  49%, soit prĂšs d’un rĂ©pondant Ă  la retraite sur deux. Il est difficile d’écarter l’idĂ©e que l’augmentation du taux de la CSG sur les retraites expliquerait une large partie de cette dĂ©gradation.

Figure 6

Parmi les personnes en emploi (Figure 7), salariés du secteur privé (61% de notre échantillon en emploi) et du public partagent une inquiétude commune, mais avec un pessimisme beaucoup plus prononcé du cÎté des employés du secteur public.

Chez ces derniers, les anticipations d’amĂ©lioration reculent de 4 points et surtout celles de dĂ©gradation bondissent de 16 points. Difficile de ne pas voir lĂ  une consĂ©quence de l’annonce du gel du point d’indice.

Figure 7

Pour les salariĂ©s du secteur privĂ©, les incertitudes relatives Ă  la CSG ainsi qu’aux ordonnances rĂ©formant le code du travail doivent jouer un rĂŽle important. On note en parallĂšle chez les chĂŽmeurs une polarisation plus forte des anticipations, mais le faible nombre de chĂŽmeurs dans notre Ă©chantillon oblige Ă  la prudence dans la lecture des rĂ©ponses de cette catĂ©gorie.

Les diplÎmés moins pessimistes

Nous avions vu la derniĂšre fois que si les Ă©volutions Ă©taient parallĂšles, le niveau d’optimisme diffĂšre selon le niveau d’Ă©ducation. En plongeant plus avant dans les donnĂ©es, il et possible de montrer que la charniĂšre se situe entre les rĂ©pondants ayant obtenu un diplĂŽme de niveau au moins bac+2 et les autres[5]. Cette diffĂ©rence apparaĂźt nettement sur la Figure 8.

Figure 8

Dans l’ensemble, les deux groupes rĂ©pondent aux mĂȘmes dynamiques, correspondant Ă  celles soulignĂ©es dans l’évolution moyenne : une baisse tendancielle du pessimisme, avec un pic en juin suivi d’un retour Ă  une tendance de moyen terme en septembre. Si la dynamique est commune, les niveaux illustrent un contraste significatif dans les perceptions de l’avenir en fonction du niveau de diplĂŽme. La part des pessimistes est plus faible chez les rĂ©pondants disposant d’un diplĂŽme de niveau au moins bac+2, et inversement pour la part des neutres et celle des optimistes.

La grande diffĂ©rence entre les deux groupes se joue toutefois essentiellement Ă  la limite entre pessimistes et neutres. En septembre 2017, la proportion des pessimistes est 14 points plus faible chez les titulaires d’un diplĂŽme au moins bac +2, et la proportion de neutres est 11 points plus Ă©levĂ©s. Cette observation semble indiquer que la diffĂ©rence d’optimisme entre les deux groupes ne procĂšde pas d’une polarisation forte entre eux, mais d’une divergence d’apprĂ©ciation qui se joue Ă  la limite entre la neutralitĂ© et le pessimisme.

Ajoutons enfin que cet effet serait trĂšs probablement renforcĂ© si nous regardions par classe d’ñge. Du fait de l’allongement des Ă©tudes, les cohortes plus ĂągĂ©es sont en effet moins diplĂŽmĂ©es.

Figure 9

Nous savons par ailleurs que les gĂ©nĂ©rations plus ĂągĂ©es sont en moyenne plus optimistes sur l’avenir de la France (Figure 9), avec une sĂ©paration aux alentours du milieu de vie (45 ans). Ainsi, parmi les moins de 45 ans, la proportion de pessimistes atteint les 44% des les non-titulaires d’un diplĂŽme au moins Ă©gal Ă  bac+2 (Figure 10).

Figure 10

Données et méthodologie

Données

Depuis, le mois de juin 2016, un nouveau module « Bien-ĂȘtre des mĂ©nages » est intĂ©grĂ© Ă  l’enquĂȘte CAMME de l’INSEE (Conjoncture AuprĂšs des MĂ©nages Mensuelle). Il est passĂ© aux mois de mars, juin, septembre et dĂ©cembre. PrĂšs de 2000 mĂ©nages, rĂ©sidant en France mĂ©tropolitaine, sont interrogĂ©s par tĂ©lĂ©phone au cours de chaque vague d’enquĂȘte.

MĂ©thodologie

Regroupements de valeurs

Les variables bien-ĂȘtre (Ă  l’exception de celle portant sur l’Ă©poque oĂč le rĂ©pondant aimerait vivre) sont codĂ©es sur une Ă©chelle de 0 Ă  10 (Ă©chelle de Cantrill). Afin de faciliter la lecture des graphiques, nous avons regroupĂ©s ces valeurs en catĂ©gories. Dans la mesure oĂč la distribution des rĂ©ponses varie beaucoup d’une question Ă  l’autre, les seuils choisis tiennent compte de la distribution spĂ©cifique des rĂ©ponses Ă  la question considĂ©rĂ©e.

Variables bien-ĂȘtre

Pour les variables bien-ĂȘtre, nous avons utilisĂ© les seuils suivants pour construire les regroupements :

Perspectives des prochaines gĂ©nĂ©rations en France / en Europe, Vie future :

  • 0 Ă  3 : Pire
  • 4 Ă  6 : Comme aujourd’hui
  • 7 Ă  10 : meilleure
Variables de conjoncture

Les variables de conjonctures sont codĂ©es de 1 Ă  5. Nous les avons systĂ©matiquement recodĂ©es de maniĂšre Ă  ce qu’elles suivent une Ă©chelle croissante (1 signifiant une dĂ©gradation et 5 une amĂ©lioration de la situation du rĂ©pondant), et regroupĂ©es selon les seuils suivants :

Avenir Ă©conomique de la France Ă  12 mois, Finances futures Ă  12 mois :

  • 1 Ă  2 : Se dĂ©grader
  • 3 : Rester stationnaire
  • 4 Ă  5 : S’amĂ©liorer

[1] L’Insee a mis en Ă©vidence sur la base des donnĂ©es de l’enquĂȘte Camme un impact positif mais de courte durĂ©e des Ă©lections (prĂ©sidentielles et lĂ©gislatives) sur le solde d’opinion, et en particulier sur les questions Ă©conomiques. Voir la Note de Conjoncture de mars 2017, p. 91 - 93. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2662546?sommaire=2662600

[2] Le magazine The Economist a ainsi consacrĂ© la Une de son Ă©dition du 30 Octobre Ă  un Emmanuel Macron en plein lumiĂšre, Ă©clipsant une Angela Merkel en retrait dans l’ombre de la scĂšne.

[3] Les variables de la plate-forme bien-ĂȘtre sont codĂ©es sur une Ă©chelle de zĂ©ro Ă  dix, celles du l’enquĂȘte CAMME le plus souvent sur une Ă©chelle de 1 Ă  5. Les seuils utilisĂ©s pour construire des groupements sont dĂ©taillĂ©s dans la section « DonnĂ©es et mĂ©thodologie ».

[4] Les barres verticales matĂ©rialisent l’intervalle de confiance Ă  95% sur la valeur de la moyenne.

[5] Les diplĂŽmĂ©s d’un bac+2 ou plus reprĂ©sentent un tiers de notre Ă©chantillon de rĂ©pondants, ce qui est un peu au-dessus des 27,5% de l’INSEE.