L’impact de la propriété sur le bien-être
Est-on plus heureux lorsque l’on possède sa résidence principale ? En France, les propriétaires expriment effectivement un bien-être supérieur à celui des locataires, et ce surcroît de satisfaction ne se réduit pas à la question financière du coût du logement, ni aux meilleures conditions de logement, ni au niveau général de leur patrimoine. C’est également en raison de la stabilité et de la sécurité qu’apporte la propriété que les propriétaires sont plus satisfaits de leur vie et de leur logement.
Joséphine Delassus, Cepremap
Publié le 09 mars 2025
En France métropolitaine, 57,7 % des ménages sont propriétaires de leur résidence principale, une proportion qui reste relativement stable depuis 19981. Toutefois, si la part des propriétaires reste stable, l’accès à la propriété demeure un processus en mouvement, marqué par d’importantes disparités socio-économiques entre propriétaires et locataires.
Qui est propriétaire de son logement et le fait d’être propriétaire est-il en soi un facteur de bien-être plus élevé ? Pour le savoir, nous mobilisons l’enquête de l’INSEE Statistiques sur les Ressources et les Conditions de Vie (SRCV).
Portrait des profils résidentiels
Les propriétaires de leur logement se distinguent par plusieurs caractéristiques (Figure 1).


Lecture : 10 % des jeunes de 18 à 24 ans sont propriétaires ; cette proportion monte jusqu’à un peu plus de 80 % chez les 70 ans et plus.
L’âge tout d’abord. Très faible chez les jeunes adultes, la part de propriétaires connaît un bond significatif autour de 30 ans, pour atteindre plus de 80% à la retraite. Le niveau de vie est également un facteur clé. Par ailleurs, les couples, qu’ils aient des enfants ou non, sont également plus susceptibles d’être propriétaires. Enfin, des disparités notables existent, par exemple entre les ouvriers et les employés d’une part, et les agriculteurs d’autre part, ces derniers se distinguant par un fort taux de propriété, souvent lié à la transmission intergénérationnelle de biens fonciers et à leur activité, nécessitant la détention de terrains et de bâtiments.
Les propriétaires plus satisfaits
On constate globalement un niveau de bien-être subjectif plus élevé chez les propriétaires que chez les locataires, qu’il s’agisse de la satisfaction de vie en général ou de la satisfaction vis-à-vis du logement ou des loisirs (Figure 2). Cet écart pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs, tels que le coût du logement, les conditions de vie, les caractéristiques du logement ou encore la stabilité résidentielle.

Commençons par l’aspect financier, c’est-à-dire le coût du logement. Pour cela, distinguons quatre catégories au sein de notre échantillon : les propriétaires accédants, les propriétaires non-accédants, les locataires du parc privé et ceux du parc social.
En France, selon l’enquête SRCV, l’emprunt immobilier contracté par les propriétaires accédants entraîne des mensualités moyennes de 1 250 euros (Figure 3).

À l’inverse, les propriétaires non-accédants, subissent le coût lié à la résidence principale le plus faible, estimé à environ 300 euros par mois. Les locataires se situent entre ces deux extrêmes, avec un coût moyen légèrement plus élevé pour ceux du parc privé (750 euros) que pour ceux du parc social (650 euros). En revanche, si l’on considère la part du revenu allouée au logement, l’analyse révèle une autre réalité. Bien que les propriétaires accédants supportent des charges plus élevées en termes absolus, la proportion de leurs ressources qu’ils allouent au logement est assez proche de celle des locataires. Pour les locataires du parc social, le coût et le poids des dépenses liées au logement sont relativement faibles. Seuls les propriétaires non accédants subissent des charges plus faibles.
En raisonnant toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire en comparant des individus dans des situations similaires, notamment en termes de caractéristiques démographiques et socio-économiques2, on remarque que, même à revenu identique, les propriétaires expriment un niveau de satisfaction plus élevé que les locataires, tant concernant leur vie que leur logement (Figure 4), ce qui laisse penser que le statut du logement exerce un effet sur le bien-être au-delà de l’aspect financier.

Cependant, cet effet varie beaucoup en fonction de l’âge des individus (Figure 5). Chez les jeunes adultes (20-29 ans), l’impact est particulièrement marqué pour les propriétaires accédants tandis qu’il est plutôt nuancé et faible chez les propriétaires non accédants, moins nombreux et souvent héritiers qui n’ont pas forcément choisi leur résidence et n’ont pas toujours les ressources nécessaires pour entretenir leur logement. En vieillissant, la différence entre propriétaires et locataires devient plus nette. Les propriétaires, qu’ils soient accédants ou non, expriment une satisfaction bien plus élevée que les locataires, avec une différence particulièrement marquée entre 40 et 60 ans.

Un meilleur confort « chez soi »
Autre élément qui contribue à différencier les locataires des propriétaires: le confort du logement. Les propriétaires de leur logement, qu’ils soient accédants ou non, vivent généralement dans des logements plus spacieux, mieux équipés et plus faciles à chauffer que les locataires (Figure 6).

En ce qui concerne l’environnement extérieur, les locataires du parc social sont les plus désavantagés. Ils sont plus nombreux à être confrontés à des problèmes tels que la délinquance, un entretien insuffisant de leur quartier ou des nuisances sonores. À l’inverse, les locataires du parc privé se rapprochent des propriétaires en termes de qualité de l’environnement, bénéficiant généralement d’un cadre de vie plus agréable et mieux entretenu (Figure 7).

Ces différences contribuent à expliquer les écarts de bien-être observés entre propriétaires et locataires. Elles soulignent que le parc locatif, qu’il soit privé ou social, est globalement moins bien entretenu, avec des logements en moins bon état que le parc privé. De fait, lorsque l’on estime l’effet du statut de résidence sur le bien-être, en neutralisant l’effet des caractéristiques du logement, on constate un impact moindre du fait d’être propriétaire, aussi bien en ce qui concerne la satisfaction dans la vie que la satisfaction vis-à-vis du logement (Figure 8). En revanche, au sein du groupe des locataires du parc privé, les caractéristiques du logement semblent jouer un moindre rôle dans la satisfaction (le fait de les prendre en compte ou non dans l’analyse ne modifie pas les résultats).

Lecture : Être propriétaire accédant est associé à une satisfaction de vie supérieure d’environ 0,4 point par rapport aux locataires du parc social, toutes choses égales par ailleurs. Lorsque les conditions de logement sont prises en compte, cet écart se réduit à environ 0,24 point.
La figure 9 présente les coefficients associés aux conditions de logement (issus de la même analyse que ceux de la figure 8) : la plupart des variables ont un impact non négligeable sur la satisfaction vis-à-vis du logement et sur la satisfaction de vie. La taille, l’isolation du logement et l’environnement extérieur apparaissent comme les facteurs les plus déterminants. (Figure 9).

Propriétaire ou simplement riche ?
Le logement fait partie du patrimoine des ménages, et pour nombre d’entre eux, en constitue le seul élément ou la majeure partie. Afin de s’assurer que notre analyse distingue bien l’effet spécifique de la propriété du logement de celui du patrimoine global, nous intégrons des variables supplémentaires liées au patrimoine total, telles que la détention d’un produit d’épargne réglementé, d’autres types de placements financiers, d’un bien immobilier supplémentaire, ou l’absence de tout produit financier (Figure 10).

La prise en compte de ces variables entraîne une réduction de l’effet estimé de la propriété du logement sur la satisfaction dans la vie, suggérant que l’effet observé précédemment capturait en partie l’impact d’autres formes de patrimoine. Autrement dit, le surcroît de satisfaction des propriétaires n’était pas uniquement dû à la possession de leur logement, mais aussi à leur niveau de richesse général. Toutefois, même si sa taille estimée est réduite, l’effet reste statistiquement significatif, ce qui suggère que posséder sa résidence principale est une source importante de bien-être, non seulement en tant qu’élement de richesse, mais aussi en tant que tel – sans doute en tant que facteur de confort, de sécurité et de stabilité.
Ces résultats sont corroborés par l’enquête Pat€r (PAtrimoine et préférences vis-à-vis du Temps et du Risque3), où plus de 85% des répondants estiment que devenir propriétaire représente non seulement une sécurité – l’assurance d’avoir toujours un toit – mais aussi un investissement judicieux (Figure 11).

Ces analyses suggèrent que le fait de posséder sa résidence principale est source d’un bénéfice psychologique qui ne se réduit pas à l’aspect financier. Certes, la propriété du logement entraîne une moindre mobilité, des charges financières et une incertitude liée aux éventuelles fluctuations du marché immobilier, mais le surplus de satisfaction des propriétaires de leur résidence principale reste positif, et tient à plusieurs facteurs, notamment un meilleur confort résidentiel, des logements en meilleur état, un sentiment de sécurité, ainsi qu’un attachement affectif à un lieu perçu comme un véritable chez soi.
Ainsi, du point de vue du bien-être subjectif, être propriétaire de son logement est un avantage certain dans la France d’aujourd’hui.
Annexe
Les analyses présentées dans les figures 4, 5, 8-9 et 10 sont fondées sur un modèle économétrique de régression par les moindres carrés ordinaires des métriques de bien-être subjectif (Tableau 1) sur un ensemble de caractéristiques socio-démographiques (Tableau 2).
Métriques de bien-être | Variable |
---|---|
Satisfaction quant à la vie actuelle | viesatisf |
Satisfaction quant au logement | logsatisf |
Caractéristiques explicatives | Variable |
---|---|
Genre | sexe |
Âge | age |
Catégorie socioprofessionnelle | cs24 |
Taille de l’unité urbaine | tuu10 |
Type de ménage | hx060 |
Nombre d’enfants | nenfants |
Année d’enquête | aenq |
Situation vis-à-vis du travail | situa |
Revenu | hy020 |
Conditions de logement | |
Logement difficile à bien chauffer | difchauf |
Logement trop petit | petit |
Pas de lave-linge à disposition | linge |
Toit percé, humidité, moisissures | toit |
Type de logement | typlog |
Nombre de pièce du logement | piecenb |
Bruits liés à l’environnement ou au voisinage | bruit |
Pollution liés à l’industrie ou au trafic routier | pollu |
Délinquance, violence ou vandalisme | crime |
Mauvais entretien du quartier, manque de propreté | propre |
Afin de distinguer les locataires des propriétaires nous avons utilisé la variable sto, relative au statut d’occupation du logement. Pour affiner l’analyse, la variable hh021 à été utilisé pour différencier les propriétaires accédants des non-accédants, tandis que la variable logpropri a permis de différencier les locataires du parc privé de ceux du parc social.
Le coût mensuel alloué au logement a été calculé sur la base de la variable hh070, à laquelle nous avons ajouté le cumul mensuel des emprunts liés à la résidence principale, fourni par la variable remp.
Les observations où le revenu du ménage est négatif ont été supprimées. Par ailleurs, pour l’analyse du logarithme du revenu, les valeurs égales à 0 ont été remplacées par 1.
Concernant la variable du nombre d’enfants dans le ménage, toute valeur supérieure ou égale à 4 a été regroupée sous une seule modalité : 4 enfants ou plus.
- Insee Références – Édition 2024 – Fiche 2.8 – Détention de la résidence principale https://www.insee.fr/fr/statistiques/5371267?sommaire=5371304
- Voir le détail du modèle en Annexe.
- https://data.progedo.fr/series/adisp/patrimoine-et-preferences-vis-a-vis-du-temps-et-du-risque-pater