Consolidation budgétaire et risque de hausse de la dette publique

Note
Observatoire Macroéconomie

Note Observatoire Macro n°2024-3  – novembre 2024

AprĂšs de nombreuses annĂ©es de dĂ©ficit public, 2024 est marquĂ©e par une brutale dĂ©gradation des comptes publics se concluant par l’ouverture d’une procĂ©dure de dĂ©ficit excessif par l’Union europĂ©enne. Le gouvernement doit dĂ©montrer sa capacitĂ© Ă  maĂźtriser ses finances publiques.

MaĂźtriser les finances publiques nĂ©cessite dans un premier temps de stabiliser le ratio dette sur PIB, pour ensuite parvenir Ă  le rĂ©duire durablement. Au-delĂ  de cette inversion de tendance, le risque que la dette publique connaisse, Ă  l’avenir, de nouvelles hausses doit aussi ĂȘtre limitĂ©. En effet, l’économie française sera toujours heurtĂ©e par des alĂ©as conjoncturels pouvant dĂ©grader ses finances publiques. Quelle politique permettrait d’inverser la dynamique de la dette publique tout en limitant le risque de hausses futures de la dette en cas de conjoncture dĂ©favorable ?

Cette note propose la mise en place de rĂšgles budgĂ©taires engageant le gouvernement Ă  rĂ©duire ses dĂ©penses. Au-delĂ  de l’évolution « moyenne Â» du ratio d’endettement public, nous Ă©valuons Ă©galement la probabilitĂ© que celui-ci dĂ©passe un certain seuil, selon la rĂšgle de consolidation budgĂ©taire mise en Ɠuvre. Deux stratĂ©gies, permettant toutes deux d’économiser en moyenne 30 Milliards d’euros par an jusqu’en 2027, sont comparĂ©es : l’une rĂ©duit la consommation publique (dĂ©penses des administrations), l’autre les transferts aux mĂ©nages. Ces politiques impactent les finances publiques et modifient de façon spĂ©cifique les rĂ©actions des mĂ©nages et des entreprises Ă  la conjoncture.

A l’horizon 2027, les baisses de transferts rĂ©duisent davantage le ratio dette sur PIB que les baisses de consommation publique (-4,7 points contre -1,0 point). Si la consolidation budgĂ©taire s’opĂšre via une baisse de la consommation publique, il y aurait alors 25 % de chances que le ratio dette sur PIB dĂ©passe 132,5 % en 2027 contre 132,6 % en l’absence de consolidation budgĂ©taire. Alors que cette stratĂ©gie rĂ©duit bien en moyenne l’endettement, elle ne permet pas d’éviter le risque de voir la dette dĂ©passer 132 % dans 25 % des cas. En effet, elle comprime Ă  court terme la demande en cas de conjoncture dĂ©favorable, ce qui ralentit la croissance Ă©conomique et donc augmente le risque d’accroissement de la dette. En revanche, si la consolidation budgĂ©taire passe par une baisse des transferts aux mĂ©nages, les risques de hausses futures de la dette publique seront plus faibles : il y aurait 25 % de chance que le ratio dette sur PIB dĂ©passe 126,7 % en 2027 contre 132,6 % en l’absence de consolidation budgĂ©taire, soit une rĂ©duction de 5,9 points. En effet, en cas de conjoncture dĂ©favorable, la rĂ©duction des transferts rĂ©duit moins l’activitĂ© Ă©conomique que la rĂ©duction de la consommation publique, car les mĂ©nages compensent ces plus faibles transferts reçus par une baisse de leur Ă©pargne et une hausse de leur offre de travail.

François Langot, Professeur Ă  l’UniversitĂ© du Mans et directeur exĂ©cutif de l’Observatoire de MacroĂ©conomie flangot@univ-lemans.fr

Jocelyn Maillard, Ă©conomiste Ă  l’Observatoire de MacroĂ©conomie jocelyn.maillard@cepremap.org

Selma Malmberg, Doctorante au CEPREMAP, selma@dynare.org

Fabien Tripier, Professeur Ă  l’UniversitĂ© Paris Dauphine – PSL et Ă©conomiste Ă  l’Observatoire de MacroĂ©conomie fabien.tripier@dauphine.psl.eu

Jean-Olivier Hairault, Professeur Ă  l’UniversitĂ© Paris I et directeur scientifique de l’Observatoire de MacroĂ©conomie jean-olivier.hairault@psemail.eu

Comment citer cette publication : « Consolidation budgĂ©taire et risque de hausse de la dette publique Â» F. Langot, J. Maillard, S. Malmberg, F. Tripier & J-O. Hairault, Note de l’Observatoire de MacroĂ©conomie du
Cepremap, n°2024-3, novembre 2024. Cette version de novembre 2024 corrige certains éléments de la note n°2024-3, parue en octobre 2024.

1. Finances publiques : une annĂ©e 2024 sous tensions

La loi de finances votĂ©e en dĂ©cembre 2023 prĂ©voyait un dĂ©ficit public de −4,4 % du PIB pour l’annĂ©e 2024. Cette prĂ©vision a Ă©tĂ© rĂ©Ă©valuĂ©e une premiĂšre fois, Ă  −5,1 %, en avril 2024 lors de la transmission du Pacte de StabilitĂ© Ă  la Commission europĂ©enne, puis une seconde fois, −5,6 %, en septembre 2024 par le gouvernement . Cette dĂ©gradation continue du dĂ©ficit a eu lieu malgrĂ© l’annulation de 10 Md€ de dĂ©penses par dĂ©cret dĂšs fĂ©vrier 2024 (1).

Dans le mĂȘme temps, le Conseil de l’Union europĂ©enne a ouvert en juillet 2024 une procĂ©dure de dĂ©ficit excessif Ă  l’encontre de la France (et de plusieurs autres pays europĂ©ens) qui vise Ă  faire en sorte que tous les États membres retrouvent une discipline budgĂ©taire et Ă©vitent d’enregistrer des dĂ©ficits excessifs. Dans le cadre de cette procĂ©dure, la Commission europĂ©enne fera des recommandations aux pays concernĂ©s, lors du Semestre europĂ©en de cet automne, et ceux-ci devront en retour prĂ©senter des plans budgĂ©taires Ă  moyen terme compatibles avec ces recommandations.

Le gouvernement français doit Ă©galement retrouver la maĂźtrise de ses finances publiques pour se prĂ©munir d’éventuelles hausses des taux d’intĂ©rĂȘt de la dette publique qui aggraveraient encore le dĂ©ficit public par la charge supplĂ©mentaire d’intĂ©rĂȘts (2).

L’objectif de cette note est d’évaluer les implications de plusieurs politiques visant Ă  maĂźtriser l’endettement public Ă  travers deux dimensions : la trajectoire « prĂ©vue Â» du ratio dette sur PIB et le risque autour de cette trajectoire, c’est-Ă -dire la probabilitĂ© que l’endettement public dĂ©passe un certain seuil. Une politique de consolidation budgĂ©taire visant Ă  rĂ©duire l’endettement public s’inscrit dans la durĂ©e et contient donc nĂ©cessairement une part d’incertitude et donc de risque. Une « bonne gestion Â» doit maĂźtriser les risques de dĂ©rapages inhĂ©rents Ă  la conjoncture.

Cette note propose une mĂ©thodologie d’évaluation du risque de hausse de la dette publique selon le type de politique de consolidation budgĂ©taire mise en Ɠuvre. Pour chaque politique, nous dĂ©terminons la distribution statistique du ratio dette sur PIB prĂ©vu Ă  l’horizon 2027 permettant de dĂ©terminer la valeur mĂ©diane des prĂ©visions (couramment appelĂ©e « trajectoire prĂ©vue Â») mais aussi le risque Ă  la hausse de ce ratio, dĂ©fini comme la valeur minimale qu’aurait le ratio dette sur PIB parmi les 25 % de trajectoires les plus dĂ©favorables Ă  l’endettement public.

2. L’analyse de la soutenabilitĂ© de la dette publique

La mĂ©thodologie retenue dans cette note Ă©tend les mĂ©thodes d’analyse de la soutenabilitĂ© de la dette publique utilisĂ©es par les institutions internationales.

La dette publique est considĂ©rĂ©e comme soutenable si le gouvernement est capable de faire face Ă  toutes ses obligations de paiement actuelles et futures sans aide financiĂšre exceptionnelle et sans se mettre en situation de dĂ©faut. Compte tenu de son implication dans le financement des gouvernements en difficultĂ© financiĂšre, le FMI a dĂ©veloppĂ© depuis 2002 un outil d’analyse de la soutenabilitĂ© de la dette (DSA pour « Debt sustainability Analysis Â») pour l’accompagner dans ses missions de surveillance et d’assistance. L’analyse de la soutenabilitĂ© de la dette a aussi Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e par les institutions europĂ©ennes, Ă  la suite de la crise des dettes souveraines (3) , et fait aujourd’hui partie des outils utilisĂ©s par la Commission europĂ©enne pour Ă©valuer le respect du Pacte de StabilitĂ© et de Croissance par les pays membres de l’Union europĂ©enne (3). Le dĂ©fi de l’analyse de la soutenabilitĂ© de la dette est de proposer une Ă©valuation ex-ante des capacitĂ©s financiĂšres futures des gouvernements et nĂ©cessite donc de rĂ©aliser des prĂ©visions sur les recettes et dĂ©penses publiques, mais Ă©galement sur les variables macroĂ©conomiques clefs pour l’évolution de la dette (la croissance, l’inflation et les taux d’intĂ©rĂȘt). Les mĂ©thodologies utilisĂ©es ont Ă©voluĂ© pour amĂ©liorer ces prĂ©visions en complĂ©tant les premiĂšres analyses dĂ©terministes (basĂ©es sur des scĂ©narios ad-hoc) par des analyses stochastiques (tenant compte des chocs Ă©conomiques), permettant une Ă©valuation du risque autour de ces scĂ©narios dĂ©terministes (4), (5).

L’intĂ©rĂȘt de ces analyses de la soutenabilitĂ© stochastique de la dette est de fournir la distribution statistique du ratio dette sur PIB Ă  un horizon temporel donnĂ©. Ainsi, au-delĂ  de l’évolution « moyenne Â» du ratio d’endettement public, il est possible de donner la probabilitĂ© que celui-ci soit supĂ©rieur Ă  ce qu’il est aujourd’hui Ă  un horizon quelconque.

Pour rĂ©aliser ces prĂ©visions de dette publique, il est nĂ©cessaire de disposer d’un modĂšle faisant le lien entre le contexte macroĂ©conomique (rĂ©sultat de chocs Ă©conomiques), les dĂ©cisions des mĂ©nages et des entreprises, et l’évolution des finances publiques. Les institutions en charge des analyses de soutenabilitĂ© de la dette publique utilisent gĂ©nĂ©ralement un modĂšle purement statistique qui ne dĂ©coule pas d’une analyse du comportement des agents Ă©conomiques et du fonctionnement des marchĂ©s. Si ces modĂšles sont pertinents pour la prĂ©vision, ils se rĂ©vĂšlent en revanche limitĂ©s pour l’évaluation de politiques Ă©conomiques alternatives, car ils ne tiennent pas compte des effets de ces politiques sur le comportement des agents et l’équilibre macroĂ©conomique.

La mĂ©thode proposĂ©e dans cette note vise Ă  analyser la soutenabilitĂ© stochastique de la dette dans un modĂšle structurel, et non purement statistique, tenant compte des effets des politiques Ă©conomiques sur le comportement des agents et l’équilibre macroĂ©conomique. Elle repose sur la mĂ©thode suivante.

  1. Le modĂšle CepreHANK (7) de l’Observatoire de MacroĂ©conomie du CEPREMAP est Ă©talonnĂ© pour reproduire les donnĂ©es de l’économie française.
  2. Les processus rĂ©gissant les chocs frappant l’activitĂ© macroĂ©conomique (la demande des mĂ©nages, la productivitĂ© du travail, l’offre de travail et le taux de marge des entreprises), les finances publiques (les dĂ©penses de consommation publique et les transferts), les taux d’intĂ©rĂȘt (de la politique monĂ©taire et de la dette publique), et le prix de l’énergie sont estimĂ©s afin de permettre au modĂšle CepreHANK de reproduire les variations cycliques des principaux agrĂ©gats macroĂ©conomiques et des finances publiques sur la pĂ©riode 2002-2019.
  3. Pour la pĂ©riode allant de 2024-T2 Ă  2027-T4, nous tirons alĂ©atoirement ces chocs afin d’établir la distribution de rĂ©fĂ©rence du ratio dette sur PIB Ă  cet horizon sous l’hypothĂšse qu’aucune politique de consolidation budgĂ©taire ne soit mise en Ɠuvre.
  4. Pour chaque politique de consolidation budgĂ©taire, nous dĂ©terminons la nouvelle distribution du ratio de dette sur PIB Ă  l’horizon 2027-T4 et la comparons avec la distribution de rĂ©fĂ©rence sur deux indicateurs : la mĂ©diane (indiquant l’orientation de la trajectoire de ce ratio) et le dernier quartile (donnant une indication du risque Ă  la hausse de ce ratio).

3. La consolidation budgétaire comme rÚgle de politique économique

Les politiques de consolidation budgĂ©taire sont introduites dans le modĂšle sous la forme de rĂšgles de gestion des finances publiques par le gouvernement. La notion de rĂšgle est trĂšs importante dans l’évaluation des politiques Ă©conomiques, car elle implique que les agents Ă©conomiques privĂ©s (entreprises et mĂ©nages) peuvent anticiper les dĂ©cisions du gouvernement et en tenir compte pour leurs propres dĂ©cisions (production, emploi, consommation, Ă©pargne). Une politique basĂ©e sur une rĂšgle se distingue sur ce point d’une politique dite discrĂ©tionnaire, oĂč les dĂ©cisions ponctuelles et transitoires prises par le gouvernement ne peuvent pas ĂȘtre anticipĂ©es par les agents Ă©conomiques privĂ©s. La mise en place d’une rĂšgle implique donc un engagement pluriannuel du gouvernement visant Ă  corriger un Ă©cart Ă  une cible prĂ©dĂ©finie (voir l’annexe pour un tableau rĂ©sumant les rĂ©sultats pour des baisses discrĂ©tionnaires des dĂ©penses publiques passant par la consommation publique ou les transferts aux mĂ©nages).

En prĂ©sence de rĂšgles de consolidation budgĂ©taire, les dĂ©penses publiques sont alors rĂ©gies dans le modĂšle CepreHank par les Ă©quations suivantes :

G(τ) = ρg G(τ − 1) + Ï”g(τ) + αg(b(τ) − b)

T(τ) = ρt T(τ − 1) + Ï”t(τ) + αt(b(τ) − b)

oĂč G(τ) et T(τ) reprĂ©sentent, respectivement, les montants de consommation publique des administrations et de transferts aux mĂ©nages Ă  la date τ. Ces montants ont une persistance, mesurĂ©e par les paramĂštres ρg et ρt, et sont sujets Ă  des variations non anticipĂ©es, reprĂ©sentĂ©es par les chocs de politique discrĂ©tionnaire, notĂ©s Δg et Δt. Les paramĂštres αg et αt caractĂ©risent les rĂšgles de consolidation budgĂ©taire : elles dĂ©pendent de l’écart entre la valeur du ratio dette sur PIB potentiel (8) observĂ©e Ă  la date τ, notĂ©e b(τ), et la valeur cible de ce ratio, notĂ©e b. En considĂ©rant des valeurs nĂ©gatives pour ces paramĂštres (αg<0 et αt<0), le gouvernement s’engage alors de maniĂšre crĂ©dible vis-Ă -vis des agents Ă©conomiques privĂ©s Ă  baisser sa consommation publique ou ses transferts aux mĂ©nages tant que l’endettement public excĂšde la valeur cible du ratio dette sur PIB potentiel, soit tant que b(τ)>b (9).

4. RÚgle de consolidation budgétaire et risque de hausse de la dette

Avant d’examiner les consĂ©quences d’une consolidation budgĂ©taire via l’introduction d’une rĂšgle introduisant un « frein Â» budgĂ©taire dans le cas d’une dette excessive, nous rĂ©alisons des prĂ©visions du ratio dette sur PIB en l’absence de cette nouvelle rĂšgle de politique (soit αg=0 et αt=0). Ces prĂ©visions du ratio dette sur PIB correspondent alors aux prĂ©visions traditionnelles, telles que celles proposĂ©es par le prĂ©cĂ©dent gouvernement. Les rĂ©alisations particuliĂšres des chocs de politique discrĂ©tionnaire, Δg et Δt, sont sĂ©lectionnĂ©es afin que la trajectoire de consommation publique G(τ) et de transferts aux mĂ©nages T(τ) correspondent Ă  ce que le gouvernement a annoncĂ© dans son programme de stabilitĂ© 2024 pour la pĂ©riode 2024-T2 Ă  2027-T4. En rĂ©ponse Ă  cette trajectoire budgĂ©taire, les mĂ©nages et les entreprises prennent leurs dĂ©cisions. Toutefois, la conjoncture entre 2024-T2 et 2027-T4 n’est pas connue avec certitude. Pour Ă©valuer l’incertitude autour des estimations, nous procĂ©dons Ă  1000 tirages dans les distributions des onze chocs macroĂ©conomiques qui dĂ©finissent alors la conjoncture spĂ©cifique Ă  chaque trimestre. Les distributions de ces alĂ©as conjoncturels sont estimĂ©es grĂące Ă  notre modĂšle CepreHANK et aux donnĂ©es de l’économie française depuis 2002 (10). Les rĂ©sultats sont reportĂ©s dans le tableau 1 et les figures 1 et 2.

En l’absence de rĂšgle de consolidation budgĂ©taire (soit αg=0 et αt=0), le ratio dette sur PIB croĂźt, passant de 111,6 % en 2024 Ă  120,7 % et 2027. Cette hausse de l’endettement publique induit par la politique budgĂ©taire du gouvernement Ă©tait prĂ©visible, comme le soulignait dĂ©jĂ  la note n°2023-3 de l’Observatoire de MacroĂ©conomie du Cepremap (11). En effet, cette note indiquait que la trajectoire prĂ©vue de l’économie française par le gouvernement dans sa loi de finance 2024 ne pouvait se rĂ©aliser que si des Ă©vĂ©nements trĂšs favorables se produisaient entre 2024 et 2027, en particulier des marges pour les entreprises historiquement faibles, c’est-Ă -dire loin de leur moyenne historique. PlutĂŽt que de considĂ©rer uniquement ces Ă©vĂ©nements particuliers, le tableau 1 reporte des rĂ©sultats oĂč ces Ă©vĂ©nements conjoncturels sont tirĂ©s au hasard dans des lois statistiques basĂ©es sur ce qui a Ă©tĂ© observĂ© dans le passĂ©. Il apparaĂźt alors qu’en l’absence d’efforts budgĂ©taires significatifs, la dette de l’État croĂźt sur la pĂ©riode considĂ©rĂ©e. De plus, lorsque la conjoncture est mauvaise (ce qui est le cas lorsque l’on examine les 25 % des simulations oĂč les ratios dette sur PIB sont les plus Ă©levĂ©s, soit le troisiĂšme quartile notĂ© Q3), la dette pourrait mĂȘme atteindre 132,6 % du PIB (voir aussi la figure 1). Ce rĂ©sultat souligne donc les forts risques de dĂ©rapages associĂ©s Ă  la politique du prĂ©cĂ©dent gouvernement (12). Il y a 1 chance sur 4, soit 25 % de chance, que la dette dĂ©passe 132,6 % du PIB, une valeur supĂ©rieure de +11,9 points par rapport Ă  la valeur mĂ©diane prĂ©vue pour 2027, elle-mĂȘme dĂ©jĂ  Ă©levĂ©e.

Quel est l’impact des rĂšgles de consolidation budgĂ©taire ? Afin de quantifier l’impact de l’introduction de ces rĂšgles « toutes choses Ă©gales par ailleurs Â», les trajectoires de dĂ©penses publiques correspondant aux composantes discrĂ©tionnaires de la consommation publique G(τ) et aux transferts aux mĂ©nages T(τ) sont conservĂ©es dans toutes les simulations sur l’horizon 2024-T2 Ă  2027-T4. Ainsi notre Ă©valuation indique comment l’ajout d’une politique de rĂ©duction des dĂ©penses publiques, via un frein proportionnel Ă  l’écart entre la dette courante et une cible de dette, impacte la mĂ©diane de la prĂ©vision et les risques d’une forte hausse du ratio dette sur PIB.


En l’absence de rĂšgles sur les dĂ©penses publiques (I)RĂšgle sur la consommation publique (II)RĂšgle sur les transferts
sociaux (III)
Année (T4)MédianeQ1Q3MédianeQ1Q3MédianeQ1Q3
2024111,6104,9118,4113,4105,2121,2112.3105,2119,5
2025113,4103,3123,1114,9102,9127,3112,8103,1123,1
2026116,7106,0127,7118,4106,1131,1115,3105,0125,7
2027120,7109,2132,6119,6106,9132,5116,0105,7126,7
Tableau 1 : Distribution du ratio de dette publique sur PIB en l’absence de rĂšgles sur les dĂ©penses publiques (I) et avec une rĂšgle sur la consommation publique (II) ou les transferts sociaux (III), Pour chaque politique, sont reportĂ©s la mĂ©diane et les quartiles 1 et 3 de la distribution pour le T4 des annĂ©es 2024-2027. Lecture : pour la politique II, il y a 25% de chances que le ratio dĂ©passe la valeur de 126,6. Rappel : au T4 de 2023, le ratio dette sur PIB est 110,7 %.

La figure 1 correspond au cas d’une politique de consolidation budgĂ©taire basĂ©e sur une rĂ©duction de la consommation publique (dĂ©penses directes des administrations publiques). La valeur du paramĂštre αg est Ă©talonnĂ©e afin que l’effort corresponde Ă  des Ă©conomies de 60 milliards d’euros, en moyenne par an, sur la pĂ©riode considĂ©rĂ©e. La baisse de la consommation publique permet de limiter la hausse du ratio dette sur PIB Ă  l’horizon 2027 : sa mĂ©diane se situe Ă  119,7 %, contre 120,7 % en l’absence de rĂ©duction des dĂ©penses. Concernant le risque, dans 25 % des simulations, le ratio dette sur PIB sera supĂ©rieur Ă  132,5 % (soit une valeur de +12,8 points de dette supĂ©rieure Ă  la mĂ©diane de 2027 de ce scĂ©nario), alors que sans restrictions budgĂ©taires 25 % des simulations auraient conduit Ă  un endettement supĂ©rieur Ă  132,6 %. Ainsi, cette stratĂ©gie de rĂ©duction de la dette ne la rĂ©duit que modestement et expose l’économie Ă  des hausses futures de l’endettement public identiques Ă  celles que l’on pourrait observer en l’absence de consolidation budgĂ©taire : elle ne rĂ©duit donc pas le risque. De plus, le principal Ă©cueil de cette politique est qu’elle expose la France Ă  un fort risque de hausse de l’endettement public Ă  court terme : en 2026, dans 25 % des cas, la dette serait supĂ©rieure Ă  131,1 %, exposant ainsi l’économie française Ă  un risque important sur les marchĂ©s financiers et vis-Ă -vis de ses partenaires europĂ©ens. Ces rĂ©sultats s’expliquent par la nature procyclique (c’est-Ă -dire allant dans le mĂȘme sens que le cycle Ă©conomique) de l’ajustement budgĂ©taire considĂ©rĂ©. Diminuer la consommation publique rĂ©duit instantanĂ©ment l’activitĂ© Ă©conomique ce qui conduit mĂ©caniquement Ă  accroĂźtre le ratio dette sur PIB car la baisse de la dette est plus lente que celle du PIB. Ce mĂ©canisme est amplifiĂ© lorsque la conjoncture est mauvaise (ce qui est le cas lorsque l’on examine les 25 % des simulations oĂč les ratios dette sur PIB sont les plus Ă©levĂ©s) : alors que la croissance aurait besoin d’ĂȘtre soutenue, la rĂšgle budgĂ©taire impose des rĂ©ductions de dĂ©penses car la dette est au-dessus de la cible. Par consĂ©quent, vouloir rĂ©duire le niveau de la dette publique par la baisse de la consommation publique conduit Ă  une augmentation des risques pesant sur les finances publiques.


Figure 1 : Ratio de dette publique sur PIB en % historique (en noir) et prĂ©vue avec une rĂšgle de consolidation budgĂ©taire basĂ©e sur la consommation publique (en rouge) ou sans consolidation budgĂ©taire (en bleu).

La figure 2 correspond au cas d’une politique de consolidation budgĂ©taire basĂ©e sur une rĂ©duction des transferts aux mĂ©nages (retraites, indemnitĂ©s d’assurance chĂŽmage ou encore RSA). La valeur du paramĂštre αt est aussi Ă©talonnĂ©e afin que l’effort corresponde Ă  des Ă©conomies de 60 milliards d’euros, en moyenne par an, sur la pĂ©riode considĂ©rĂ©e. La baisse des transferts aux mĂ©nages permet de mieux contenir la hausse du ratio dette sur PIB, sa mĂ©diane se situant Ă  116,0 % en 2027, contre 120,7 % en l’absence de politique. Mais, le principal avantage de la baisse des transferts aux mĂ©nages est qu’elle permet de diminuer les risques associĂ©s Ă  l’évolution de la dette : dans 25 % des simulations, la dette dĂ©passera 126,7 % Ă  l’horizon 2027 (soit une valeur de +10,7 points de dette supĂ©rieur Ă  la mĂ©diane de 2027 de ce scĂ©nario) alors qu’en l’absence de politique ce seuil s’établissait Ă  132,6 % (13). Cette rĂ©duction du risque de hausse de la dette contraste avec le risque Ă©levĂ© qu’induirait une politique de consolidation se basant sur une baisse de la consommation publique. En outre, cette politique n’expose pas la France Ă  un fort risque de hausse de l’endettement public Ă  court terme, pour les annĂ©es 2025 et 2026, comme dans le cas d’une consolidation budgĂ©taire basĂ©e sur une rĂ©duction de la consommation publique. Ces rĂ©sultats s’expliquent par la nature contracyclique (c’est-Ă -dire allant Ă  l’encontre du cycle Ă©conomique) de l’ajustement budgĂ©taire considĂ©rĂ©. Diminuer les transferts rĂ©duit moins l’activitĂ© qu’une baisse de la consommation publique. D’une part parce que les mĂ©nages ne consomment pas tous leurs transferts, une partie Ă©tant Ă©pargnĂ©e. En rĂ©ponse aux baisses des transferts, cette partie Ă©pargnĂ©e peut se rĂ©duire et alors amortir en partie l’effet rĂ©cessif de la contraction des transferts. D’autre part, parce que les mĂ©nages peuvent aussi davantage travailler pour compenser ces pertes de transferts. Ainsi, lorsque la conjoncture est mauvaise (ce qui est le cas lorsque l’on examine les 25 % des simulations oĂč les ratios dette sur PIB sont les plus Ă©levĂ©s), cette politique de rĂ©duction des transferts attĂ©nue les effets rĂ©cessifs de la conjoncture ce qui limite la hausse du ratio dette sur PIB. Par consĂ©quent, rĂ©duire le niveau de la dette publique par les transferts conduit Ă  une diminution des risques pesant sur les finances publiques.


Figure 2 : Ratio de dette publique sur PIB en % historique (en noir) et prĂ©vue avec une politique de consolidation budgĂ©taire basĂ©e sur les transferts aux mĂ©nages (en rouge) ou sans consolidation budgĂ©taire (en bleu).

5. Quelle consolidation budgétaire face à la hausse des inégalités

Pour diminuer l’endettement public et les risques de fortes hausses du ratio dette sur PIB, notre Ă©valuation recommande de privilĂ©gier la baisse des transferts aux mĂ©nages par rapport Ă  la baisse de la consommation des administrations. Toutefois, ces deux stratĂ©gies budgĂ©taires ont des impacts trĂšs diffĂ©rents sur les inĂ©galitĂ©s.

En 2024, notre modĂšle indique qu’un individu aisĂ©, c’est-Ă -dire dont le revenu du travail est parmi le Top 1,5 %, a une consommation 4,31 fois supĂ©rieure Ă  un individu modeste, c’est-Ă -dire dont le revenu du travail est parmi les 10 % les plus faibles. En l’absence de politique de consolidation fiscale, notre modĂšle prĂ©dit une hausse des inĂ©galitĂ©s : les plus aisĂ©s consommeraient 4,74 plus que les plus modestes en 2027. Les politiques de consolidation budgĂ©taires prĂ©cĂ©demment Ă©valuĂ©es vont encore accroĂźtre cette hausse des inĂ©galitĂ©s de pouvoir d’achat : si elles reposent sur une rĂ©duction de la consommation publique, les plus aisĂ©s consommeront 4,97 fois plus que les plus modestes en 2027, alors que si elles reposent sur une rĂ©duction des transferts les plus aisĂ©s consommeront 5,16 fois plus que les plus modestes en 2027. Ainsi, la baisse uniforme des transferts conduit Ă  fortement diminuer le revenu des plus modestes qui connaissent des difficultĂ©s Ă  compenser les pertes de revenus liĂ©e Ă  la rĂ©duction des transferts par une hausse de leur activitĂ©. Les inĂ©galitĂ©s se creusent.

Comme cela est expliquĂ© dans la note 2024-01 de l’Observatoire de MacroĂ©conomie du CEPREMAP (14), une rĂ©allocation des transferts accompagnant leur baisse peut attĂ©nuer, voir totalement compenser ces effets inĂ©galitaires de la consolidation budgĂ©taire. En effet, rĂ©allouer les transferts en faveur des revenus d’assistance (comme le RSA ou le minimum vieillesse) et au dĂ©triment des revenus d’assurance (comme les pensions de retraite ou les indemnitĂ©s chĂŽmage indexĂ©es sur des revenus passĂ©s potentiellement Ă©levĂ©s), permet de protĂ©ger les mĂ©nages les plus dĂ©favorisĂ©s tout en renforçant la stimulation de l’offre de travail pour les plus aisĂ©s. En outre, les mĂ©nages dĂ©favorisĂ©s ayant un faible taux d’épargne, voire nul, consacreront les hausses de transferts d’assistance Ă  consommer, donc Ă  accroĂźtre les commandes adressĂ©es aux entreprises, ce qui soutient l’activitĂ© Ă©conomique. De leur cĂŽtĂ©, les mĂ©nages aisĂ©s voyant leurs transferts baisser, Ă©pargneront moins et travailleront davantage pour compenser les transferts d’assurance perdus. Cette politique de rĂ©allocation des transferts en faveur des transferts d’assistance a donc Ă©galement des vertus macroĂ©conomiques par le soutien Ă  la consommation qu’elle induit.
En rĂ©duisant toujours les transferts de 60Md€/an, mais cette fois via une rĂ©duction de 106Md€ du budget annuel des transferts indexĂ©s sur les revenus (retraite, chĂŽmage) combinĂ©e Ă  une hausse de 46Md€ de celui des transferts non-indexĂ©s sur les revenus, (santĂ©, minima sociaux,
), les plus aisĂ©s consommeront 4,74 fois plus que les plus modestes en 2027, ce qui maintient les inĂ©galitĂ©s par rapport au scĂ©nario oĂč aucune consolidation budgĂ©taire n’est mise en Ɠuvre, tout en rĂ©duisant l’endettement public et les risque de fortes hausses du ratio dette sur PIB. L’ampleur de ces rĂ©allocations de transferts est trop importante pour ĂȘtre envisageable Ă  court terme, ce qui implique que les baisses possibles de dĂ©penses rĂ©duiront la croissance et augmenteront les inĂ©galitĂ©s.

Soulignons que cette note s’est concentrĂ©e sur des politiques de consolidation par la baisse des dĂ©penses publiques sans considĂ©rer la possibilitĂ© d’une hausse des prĂ©lĂšvements obligatoires. Il conviendra d’évaluer prĂ©cisĂ©ment les effets de ces politiques sur la dette et sur le risque de forte hausse de celle-ci, selon la nature des prĂ©lĂšvements considĂ©rĂ©s. Nous pouvons nĂ©anmoins escompter que tout prĂ©lĂšvement supplĂ©mentaire qui pĂ©naliserait l’activitĂ© Ă©conomique, et ce encore plus dans une conjoncture dĂ©favorable, conduira (comme la baisse de la consommation publique) Ă  une augmentation des risques pesant sur les finances publiques.

Annexe: Les politiques discrétionnaires


En l’absence de consolidation budgĂ©taire (I)Baisse discrĂ©tionnaire de la consommation publique (II)Baisse discrĂ©tionnaire des transferts sociaux (III)
Année (T4)MédianeQ1Q3MédianeQ1Q3MédianeQ1Q3
2024111,6104,9118,4113,5106,7120,2112,1105,3118,7
2025113,4103,3123,1114,1104,1124,4113,1103,1123,4
2026116,8106,0127,7118,4107,3129,5116,3105,3127,4
2027120,7109,2132,6120,8109,7132,4118,2107,1129,8

Notes

(1) Nous retenons l’évaluation du dĂ©ficit public français disponible en octobre 2024 sur le site d’Eurostat.

(2) Si l’écart de taux d’intĂ©rĂȘts entre la France avec l’Allemagne reste stable depuis les Ă©lections de juin 2024, il se rĂ©duit progressivement vis-Ă -vis de l’Espagne et l’Italie et s’est mĂȘme inversĂ© en juin 2024 avec le Portugal, qui s’endette maintenant Ă  un taux d’intĂ©rĂȘt infĂ©rieur Ă  celui de la France.

(3) Bouabdallah, O., Checherita-Westphal, C. D., Warmedinger, T., De Stefani, R., Drudi, F., Setzer, R., & Westphal, A. (2017). Debt sustainability analysis for euro area sovereigns: a methodological framework. ECB Occasional Paper, (185).

(4) Heimberger, P. (2023). Debt sustainability analysis as an anchor in EU fiscal rules, In-depth analysis Requested by the ECON committee of the European Parliament.

(5) Pour une analyse de la soutenabilitĂ© stochastique de la dette de la France, voir Langot F., I. Szpic (2024) « RĂ©duction de la dette publique française : quelles implications pour les choix budgĂ©taires de l’Etat?», Note de l’Observatoire de MacroĂ©conomie du Cepremap, n°2024-2, aoĂ»t 2024.

(6) Par analogie avec le concept de valeur Ă  risque (VaR pour « Value-at-Risk Â») en finance de marchĂ©, il est alors possible de dĂ©terminer la valeur Ă  risque de la dette que l’économie risque de dĂ©passer pour une probabilitĂ© donnĂ©e.

(7) « Cepre » comme diminutif de Cepremap et « HANK » pour Heterogeneous Agents, HA, et New-Keynesian, NK.

(8) Cette rĂšgle intĂšgre donc les dĂ©terminants de long terme du ratio dette sur PIB en ne rapportant la dette qu’à la composante de long terme du PIB, c’est-Ă -dire le PIB potentiel.

(9) Lors de l’évaluation, on fixe b=100 %, valeur d’avant la crise de la Covid-19.

(10) Les donnĂ©es utilisĂ©es s’arrĂȘtent en 2024-T1.

(11) Voir « Quelles sont les incertitudes autour du projet de loi de finances 2024 ?» F. Langot, J. Maillard, S. Malmberg, F. Tripier & J-O. Hairault, Note de l’Observatoire de MacroĂ©conomie du Cepremap, n°2023-3, novembre 2023.

(12) La surface bleue de la figure 1 (Ă©galement reportĂ©e dans la figure 2) correspond Ă  la moitiĂ© des rĂ©alisations obtenues lors de nos simulations et la courbe en bleu reprĂ©sente la valeur mĂ©diane de ces rĂ©alisations. La limite supĂ©rieure de cette surface bleue correspond au risque de hausse de la dette publique, c’est-Ă -dire la valeur du ratio dette sur PIB qui est dĂ©passĂ© dans 25 % des simulations, aussi appelĂ©e valeur Ă  risque au seuil de 25 %.

(13) La valeur Ă  risque de la dette au seuil de 25 % est de 122,2 %, contre 127,6 % en l’absence de politique.

(14) « Comment rĂ©duire la dette publique sans entraver la croissance Ă©conomique, ni accroĂźtre les inĂ©galitĂ©s ?» F. Langot, J. Maillard, S. Malmberg, F. Tripier & J-O. Hairault, Note de l’Observatoire de MacroĂ©conomie du Cepremap, n°2024-1.