Vivre ailleurs ?

Note
Observatoire du bien-ĂȘtre

En 2022, nous avons ajoutĂ© Ă  notre tableau de bord une question inĂ©dite : Si vous aviez le choix et indĂ©pendamment des contingences matĂ©rielles, dans quel pays aimeriez-vous vivre ? Les Français manifestent une appĂ©tence limitĂ©e pour l’ailleurs. Une grosse minoritĂ© d’entre eux choisirait de rester en France, avec une propension plus forte chez les plus ĂągĂ©s, les moins diplĂŽmĂ©s et les plus optimistes quant Ă  l’avenir du pays.

Pour les autres, leur destination ressemble beaucoup Ă  la France. Dans pratiquement toutes les classes d’ñge ou de revenu, c’est le Canada qui arrive en tĂȘte, concurrencĂ© par l’Europe du Sud : l’Espagne, Italie, Portugal. Au travers de la sociĂ©tĂ© française, ce sont essentiellement les mĂȘmes six pays qui arrivent en tĂȘte, dans un ordre qui varie lĂ©gĂšrement selon l’ñge et le niveau de diplĂŽme.

Publiée le 27 mars 2023

Mathieu Perona, Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap

Douce France

En mars 2022, nous avons ajoutĂ© Ă  notre plate-forme trimestrielle la question : « Certaines personnes aimeraient vivre dans un autre pays. Et vous, si vous aviez le choix, dans quel pays aimeriez-vous vivre ? (En imaginant que la langue et le fait de voir vos proches ne soient pas des obstacles) ». DerriĂšre cette question, nous interrogeons les Français sur l’idĂ©e qu’il se font d’un autre modĂšle de pays, sur leurs aspirations Ă©ventuelles Ă  une sociĂ©tĂ© diffĂ©rente – qu’il s’agisse de la rĂ©alitĂ© du pays concernĂ©, ou de l’image qu’ils en ont. Afin de ne pas limiter arbitrairement les choix, la rĂ©ponse est libre, recodĂ©e ensuite par les enquĂȘteurs selon la nomenclature internationale des pays et des territoires – ce qui permet de prendre en compte sĂ©parĂ©ment les collectivitĂ©s françaises d’outre-mer. Sur trois vagues trimestrielles, nous recueillons un total de 137 pays et territoires diffĂ©rents1.

La premiĂšre partie de notre question suggĂ©rait le choix d’un pays Ă©tranger. Pourtant, la France est de trĂšs loin le pays le plus souvent choisi, avec 43% des rĂ©ponses2. En dĂ©pit de leur insatisfaction et de leur pessimisme affichĂ©s, les Français ne semblent donc pas rĂȘver de quitter Ă  leur pays.

Figure 1. Lecture : En dĂ©cembre 2021, le Canada a rĂ©uni 17% des rĂ©ponses autres que la France.

Pour la Figure 1, nous avons construit un nuage de mots mettant en Ă©vidence les pays les plus frĂ©quemment citĂ©s, en incluant la France (panneau de gauche) ou en ne retenant que les autres pays (panneau de droite). Parmi les pays Ă©trangers, le Canada arrive en tĂȘte, avec 17% des rĂ©ponses, suivi par l’Espagne, le Portugal et l’Italie, qui rassemblent au total 30% des rĂ©ponses. Les États-Unis n’arrivent qu’en cinquiĂšme position, avec un peu moins de 6% de rĂ©ponses. La domination du violet dans le nuage de points montre qu’au-delĂ  des pays les plus choisis, les destinations europĂ©ennes dominent largement : Ă  l’exception du Canada et des États-Unis, les Français citent le plus frĂ©quemment des pays gĂ©ographiquement proches.

Lorsque l’on s’intĂ©resse aux dix pays les plus choisis, le haut du classement est donc remarquablement stable (Figure 2) : si l’on intĂšgre la Suisse aux pays dĂ©jĂ  citĂ©s, nous avons lĂ  les six pays les plus choisis chaque trimestre depuis mars.

Figure 2

Ce classement recoupe assez largement celui Ă©tabli Ă  partir du Gallup World Poll. Couvrant la quasi-totalitĂ© des pays du monde, cette enquĂȘte comporte en effet une question sur le pays vers lequel on voudrait Ă©migrer (Figure 3). On y voit qu’internationalement, la France continue d’ĂȘtre une destination de rĂ©fĂ©rence, avec 4% des rĂ©ponses mondiales. À l’échelle mondiale, les États-Unis font plus rĂȘver qu’en France (18% dans Gallup contre 7% dans notre enquĂȘte). Les Français dans notre enquĂȘte affichent une prĂ©fĂ©rence plus marquĂ©e pour le Canada – qui a sans doute l’image d’une synthĂšse entre la France et l’AmĂ©rique – ainsi que pour les pays du Sud de l’Europe.

Figure 3

Un haut de classement consensuel, des contrastes ensuite

Dans ses grandes lignes, ce classement fait consensus. Si nous regardons sĂ©parĂ©ment les pays les plus choisis par les femmes et par les hommes, les sept pays les plus choisis sont les mĂȘmes, avec des changements mineurs sur l’ordre du troisiĂšme au cinquiĂšme. La prĂ©fĂ©rence pour la France est un peu plus marquĂ©e pour les femmes (45%) que pour les hommes (42%). Il faut descendre plus bas dans le classement pour voir apparaĂźtre des diffĂ©rences entre les sexes, avec la NorvĂšge et le Royaume-Uni dans les pays les plus citĂ©s par les femmes, mais pas par les hommes, qui leur prĂ©fĂšrent l’Allemagne et le Japon.

Les contrastes selon l’ñge sont plus marquĂ©s. Les plus jeunes (moins de 40 ans dans notre Ă©chantillon3) sont 28% Ă  choisir la France, une part qui augmente avec l’ñge pour atteindre 40% chez les 54-65 ans et 55% chez les plus de 65 ans. Les choix de pays (Figure 4) rĂ©vĂšlent que l’attirance pour le Canada provient de la partie la plus jeune de notre Ă©chantillon : 20% des rĂ©ponses hors France chez les moins de 40 ans, contre 10% chez les plus de 65 ans. Inversement, l’Espagne, et surtout l’Italie, sont davantage populaires chez les plus ĂągĂ©s. Certains pays n’apparaissent, au bas du classement des 10 pays prĂ©fĂ©rĂ©s, que dans certaines gĂ©nĂ©rations, comme le Japon chez les plus jeunes4 ou le Maroc, en septiĂšme position chez les 54-65 ans.

Figure 4

Vous aurez peut-ĂȘtre remarquĂ©, en Ă©tudiant le nuage de mots, des prĂ©sences relativement discrĂštes mais significatives dans les rĂ©ponses. D’une part, les dĂ©partements, collectivitĂ©s et territoires d’outre-mer, que notre nomenclature permet de distinguer de la France mĂ©tropolitaine. À eux seuls, les DOM (plus Mayotte) rassemblent 3% des rĂ©ponses, et se classeraient en huitiĂšme position de l’ensemble. Avec les autres territoires et collectivitĂ©s, ils montent encore d’une place. D’autre part, le Maroc, l’AlgĂ©rie, la Tunisie et le SĂ©nĂ©gal apparaissent nettement. Les pays issus des anciennes colonies françaises d’Afrique du Nord atteignent ainsi 2,6% des rĂ©ponses, et ceux d’Afrique sub-saharienne 1,1%. La prĂ©sence de ces pays et territoires illustre l’influence des trajectoires individuelles et familiales, un facteur qui contribue peut-ĂȘtre Ă  expliquer la place du Portugal.

Socialement parlant, le revenu semble faire peu de diffĂ©rence : les six pays les plus choisis sont les mĂȘmes, avec des changements mineurs dans l’ordre d’importance. Les diffĂ©rences, plus bas dans le classement, comme le remplacement du Japon par l’Allemagne chez les plus riches ou la prĂ©sence du Maroc dans les rĂ©ponses du tiers infĂ©rieur des revenus, peuvent correspondre Ă  des effets d’ñge. Le niveau de diplĂŽme est lui aussi fortement tributaire des effets d’ñge5, mais fait apparaĂźtre des contrastes plus visibles. La prĂ©fĂ©rence pour la France est plus marquĂ©e (55% des rĂ©ponses) chez les non diplĂŽmĂ©s, pour la plupart ĂągĂ©s, et elle tombe Ă  38% chez les bacheliers ainsi que chez les titulaires d’un diplĂŽme de niveau supĂ©rieur. Statistiquement, le fait de ne disposer Ă  ce jour que de trois vagues entraĂźne un peu d’instabilitĂ© dans notre classement lorsqu’on le dĂ©coupe ainsi en cinq catĂ©gories.

En haut de classement (Figure 5), on retrouve la plupart des pays, Ă  l’exception du Portugal, mentionnĂ© nettement moins souvent par les diplĂŽmĂ©s de l’enseignement supĂ©rieur. À l’inverse, les pays nordiques (SuĂšde, NorvĂšge) ont plus de succĂšs auprĂšs de ces derniers.

Figure 5

Ce consensus relatif se retrouve si nous croisons les rĂ©ponses avec des dimensions de bien-ĂȘtre subjectif plutĂŽt que des Ă©lĂ©ments socio-dĂ©mographiques. Le classement des six pays Ă©trangers les plus citĂ©s Ă©volue peu lorsque l’on passe des personnes les plus insatisfaites de leur vie aux plus satisfaites, ou que l’on passe des personnes les plus pessimistes sur l’avenir de la prochaine gĂ©nĂ©ration en France aux plus optimistes. Le niveau de bien-ĂȘtre semble ĂȘtre plus discriminant sur la propension Ă  choisir spontanĂ©ment la France. Les plus optimistes sur l’avenir du pays sont 50% Ă  le citer en rĂ©ponse Ă  cette question, contre tout de mĂȘme 34% des plus pessimistes – soit trois fois plus que le Canada, premier pays Ă©tranger. Le gradient est un peu plus faible lorsque l’on considĂšre la satisfaction gĂ©nĂ©rale Ă  l’égard de sa vie actuelle (la France est choisie par 44% des plus satisfaits, et par 35% des moins satisfaits).

Qui prĂ©fĂšre la France ?

L’analyse qui suit rĂ©vĂšle que ce sont les plus diplĂŽmĂ©es, les plus ĂągĂ©s, les plus satisfaits de leur vie et les plus optimistes sont ceux qui ont le plus de chances de choisir la France comme pays de rĂ©sidence prĂ©fĂ©rĂ©.

Afin de dĂ©terminer le poids relatif de ces Ă©lĂ©ments, nous effectuons une dĂ©composition (formellement, une rĂ©gression) de la probabilitĂ© pour une personne de choisir la France, en fonction de ce que nous savons d’elle grĂące Ă  l’enquĂȘte (Figure 06).

Figure 6.
Coefficients d’une rĂ©gression logistique sur la probabilitĂ© de choisir la France en rĂ©ponse Ă  la question sur le pays oĂč on aimerait vivre.
ModalitĂ©s de rĂ©fĂ©rence : Femme, Sans enfants, Moins de 65 ans, DiplĂŽme infĂ©rieur au baccalaurĂ©at, Revenu mensuel du mĂ©nage infĂ©rieur Ă  2000 €, Commune rurale, Satisfaction dans la vie 7-8, Perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration 5-6. La couleur des barres reflĂšte la significativitĂ© statistique du coefficient. Les barres grises indiquent des effets qui ne sont pas statistiquement diffĂ©rents de zĂ©ro.

Pour ce faire, nous dĂ©finissons un point de dĂ©part : ici, une femme sans enfants de moins de 14 ans avec elle, ĂągĂ©e de moins de 65 ans, titulaire d’un diplĂŽme infĂ©rieur au baccalaurĂ©at, vivant dans un mĂ©nage aux revenus mensuels infĂ©rieurs Ă  2 000 €, dans une commune rurale, qui dĂ©clare une satisfaction dans la vie de 7 ou 8 (les modalitĂ©s les plus frĂ©quentes), et une apprĂ©ciation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration en France de 5 ou 6 (idem). Cette personne fictive aurait une probabilitĂ© de 45% de dĂ©clarer prĂ©fĂ©rer la France en rĂ©ponse Ă  la question qui nous intĂ©resse ici. Nous pouvons alors examiner les diffĂ©rences liĂ©es Ă  la variation de l’une de ces caractĂ©ristiques, toutes choses Ă©gales par ailleurs. Nous voyons (barres grises) que le sexe et le revenu n’ont pas d’effet significatif sur cette prĂ©fĂ©rence. L’ñge joue en revanche un rĂŽle majeur, avec une forme d’effet de seuil : les personnes de plus de 65 ans ont une propension nettement plus forte Ă  prĂ©fĂ©rer la France – 20 points de pourcentage de plus – que les plus jeunes. La prĂ©sence d’enfant(s) dans le mĂ©nage rĂ©duit en revanche la prĂ©fĂ©rence pour la France. Être titulaire d’un diplĂŽme supĂ©rieur au baccalaurĂ©at ou d’habiter dans une grande ville rĂ©duisent Ă©galement de quelques points la probabilitĂ© de dĂ©clarer prĂ©fĂ©rer la France. En termes de bien-ĂȘtre, nous constatons que les personnes qui se positionnent au sommet de l’échelle de satisfaction dans la vie (9 ou 10) sont plus enclines Ă  indiquer la France dans leur rĂ©ponse Ă  la question posĂ©e (6 points de pourcentage de plus). L’apprĂ©ciation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration est effectivement plus discriminante : ĂȘtre trĂšs pessimiste (0 ou 1 sur l’échelle de 0 Ă  10) rĂ©duit en moyenne de 9 points de pourcentage la probabilitĂ© de choisir la France, tandis qu’ĂȘtre optimisme (de 7 Ă  10) augmente cette propension de 6 points. Au total, un niveau plus Ă©levĂ© de bien-ĂȘtre subjectif accroĂźt donc la propension Ă  choisir la France.

L’attrait de la proximitĂ©

Les futures vagues de l’enquĂȘte nous permettront de sĂ©parer encore plus finement les Ă©lĂ©ments de choix relatifs Ă  l’ñge, au revenu, au niveau de diplĂŽme et au bien-ĂȘtre. Toutefois, il apparaĂźt dĂ©jĂ  que les Français font d’abord le choix de la proximitĂ© lorsqu’ils rĂ©pondent Ă  cette question. D’une part, parce que la rĂ©ponse « France Â» domine, mĂȘme chez les plus insatisfaits ou les plus mobiles (jeunes et diplĂŽmĂ©s). D’autre part, parce que la sĂ©lection est dominĂ©e par des pays qui entretiennent de forts liens de proximitĂ© avec la France, liĂ©s Ă  la langue, comme le Canada, ou des liens gĂ©ographiques et historiques. Le plus souvent, il s’agit de plusieurs liens Ă  la fois, comme pour les pays d’Europe du Sud, qui sont Ă  l’origine des grandes vagues migratoires des XIXe et XXe siĂšcles, les dĂ©partements, territoires et collectivitĂ©s françaises d’outre-mer, et les pays qui ont Ă©tĂ© des colonies françaises. Seuls les États-Unis reprĂ©sentent un modĂšle radicalement diffĂ©rent, qui sĂ©duit un peu plus les jeunes et les plus diplĂŽmĂ©s, mais reste Ă  une place trĂšs en retrait pour les rĂ©pondants Français, par rapport Ă  l’attrait que le pays suscite Ă  l’échelle mondiale.

  1. En janvier 2023, 247 codes ISO 3166-1 alpha-3 sont définis.
  2. Nous excluons dans l’ensemble de ce travail les non-rĂ©ponses et les refus de rĂ©pondre.
  3. RĂ©alisĂ©e par tĂ©lĂ©phone sur des mĂ©nages redevables de la taxe d’habitation, l’enquĂȘte Camme ne couvre un peu moins bien les jeunes adultes. Les classes d’ñges que nous utilisons ici sont dĂ©terminĂ©es en fonction des observations disponibles plutĂŽt que de la distribution effective des Ăąges dans la population Française.
  4. Les dessins animĂ©s japonais ont commencĂ© Ă  connaĂźtre une diffusion massive en France Ă  partir de 1978. La premiĂšre gĂ©nĂ©ration largement exposĂ©e aux exportations culturelles nippones dĂ©passe donc aujourd’hui les 40 ans.
  5. Dans l’édition 2022 de La France, Portrait social, l’Insee indique que les titulaires d’un baccalaurĂ©at ou d’un diplĂŽme supĂ©rieur reprĂ©sentent plus de 70% des 25-34 ans, contre 41% des 55-64 ans.