Les Français ont-ils peur de l’avenir ?

Note
Observatoire du bien-ĂȘtre

Un Ă©lĂ©ment marquant et constant de notre enquĂȘte trimestrielle sur le bien-ĂȘtre subjectif est le degrĂ© de pessimisme des Français. Leur Ă©valuation de ce qu’ils vont vivre dans les annĂ©es Ă  venir est assez systĂ©matiquement plus nĂ©gative que celle de leur situation actuelle, et leur apprĂ©ciation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration sont franchement sombres.

Dans ce contraste se joue un effet d’horizon : si les Ă©valuations sur les prochaines annĂ©es enregistrent un simple dĂ©calage vers le nĂ©gatif, le saut Ă  l’horizon d’une gĂ©nĂ©ration a pour consĂ©quence de faire apparaĂźtre une part significative des rĂ©ponses – 10 % – qui pensent que la situation sera bien pire qu’aujourd’hui.

Nous observons un clivage gĂ©nĂ©rationnel dans cette vision de l’avenir : les jeunes sont plus optimistes que leurs aĂźnĂ©s quant Ă  leurs perspectives individuelles. Ce clivage disparaĂźt toutefois sur les perspectives collectives de long terme, toutes les tranches d’ñge Ă©tant Ă©galement pessimistes. À cette Ă©chelle, c’est plutĂŽt le niveau de diplĂŽme qui est discriminant, les diplĂŽmĂ©s d’un bac+2 et au-delĂ  Ă©tant un peu plus optimistes. Inversement, les trĂšs pessimistes sont plus nombreux parmi les mĂ©nages modestes et peu diplĂŽmĂ©s, et l’ñge n’est pas non plus ici un facteur.

Enfin, s’ils avaient le choix, beaucoup de Français prĂ©fĂ©reraient vivre dans un passĂ© rĂ©cent. Pour partie, cette appĂ©tence reflĂšte une histoire personnelle : beaucoup choisissent la dĂ©cennie de leurs 20 ans. D’autres sĂ©lectionnent une pĂ©riode – souvent les annĂ©es 1980 – antĂ©rieure Ă  leur naissance, traduisant la prĂ©sence d’une image sociale positive de cette dĂ©cennie.

Publiée le 08 février 2023

Mathieu Perona, Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap

Un nouveau regard sur le
pessimisme des Français

DĂšs les premiĂšres vagues de notre enquĂȘte trimestrielle (Algan, Beasley, et Senik 2017), nous avions relevĂ© que les Français sont pessimistes concernant l’avenir de leur pays. Les deux questions portant sur les perspectives des gĂ©nĂ©rations futures (en France et en Europe hors de France) recueillent les rĂ©ponses moyennes les plus basses parmi les questions de notre tableau de bord. Le premier point d’étape de nos travaux (Algan et al. 2018) a fait de ce constat un axe structurant de l’analyse de la situation française, qui contraste avec le niveau relativement Ă©levĂ© des indicateurs individuels, y compris ceux tournĂ©s vers l’avenir, ainsi qu’avec le pessimisme Ă  l’échelle du pays, ou encore la nostalgie du passĂ© rĂ©cent. Avec quelques annĂ©es de recul – et l’expĂ©rience d’une pandĂ©mie, nous revisitons maintenant ce sujet afin de donner des Ă©clairages plus prĂ©cis sur la maniĂšre dont ce contraste se manifeste, ainsi que sur les clivages gĂ©nĂ©rationnels et sociaux qu’il met en Ă©vidence.

Le prĂ©sent, l’avenir et le collectif

Depuis le dĂ©but de notre enquĂȘte, nous observons une hiĂ©rarchisation claire : sur une mĂȘme Ă©chelle de 0 Ă  10, l’apprĂ©ciation de la vie actuelle est supĂ©rieure Ă  celle des annĂ©es Ă  venir (Vie future), elle-mĂȘme nettement supĂ©rieure Ă  celle portant sur les perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration en France (Figure 1).

Figure 1

L’écart entre l’apprĂ©ciation de la vie actuelle et de la vie future est suffisant pour que la moyenne trimestrielle la plus faible sur la satisfaction dans la vie actuelle reste supĂ©rieure Ă  la moyenne la plus Ă©levĂ©e quant Ă  la vie future. Hormis pendant la pĂ©riode du Covid-19, les variations dans l’apprĂ©ciation de l’avenir individuel vont dans la mĂȘme direction que celles de la vie actuelle, et amplifient ces derniĂšres. Pour la plupart des Français, leur avenir personnel ressemble Ă  une amplification de leur situation actuelle. Face Ă  un choc nĂ©gatif, comme la crise des Gilets jaunes, l’idĂ©e que « Ă§a ira mieux demain Â» est ainsi moins forte que le sentiment que ces Ă©vĂ©nements vont affecter nĂ©gativement notre situation sur plusieurs annĂ©es – et inversement quand les choses s’amĂ©liorent.

L’évaluation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration, en France comme en Europe est davantage pessimiste, et ce trĂšs nettement, avec une moyenne Ă  peine supĂ©rieure Ă  4. De nos 16 questions « positives Â» (oĂč 10 reprĂ©sente la meilleure situation et 0 la moins bonne), les deux questions relatives Ă  l’avenir de la prochaine gĂ©nĂ©ration sont les seules Ă  recueillir une rĂ©ponse moyenne infĂ©rieure Ă  5. Parmi les apprĂ©ciations de la situation prĂ©sente, la question qui recueille la moyenne la plus faible porte sur l’équilibre des temps de vie, avec une moyenne aux alentours de 6. Ce contraste illustre l’ampleur du pessimisme moyen des Français.

L’apprĂ©ciation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration ne suit que trĂšs partiellement les variations conjoncturelles de la satisfaction gĂ©nĂ©rale Ă  l’égard du prĂ©sent. Nous avions relevĂ© la forte augmentation des opinions favorables au moment de l’élection prĂ©sidentielle de 2017 (Algan et al. 2017), puis la rapide rĂ©cupĂ©ration aprĂšs la crise des Gilets jaunes (Perona 2019). Alors que les autres dimensions du bien-ĂȘtre subjectif connaissaient des variations inĂ©dites, les avis sur les perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration ont moins Ă©voluĂ© pendant la pandĂ©mie de Covid-19, reflĂ©tant le sentiment qu’il s’agissait d’un phĂ©nomĂšne passager, et donc une forme de confiance dans la capacitĂ© de nos sociĂ©tĂ©s Ă  enrayer durablement la pandĂ©mie. En revanche, elle se dĂ©grade assez nettement depuis l’étĂ© 2021. Le dĂ©but de la guerre en Ukraine a paradoxalement conduit Ă  une lĂ©gĂšre amĂ©lioration, sans doute face au constat inattendu d’une unitĂ© dans l’action europĂ©enne contre la Russie, avant de revenir Ă  un niveau dĂ©primĂ©.

Figure 2

Les perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration en Europe, en dehors de la France, Ă©voluent de maniĂšre assez parallĂšle Ă  celles relevĂ©es en France (Figure 2), tout en Ă©tant un peu plus optimistes, et ce presque toujours. Le pessimisme des Français comporte donc bien une dimension nationale : si nous ressentons une communautĂ© de destin avec les autres pays europĂ©ens, la trajectoire de la France nous semble moins favorable que celle de ses voisins.

Sommes-nous tous pessimistes ?

Tant le niveau de ces moyennes que leur Ă©volution peuvent reflĂ©ter deux situations : soit un pessimisme collectif, soit un phĂ©nomĂšne plus circonscrit, reposant sur une part de la population qui serait trĂšs pessimiste. Pour distinguer les deux, nous reprĂ©sentons la part des rĂ©ponses sur chacun des barreaux de l’échelle de 0 Ă  10, pour les trois questions de la premiĂšre figure (Figure 3).

Figure 3

L’écart avec les rĂ©ponses sur les perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration est beaucoup plus net. D’une distribution oĂč la plupart des rĂ©ponses s’étalent entre 5 et 8, on passe Ă  une distribution plus large, entre 3 et 6. La formulation de la question (« Comment pensez-vous que sera la vie en France pour la prochaine gĂ©nĂ©ration ? De 0 (‘Bien pire qu’aujourd’hui’) Ă  10 (‘Bien meilleure qu’aujourd’hui’) Â» doit avoir une influence, mais on observe qu’une majoritĂ© de personnes pensent que la prochaine gĂ©nĂ©ration fera face Ă  une situation dĂ©gradĂ©e. Un pessimisme modĂ©rĂ©, relativement Ă  l’évaluation de la situation actuelle ou du futur individuel, est effectivement un trait assez gĂ©nĂ©ral de la population.

Toutefois, on remarque Ă©galement qu’une personne sur 10 rĂ©pond 0, soit la pire Ă©valuation possible, Ă  cette question – une accumulation au bas de l’échelle, Ă  un niveau qui n’est observĂ© dans aucune des autres questions de notre tableau de bord (Perona 2022). Le faible niveau de l’évaluation moyenne s’explique donc aussi par une part significative de la population qui est trĂšs pessimiste quant Ă  l’état de la France ou de l’Europe pour la prochaine gĂ©nĂ©ration.

Pessimisme individuel ou pessimiste collectif ?

Il ne faudrait cependant pas, au vu des rĂ©sultats ci-dessus, conclure trop vite que tous les Français sont pessimistes. Comme nous posons l’ensemble de nos questions sur le bien-ĂȘtre subjectif Ă  toutes les personnes rĂ©pondant Ă  l’enquĂȘte, nous pouvons comparer au niveau individuel le positionnement relatif des rĂ©ponses (Figure 4).

Figure 4

En pratique, un peu moins de la moitiĂ© des rĂ©pondants (47%) sĂ©lectionnent une rĂ©ponse plus faible sur l’évaluation de leurs perspectives dans les annĂ©es Ă  venir que sur l’évaluation de leur vie actuelle, 39% sĂ©lectionnent la mĂȘme note et 14% ont une Ă©valuation supĂ©rieure. La dĂ©gradation de l’évaluation de l’avenir en cours depuis l’étĂ© 2021 se traduit ici par une augmentation de la part des pessimistes, qui dĂ©passe durablement les 50% pour la premiĂšre fois depuis le dĂ©but de l’enquĂȘte.

Lorsqu’on se projette vers l’avenir collectif, le pessimisme liĂ© Ă  l’avenir se conjugue avec un pessimisme propre au passage de l’individuel au collectif. Nous en voyons la marque en comparant les rĂ©ponses aux questions sur la situation financiĂšre du mĂ©nage Ă  12 mois et le niveau de vie en France Ă  la mĂȘme Ă©chĂ©ance (Figure 5).

Figure 5

Comme nous le relevions dans notre note de conjoncture du dĂ©but d’annĂ©e (Perona 2023), la plupart des mĂ©nages estiment sur la pĂ©riode que leur situation financiĂšre va rester stationnaire. Cependant, la majoritĂ© des mĂ©nages qui estiment que leur situation individuelle va s’amĂ©liorer anticipent dans le mĂȘme temps une dĂ©gradation du niveau de vie en France, et il en va de mĂȘme pour une large partie des mĂ©nages qui pensent que leur situation restera inchangĂ©e. Cette conjonction n’est pas une impossibilitĂ© logique : le niveau de vie moyen en France peut se dĂ©grader alors qu’une majoritĂ© des mĂ©nages voit ses finances rester stables ou s’amĂ©liorer si l’on anticipe une perte de pouvoir d’achat trĂšs forte d’une minoritĂ© de la population. Le caractĂšre massif et rĂ©gulier de cet Ă©cart suggĂšre cependant que ce n’est pas cette configuration que la plupart des rĂ©pondants ont en tĂȘte, mais bien celle d’une baisse assez gĂ©nĂ©rale du pouvoir d’achat, Ă  laquelle leur situation personnelle (et leurs efforts) leur permet d’échapper. En d’autres termes, nous pensons voir lĂ  une manifestation d’un biais pessimiste dans le passage de l’individuel au collectif.

Clivages sociaux dans la perception de l’avenir

Le premier clivage qui vient Ă  l’esprit sur les perceptions de l’avenir est celui des gĂ©nĂ©rations. MĂ©caniquement, les plus jeunes ont une vision plus positive de leur avenir proche que les personnes plus ĂągĂ©es, qui doivent raisonnablement anticiper les consĂ©quences nĂ©gatives du vieillissement1 (Figure 6).

Figure 6

La hiĂ©rarchie entre les classes d’ñge est ainsi plus marquĂ©e sur cette question que sur celle relative Ă  la vie actuelle. Sur la pĂ©riode rĂ©cente, nous relevons que la dĂ©gradation des perspectives individuelles, dont nous avons parlĂ© en premiĂšre partie, Ă©tait partagĂ©e par toutes les classes d’ñge avant le dĂ©but de la guerre en Ukraine. Depuis lors, le sentiment de cette dĂ©gradation des perspectives est davantage exprimĂ© par les rĂ©pondants de moins de 45 ans que par les gĂ©nĂ©rations plus ĂągĂ©es.

Sur une Ă©chelle temporelle plus longue, toutefois, les Ă©carts entre gĂ©nĂ©rations deviennent insignifiants. Concernant l’avenir collectif, le mĂȘme graphique montre trois courbes trĂšs proches, qui se croisent en permanence : le pessimisme quant aux perspectives Ă  moyen terme ne comporte pas de forte dimension gĂ©nĂ©rationnelle, les plus jeunes Ă©tant aussi pessimistes que les plus ĂągĂ©s (et rĂ©ciproquement).

En termes sociaux, la stratification est Ă©galement en demi-teinte dĂšs lors que l’on se projette Ă  l’horizon de la prochaine gĂ©nĂ©ration. Les plus aisĂ©s sont en moyenne plus optimistes, mais les Ă©carts sont faibles, et les mouvements convergents. La situation est plus contrastĂ©e lorsque l’on se place selon le niveau de diplĂŽme (Figure 7).

Figure 7

Les plus diplĂŽmĂ©s sont nettement plus optimistes quant aux perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration que les moins diplĂŽmĂ©s. Contrairement Ă  ce que nous avions observĂ© sur le niveau de confiance interpersonnelle (Beasley, PĂ©ron, et Perona 2018), oĂč les bacheliers (du bac gĂ©nĂ©ral) Ă©taient proches des autres diplĂŽmĂ©s du supĂ©rieur2, nous observons dans cette dimension un clivage qui passe plus haut dans la hiĂ©rarchie des diplĂŽmes. Les bacheliers ont en moyenne une apprĂ©ciation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration similaire Ă  celles des titulaires d’un CAP, BEP ou d’un brevet des collĂšges. Cette structure reflĂšte en partie les effets d’ñge, puisque les plus jeunes sont en moyenne plus diplĂŽmĂ©s, mais un effet propre du diplĂŽme vient s’y ajouter.

Nostalgie de la jeunesse, attirance pour le passé

Une préférence prononcée pour le passé

Outre ces regards sur l’avenir, nous posons depuis le dĂ©but de notre enquĂȘte la question : « Certaines personnes aimeraient bien vivre dans une autre Ă©poque en France. Si vous aviez le choix, laquelle choisiriez-vous ? Â». Comme en ce qui concerne la question sur le pays oĂč on aimerait vivre, nous laissons dans cette question la possibilitĂ© de rĂ©pondre « l’époque actuelle Â», et de fait 27% des rĂ©pondants la prĂ©fĂšrent, tant Ă  l’avenir qu’au passĂ©. Ce n’est pas surprenant, au regard de l’apprĂ©ciation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration : les deux tiers des rĂ©pondants choisissent des pĂ©riodes passĂ©es, tandis que l’avenir ne semble prĂ©fĂ©rable qu’à moins de 3% des rĂ©pondants. Cette prĂ©fĂ©rence pour le passĂ©, un passĂ© rĂ©cent (entre 1950 et les annĂ©es 2000, essentiellement), s’est accentuĂ©e depuis 2020, et particuliĂšrement entre la mi-2021 et dĂ©but 2022 (Figure 8), aprĂšs la phase aiguĂ« de l’épidĂ©mie de Covid-19.

Figure 8

Cette prĂ©fĂ©rence pour le passĂ© se concentre toutefois sur les annĂ©es 1960 Ă  1980. Tant les deux premiĂšres dĂ©cennies du XXIe siĂšcle que le passĂ© antĂ©rieur aux annĂ©es 1950 ne rĂ©coltent que quelques pourcents des rĂ©ponses. En dĂ©pit du succĂšs des images de « la France d’avant Â», seuls 3% des rĂ©pondants aimeraient vivre dans une pĂ©riode antĂ©rieure aux annĂ©es 1950.

Le dĂ©clenchement de la guerre en Ukraine a eu pour consĂ©quence lĂ©gĂšre une diminution de la part des rĂ©ponses portant sur l’avenir. PlutĂŽt qu’une menace sur le prĂ©sent, ce conflit semble donc jeter une ombre sur l’avenir plus lointain, ce qui n’avait pas Ă©tĂ© le cas pour l’épidĂ©mie.

Nostalgie d’un Ă©tat du pays ou nostalgie de sa jeunesse ?

Cette prĂ©fĂ©rence pour le passĂ© correspond-elle Ă  un regret pour un Ă©tat de la sociĂ©tĂ© française qui n’est plus, ou pour la vie que la personne menait Ă  cette Ă©poque ? Il s’agit en effet d’une question oĂč joue Ă  plein l’erreur fondamentale d’attribution, c’est-Ă -dire notre tendance naturelle Ă  nous laisser influencer dans notre apprĂ©ciation d’une personne ou d’une situation par des facteurs externes – par exemple, trouver une personne sympathique parce qu’elle vient nous annoncer une bonne nouvelle. Ici, les personnes qui sĂ©lectionnent des pĂ©riodes qu’elles ont vĂ©cues peuvent ĂȘtre influencĂ©es par leur bien-ĂȘtre Ă  l’époque. Si c’est le cas, la courbe en U de la satisfaction moyenne devrait les inciter Ă  se porter sur les pĂ©riodes oĂč la satisfaction est en moyenne la plus haute, c’est-Ă -dire la dĂ©cennie de leurs vingt ans. C’est effectivement ce que l’on observe (Figure 9).

Figure 9. Pour calculer l’ñge Ă  l’époque prĂ©fĂ©rĂ©e, nous avons pris comme rĂ©fĂ©rence le milieu de chaque dĂ©cennie, 1900 pour Autre passĂ©, et 2100 pour l’avenir. La ligne pointillĂ©e verticale surligne la barre correspondant Ă  20-25 ans, la ligne pleine

Dans une large majoritĂ©, les personnes sĂ©lectionnent l’époque de leur jeunesse, entre 15 et 30 ans, avec un pic entre et 20 et 25 ans. Pour une bonne partie des rĂ©pondants, la prĂ©fĂ©rence pour le passĂ© ne procĂšde pas tant de dĂ©sir d’un retour Ă  un Ă©tat antĂ©rieur de la sociĂ©tĂ© française que d’une nostalgie des annĂ©es de leur propre jeunesse. Les choses sont diffĂ©rentes pour les rĂ©ponses Ă  gauche de la ligne verticale : dans cette zone, les personnes n’étaient pas nĂ©es Ă  l’époque choisie, ou trop jeunes pour s’en souvenir (moins de 5 ans). Leur choix correspond donc bien Ă  la reprĂ©sentation d’un Ă©tat antĂ©rieur de la France, plus dĂ©sirable que celui dans lequel se trouverait la France actuelle.

À elles seules, les annĂ©es 1980 constituent la modalitĂ© de rĂ©ponse la plus frĂ©quente, quelle que soit la gĂ©nĂ©ration (Figure 10). L’effet de mĂ©moire de la jeunesse joue Ă  plein pour les classes d’ñge entre 45 et 65 ans (au fait que nous demandons une dĂ©cennie s’ajoute ici le fait que nous conduisons cette enquĂȘte depuis 2016 : Ă  cette date, les personnes de 45 ans Ă©taient nĂ©es en 1971, contre 1977 dans notre derniĂšre vague). En revanche, cette appĂ©tence pour les annĂ©es 1980 est moins Ă©vidente pour les gĂ©nĂ©rations plus jeunes. Pour celles-ci, on peut imaginer une transmission familiale : les personnes nĂ©es dans les annĂ©es 1990 (30 ans en 2020) ont en moyenne des parents qui ont eu 20 ans pendant les annĂ©es 1980, et peuvent porter une image positive de cette Ă©poque.

Figure 10

Qui sont les pessimistes ?

Nous avons vu qu’une personne sur 10 rĂ©pond Ă  la question relative aux perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration en choisissant la plus faible valeur possible, anticipant donc un futur bien pire que l’époque actuelle. Ces personnes se caractĂ©risent par un faible niveau de satisfaction, ainsi que des niveaux de diplĂŽme et de revenu plus faibles. Les rĂ©ponses Ă  0 sont ainsi deux fois plus frĂ©quentes (15%) chez les mĂ©nages du tiers infĂ©rieur des revenus que chez ceux du tiers supĂ©rieur (7%), et trois fois plus frĂ©quentes chez les non-diplĂŽmĂ©s (17%) que chez les titulaires d’un Master ou doctorat (5%). De mĂȘme, un quart des 10% les moins satisfaits de leur vie (satisfaction dans la vie infĂ©rieure ou Ă©gale Ă  4, voir (Perona 2022)) se positionnent Ă  0 quant aux perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration. Ce profil correspond Ă  celui des personnes les plus susceptibles de prĂ©fĂ©rer le passĂ© au prĂ©sent lorsque nous leur avons posĂ© la question. Toutefois, mĂȘme chez ces personnes, on n’observe pas de repli vers le passĂ© lointain, mais une forte propension Ă  se reporter Ă  l’époque de leur jeunesse.

En revanche, il importe de souligner que les contrastes gĂ©nĂ©rationnels disparaissent ici complĂštement : toutes les classes d’ñge comptent environ 10% de trĂšs pessimistes. Cela indique que la structure par Ăąge ne s’explique pas par une part plus Ă©levĂ©e de personnes sans espoir pour la prochaine gĂ©nĂ©ration chez les plus ĂągĂ©s, mais par une Ă©valuation progressivement plus nĂ©gative au milieu de l’échelle.

Conclusion

Notre enquĂȘte continue de mettre en Ă©vidence une tendance au pessimisme chez les Français. Celui-ci augmente lorsque l’horizon considĂ©rĂ© est plus Ă©loignĂ©, et que l’on passe de l’individuel au collectif. Les Ă©lections de 2017 ont montrĂ© qu’il Ă©tait possible de construire un programme qui fasse partager une vision plus positive de l’avenir collectif, mais cette amĂ©lioration a Ă©tĂ© de courte durĂ©e, et s’est Ă©crasĂ©e suite Ă  la crise des Gilets jaunes. Au-delĂ  de ces Ă©vĂ©nements, ce biais pessimiste rend probablement plus difficile l’élaboration du rĂ©cit d’un avenir collectif dĂ©sirable, en particulier dans un contexte de changement climatique (nous examinons cette question plus avant dans la sixiĂšme partie de cet ouvrage).

Le lien entre la faible satisfaction de vie et le pessimisme n’est pas propre Ă  la France, et a de lourdes consĂ©quences : aux États-Unis (Graham 2017) montre que la perte de confiance dans l’avenir entraĂźne un dĂ©sintĂ©rĂȘt pour les activitĂ©s et investissements qui y prĂ©parent, de l’épargne aux Ă©tudes en passant par le temps consacrĂ© Ă  l’éducation des enfants. Cela fait de ces publics une cible prioritaire de l’action publique, puisque leur pessimisme a une dimension auto-rĂ©alisatrice, non seulement pour eux mais aussi pour leurs enfants.

Bibliographie

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Blanchflower, David G. 2020. « Is Happiness U-Shaped Everywhere? Age and Subjective Well-Being in 145 Countries Â». 530. GLO Discussion Paper Series. GLO Discussion Paper Series. Global Labor Organization (GLO). https://ideas.repec.org/p/zbw/glodps/530.html.

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Perona, Mathieu. 2019. « Le Bien-ĂȘtre des Français – Mars 2019 : Un retour Ă  la normale Â». 2019‑04. Notes de l’Observatoire du bien-ĂȘtre. Paris: CEPREMAP. https://www.cepremap.fr/2019/04/note-de-lobservatoire-du-bien-etre-n2019-02-le-bien-etre-des-francais-mars-2019-un-retour-a-la-normale/.

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———. 2023. « Le Bien-ĂȘtre des Français – DĂ©cembre 2022 Â». 2023‑02. Notes de l’Observatoire du bien-ĂȘtre. Paris: CEPREMAP. https://www.cepremap.fr/2023/01/note-de-lobservatoire-du-bien-etre-n2023-02-le-bien-etre-des-francais-decembre-2022/.

2Juridiquement, le baccalaurĂ©at n’est pas l’examen de fin des Ă©tudes secondaires (ce qu’il est en pratique), mais l’examen d’entrĂ©e dans l’enseignement supĂ©rieur. C’est pourquoi nous parlons ici des autres diplĂŽmes du supĂ©rieur pour exclure le baccalaurĂ©at de cette catĂ©gorie.

  1. On observe cependant que la satisfaction dans la vie a en moyenne une courbe en U avec l’ñge, avec un point bas entre la quarantaine et la cinquantaine, une remontĂ©e vers les 60 ans puis une nouvelle dĂ©gradation (Blanchflower 2020). Les plus jeunes devraient donc anticiper une dĂ©gradation de leur situation, et les cinquantenaires une amĂ©lioration.
  2. Juridiquement, le baccalaurĂ©at n’est pas l’examen de fin des Ă©tudes secondaires (ce qu’il est en pratique), mais l’examen d’entrĂ©e dans l’enseignement supĂ©rieur. C’est pourquoi nous parlons ici des autres diplĂŽmes du supĂ©rieur pour exclure le baccalaurĂ©at de cette catĂ©gorie.