Un Ă©lĂ©ment marquant et constant de notre enquĂȘte trimestrielle sur le bien-ĂȘtre subjectif est le degrĂ© de pessimisme des Français. Leur Ă©valuation de ce quâils vont vivre dans les annĂ©es Ă venir est assez systĂ©matiquement plus nĂ©gative que celle de leur situation actuelle, et leur apprĂ©ciation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration sont franchement sombres.
Dans ce contraste se joue un effet dâhorizon : si les Ă©valuations sur les prochaines annĂ©es enregistrent un simple dĂ©calage vers le nĂ©gatif, le saut Ă lâhorizon dâune gĂ©nĂ©ration a pour consĂ©quence de faire apparaĂźtre une part significative des rĂ©ponses â 10 % â qui pensent que la situation sera bien pire quâaujourdâhui.
Nous observons un clivage gĂ©nĂ©rationnel dans cette vision de lâavenir : les jeunes sont plus optimistes que leurs aĂźnĂ©s quant Ă leurs perspectives individuelles. Ce clivage disparaĂźt toutefois sur les perspectives collectives de long terme, toutes les tranches dâĂąge Ă©tant Ă©galement pessimistes. Ă cette Ă©chelle, câest plutĂŽt le niveau de diplĂŽme qui est discriminant, les diplĂŽmĂ©s dâun bac+2 et au-delĂ Ă©tant un peu plus optimistes. Inversement, les trĂšs pessimistes sont plus nombreux parmi les mĂ©nages modestes et peu diplĂŽmĂ©s, et lâĂąge nâest pas non plus ici un facteur.
Enfin, sâils avaient le choix, beaucoup de Français prĂ©fĂ©reraient vivre dans un passĂ© rĂ©cent. Pour partie, cette appĂ©tence reflĂšte une histoire personnelle : beaucoup choisissent la dĂ©cennie de leurs 20 ans. Dâautres sĂ©lectionnent une pĂ©riode â souvent les annĂ©es 1980 â antĂ©rieure Ă leur naissance, traduisant la prĂ©sence dâune image sociale positive de cette dĂ©cennie.
Publiée le 08 février 2023
Mathieu Perona, Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap
Un nouveau regard sur le
pessimisme des Français
DĂšs les premiĂšres vagues de notre enquĂȘte trimestrielle (Algan, Beasley, et Senik 2017), nous avions relevĂ© que les Français sont pessimistes concernant lâavenir de leur pays. Les deux questions portant sur les perspectives des gĂ©nĂ©rations futures (en France et en Europe hors de France) recueillent les rĂ©ponses moyennes les plus basses parmi les questions de notre tableau de bord. Le premier point dâĂ©tape de nos travaux (Algan et al. 2018) a fait de ce constat un axe structurant de lâanalyse de la situation française, qui contraste avec le niveau relativement Ă©levĂ© des indicateurs individuels, y compris ceux tournĂ©s vers lâavenir, ainsi quâavec le pessimisme Ă lâĂ©chelle du pays, ou encore la nostalgie du passĂ© rĂ©cent. Avec quelques annĂ©es de recul â et lâexpĂ©rience dâune pandĂ©mie, nous revisitons maintenant ce sujet afin de donner des Ă©clairages plus prĂ©cis sur la maniĂšre dont ce contraste se manifeste, ainsi que sur les clivages gĂ©nĂ©rationnels et sociaux quâil met en Ă©vidence.
Le prĂ©sent, lâavenir et le collectif
Depuis le dĂ©but de notre enquĂȘte, nous observons une hiĂ©rarchisation claire : sur une mĂȘme Ă©chelle de 0 Ă 10, lâapprĂ©ciation de la vie actuelle est supĂ©rieure Ă celle des annĂ©es Ă venir (Vie future), elle-mĂȘme nettement supĂ©rieure Ă celle portant sur les perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration en France (Figure 1).

LâĂ©cart entre lâapprĂ©ciation de la vie actuelle et de la vie future est suffisant pour que la moyenne trimestrielle la plus faible sur la satisfaction dans la vie actuelle reste supĂ©rieure Ă la moyenne la plus Ă©levĂ©e quant Ă la vie future. Hormis pendant la pĂ©riode du Covid-19, les variations dans lâapprĂ©ciation de lâavenir individuel vont dans la mĂȘme direction que celles de la vie actuelle, et amplifient ces derniĂšres. Pour la plupart des Français, leur avenir personnel ressemble Ă une amplification de leur situation actuelle. Face Ă un choc nĂ©gatif, comme la crise des Gilets jaunes, lâidĂ©e que « ça ira mieux demain » est ainsi moins forte que le sentiment que ces Ă©vĂ©nements vont affecter nĂ©gativement notre situation sur plusieurs annĂ©es â et inversement quand les choses sâamĂ©liorent.
LâĂ©valuation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration, en France comme en Europe est davantage pessimiste, et ce trĂšs nettement, avec une moyenne Ă peine supĂ©rieure Ă 4. De nos 16 questions « positives » (oĂč 10 reprĂ©sente la meilleure situation et 0 la moins bonne), les deux questions relatives Ă lâavenir de la prochaine gĂ©nĂ©ration sont les seules Ă recueillir une rĂ©ponse moyenne infĂ©rieure Ă 5. Parmi les apprĂ©ciations de la situation prĂ©sente, la question qui recueille la moyenne la plus faible porte sur lâĂ©quilibre des temps de vie, avec une moyenne aux alentours de 6. Ce contraste illustre lâampleur du pessimisme moyen des Français.
LâapprĂ©ciation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration ne suit que trĂšs partiellement les variations conjoncturelles de la satisfaction gĂ©nĂ©rale Ă lâĂ©gard du prĂ©sent. Nous avions relevĂ© la forte augmentation des opinions favorables au moment de lâĂ©lection prĂ©sidentielle de 2017 (Algan et al. 2017), puis la rapide rĂ©cupĂ©ration aprĂšs la crise des Gilets jaunes (Perona 2019). Alors que les autres dimensions du bien-ĂȘtre subjectif connaissaient des variations inĂ©dites, les avis sur les perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration ont moins Ă©voluĂ© pendant la pandĂ©mie de Covid-19, reflĂ©tant le sentiment quâil sâagissait dâun phĂ©nomĂšne passager, et donc une forme de confiance dans la capacitĂ© de nos sociĂ©tĂ©s Ă enrayer durablement la pandĂ©mie. En revanche, elle se dĂ©grade assez nettement depuis lâĂ©tĂ© 2021. Le dĂ©but de la guerre en Ukraine a paradoxalement conduit Ă une lĂ©gĂšre amĂ©lioration, sans doute face au constat inattendu dâune unitĂ© dans lâaction europĂ©enne contre la Russie, avant de revenir Ă un niveau dĂ©primĂ©.

Les perspectives de la prochaine génération en Europe, en dehors de la France, évoluent de maniÚre assez parallÚle à celles relevées en France (Figure 2), tout en étant un peu plus optimistes, et ce presque toujours. Le pessimisme des Français comporte donc bien une dimension nationale : si nous ressentons une communauté de destin avec les autres pays européens, la trajectoire de la France nous semble moins favorable que celle de ses voisins.
Sommes-nous tous pessimistes ?
Tant le niveau de ces moyennes que leur Ă©volution peuvent reflĂ©ter deux situations : soit un pessimisme collectif, soit un phĂ©nomĂšne plus circonscrit, reposant sur une part de la population qui serait trĂšs pessimiste. Pour distinguer les deux, nous reprĂ©sentons la part des rĂ©ponses sur chacun des barreaux de lâĂ©chelle de 0 Ă 10, pour les trois questions de la premiĂšre figure (Figure 3).

LâĂ©cart avec les rĂ©ponses sur les perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration est beaucoup plus net. Dâune distribution oĂč la plupart des rĂ©ponses sâĂ©talent entre 5 et 8, on passe Ă une distribution plus large, entre 3 et 6. La formulation de la question (« Comment pensez-vous que sera la vie en France pour la prochaine gĂ©nĂ©ration ? De 0 (âBien pire quâaujourdâhuiâ) Ă 10 (âBien meilleure quâaujourdâhuiâ) » doit avoir une influence, mais on observe quâune majoritĂ© de personnes pensent que la prochaine gĂ©nĂ©ration fera face Ă une situation dĂ©gradĂ©e. Un pessimisme modĂ©rĂ©, relativement Ă lâĂ©valuation de la situation actuelle ou du futur individuel, est effectivement un trait assez gĂ©nĂ©ral de la population.
Toutefois, on remarque Ă©galement quâune personne sur 10 rĂ©pond 0, soit la pire Ă©valuation possible, Ă cette question â une accumulation au bas de lâĂ©chelle, Ă un niveau qui nâest observĂ© dans aucune des autres questions de notre tableau de bord (Perona 2022). Le faible niveau de lâĂ©valuation moyenne sâexplique donc aussi par une part significative de la population qui est trĂšs pessimiste quant Ă lâĂ©tat de la France ou de lâEurope pour la prochaine gĂ©nĂ©ration.
Pessimisme individuel ou pessimiste collectif ?
Il ne faudrait cependant pas, au vu des rĂ©sultats ci-dessus, conclure trop vite que tous les Français sont pessimistes. Comme nous posons lâensemble de nos questions sur le bien-ĂȘtre subjectif Ă toutes les personnes rĂ©pondant Ă lâenquĂȘte, nous pouvons comparer au niveau individuel le positionnement relatif des rĂ©ponses (Figure 4).

En pratique, un peu moins de la moitiĂ© des rĂ©pondants (47%) sĂ©lectionnent une rĂ©ponse plus faible sur lâĂ©valuation de leurs perspectives dans les annĂ©es Ă venir que sur lâĂ©valuation de leur vie actuelle, 39% sĂ©lectionnent la mĂȘme note et 14% ont une Ă©valuation supĂ©rieure. La dĂ©gradation de lâĂ©valuation de lâavenir en cours depuis lâĂ©tĂ© 2021 se traduit ici par une augmentation de la part des pessimistes, qui dĂ©passe durablement les 50% pour la premiĂšre fois depuis le dĂ©but de lâenquĂȘte.
Lorsquâon se projette vers lâavenir collectif, le pessimisme liĂ© Ă lâavenir se conjugue avec un pessimisme propre au passage de lâindividuel au collectif. Nous en voyons la marque en comparant les rĂ©ponses aux questions sur la situation financiĂšre du mĂ©nage Ă 12 mois et le niveau de vie en France Ă la mĂȘme Ă©chĂ©ance (Figure 5).

Comme nous le relevions dans notre note de conjoncture du dĂ©but dâannĂ©e (Perona 2023), la plupart des mĂ©nages estiment sur la pĂ©riode que leur situation financiĂšre va rester stationnaire. Cependant, la majoritĂ© des mĂ©nages qui estiment que leur situation individuelle va sâamĂ©liorer anticipent dans le mĂȘme temps une dĂ©gradation du niveau de vie en France, et il en va de mĂȘme pour une large partie des mĂ©nages qui pensent que leur situation restera inchangĂ©e. Cette conjonction nâest pas une impossibilitĂ© logique : le niveau de vie moyen en France peut se dĂ©grader alors quâune majoritĂ© des mĂ©nages voit ses finances rester stables ou sâamĂ©liorer si lâon anticipe une perte de pouvoir dâachat trĂšs forte dâune minoritĂ© de la population. Le caractĂšre massif et rĂ©gulier de cet Ă©cart suggĂšre cependant que ce nâest pas cette configuration que la plupart des rĂ©pondants ont en tĂȘte, mais bien celle dâune baisse assez gĂ©nĂ©rale du pouvoir dâachat, Ă laquelle leur situation personnelle (et leurs efforts) leur permet dâĂ©chapper. En dâautres termes, nous pensons voir lĂ une manifestation dâun biais pessimiste dans le passage de lâindividuel au collectif.
Clivages sociaux dans la perception de lâavenir
Le premier clivage qui vient Ă lâesprit sur les perceptions de lâavenir est celui des gĂ©nĂ©rations. MĂ©caniquement, les plus jeunes ont une vision plus positive de leur avenir proche que les personnes plus ĂągĂ©es, qui doivent raisonnablement anticiper les consĂ©quences nĂ©gatives du vieillissement1 (Figure 6).

La hiĂ©rarchie entre les classes dâĂąge est ainsi plus marquĂ©e sur cette question que sur celle relative Ă la vie actuelle. Sur la pĂ©riode rĂ©cente, nous relevons que la dĂ©gradation des perspectives individuelles, dont nous avons parlĂ© en premiĂšre partie, Ă©tait partagĂ©e par toutes les classes dâĂąge avant le dĂ©but de la guerre en Ukraine. Depuis lors, le sentiment de cette dĂ©gradation des perspectives est davantage exprimĂ© par les rĂ©pondants de moins de 45 ans que par les gĂ©nĂ©rations plus ĂągĂ©es.
Sur une Ă©chelle temporelle plus longue, toutefois, les Ă©carts entre gĂ©nĂ©rations deviennent insignifiants. Concernant lâavenir collectif, le mĂȘme graphique montre trois courbes trĂšs proches, qui se croisent en permanence : le pessimisme quant aux perspectives Ă moyen terme ne comporte pas de forte dimension gĂ©nĂ©rationnelle, les plus jeunes Ă©tant aussi pessimistes que les plus ĂągĂ©s (et rĂ©ciproquement).
En termes sociaux, la stratification est Ă©galement en demi-teinte dĂšs lors que lâon se projette Ă lâhorizon de la prochaine gĂ©nĂ©ration. Les plus aisĂ©s sont en moyenne plus optimistes, mais les Ă©carts sont faibles, et les mouvements convergents. La situation est plus contrastĂ©e lorsque lâon se place selon le niveau de diplĂŽme (Figure 7).

Les plus diplĂŽmĂ©s sont nettement plus optimistes quant aux perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration que les moins diplĂŽmĂ©s. Contrairement Ă ce que nous avions observĂ© sur le niveau de confiance interpersonnelle (Beasley, PĂ©ron, et Perona 2018), oĂč les bacheliers (du bac gĂ©nĂ©ral) Ă©taient proches des autres diplĂŽmĂ©s du supĂ©rieur2, nous observons dans cette dimension un clivage qui passe plus haut dans la hiĂ©rarchie des diplĂŽmes. Les bacheliers ont en moyenne une apprĂ©ciation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration similaire Ă celles des titulaires dâun CAP, BEP ou dâun brevet des collĂšges. Cette structure reflĂšte en partie les effets dâĂąge, puisque les plus jeunes sont en moyenne plus diplĂŽmĂ©s, mais un effet propre du diplĂŽme vient sây ajouter.
Nostalgie de la jeunesse, attirance pour le passé
Une préférence prononcée pour le passé
Outre ces regards sur lâavenir, nous posons depuis le dĂ©but de notre enquĂȘte la question : « Certaines personnes aimeraient bien vivre dans une autre Ă©poque en France. Si vous aviez le choix, laquelle choisiriez-vous ? ». Comme en ce qui concerne la question sur le pays oĂč on aimerait vivre, nous laissons dans cette question la possibilitĂ© de rĂ©pondre « lâĂ©poque actuelle », et de fait 27% des rĂ©pondants la prĂ©fĂšrent, tant Ă lâavenir quâau passĂ©. Ce nâest pas surprenant, au regard de lâapprĂ©ciation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration : les deux tiers des rĂ©pondants choisissent des pĂ©riodes passĂ©es, tandis que lâavenir ne semble prĂ©fĂ©rable quâĂ moins de 3% des rĂ©pondants. Cette prĂ©fĂ©rence pour le passĂ©, un passĂ© rĂ©cent (entre 1950 et les annĂ©es 2000, essentiellement), sâest accentuĂ©e depuis 2020, et particuliĂšrement entre la mi-2021 et dĂ©but 2022 (Figure 8), aprĂšs la phase aiguĂ« de lâĂ©pidĂ©mie de Covid-19.

Cette prĂ©fĂ©rence pour le passĂ© se concentre toutefois sur les annĂ©es 1960 Ă 1980. Tant les deux premiĂšres dĂ©cennies du XXIe siĂšcle que le passĂ© antĂ©rieur aux annĂ©es 1950 ne rĂ©coltent que quelques pourcents des rĂ©ponses. En dĂ©pit du succĂšs des images de « la France dâavant », seuls 3% des rĂ©pondants aimeraient vivre dans une pĂ©riode antĂ©rieure aux annĂ©es 1950.
Le dĂ©clenchement de la guerre en Ukraine a eu pour consĂ©quence lĂ©gĂšre une diminution de la part des rĂ©ponses portant sur lâavenir. PlutĂŽt quâune menace sur le prĂ©sent, ce conflit semble donc jeter une ombre sur lâavenir plus lointain, ce qui nâavait pas Ă©tĂ© le cas pour lâĂ©pidĂ©mie.
Nostalgie dâun Ă©tat du pays ou nostalgie de sa jeunesse ?
Cette prĂ©fĂ©rence pour le passĂ© correspond-elle Ă un regret pour un Ă©tat de la sociĂ©tĂ© française qui nâest plus, ou pour la vie que la personne menait Ă cette Ă©poque ? Il sâagit en effet dâune question oĂč joue Ă plein lâerreur fondamentale dâattribution, câest-Ă -dire notre tendance naturelle Ă nous laisser influencer dans notre apprĂ©ciation dâune personne ou dâune situation par des facteurs externes â par exemple, trouver une personne sympathique parce quâelle vient nous annoncer une bonne nouvelle. Ici, les personnes qui sĂ©lectionnent des pĂ©riodes quâelles ont vĂ©cues peuvent ĂȘtre influencĂ©es par leur bien-ĂȘtre Ă lâĂ©poque. Si câest le cas, la courbe en U de la satisfaction moyenne devrait les inciter Ă se porter sur les pĂ©riodes oĂč la satisfaction est en moyenne la plus haute, câest-Ă -dire la dĂ©cennie de leurs vingt ans. Câest effectivement ce que lâon observe (Figure 9).

Dans une large majoritĂ©, les personnes sĂ©lectionnent lâĂ©poque de leur jeunesse, entre 15 et 30 ans, avec un pic entre et 20 et 25 ans. Pour une bonne partie des rĂ©pondants, la prĂ©fĂ©rence pour le passĂ© ne procĂšde pas tant de dĂ©sir dâun retour Ă un Ă©tat antĂ©rieur de la sociĂ©tĂ© française que dâune nostalgie des annĂ©es de leur propre jeunesse. Les choses sont diffĂ©rentes pour les rĂ©ponses Ă gauche de la ligne verticale : dans cette zone, les personnes nâĂ©taient pas nĂ©es Ă lâĂ©poque choisie, ou trop jeunes pour sâen souvenir (moins de 5 ans). Leur choix correspond donc bien Ă la reprĂ©sentation dâun Ă©tat antĂ©rieur de la France, plus dĂ©sirable que celui dans lequel se trouverait la France actuelle.
Ă elles seules, les annĂ©es 1980 constituent la modalitĂ© de rĂ©ponse la plus frĂ©quente, quelle que soit la gĂ©nĂ©ration (Figure 10). Lâeffet de mĂ©moire de la jeunesse joue Ă plein pour les classes dâĂąge entre 45 et 65 ans (au fait que nous demandons une dĂ©cennie sâajoute ici le fait que nous conduisons cette enquĂȘte depuis 2016 : Ă cette date, les personnes de 45 ans Ă©taient nĂ©es en 1971, contre 1977 dans notre derniĂšre vague). En revanche, cette appĂ©tence pour les annĂ©es 1980 est moins Ă©vidente pour les gĂ©nĂ©rations plus jeunes. Pour celles-ci, on peut imaginer une transmission familiale : les personnes nĂ©es dans les annĂ©es 1990 (30 ans en 2020) ont en moyenne des parents qui ont eu 20 ans pendant les annĂ©es 1980, et peuvent porter une image positive de cette Ă©poque.

Qui sont les pessimistes ?
Nous avons vu quâune personne sur 10 rĂ©pond Ă la question relative aux perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration en choisissant la plus faible valeur possible, anticipant donc un futur bien pire que lâĂ©poque actuelle. Ces personnes se caractĂ©risent par un faible niveau de satisfaction, ainsi que des niveaux de diplĂŽme et de revenu plus faibles. Les rĂ©ponses Ă 0 sont ainsi deux fois plus frĂ©quentes (15%) chez les mĂ©nages du tiers infĂ©rieur des revenus que chez ceux du tiers supĂ©rieur (7%), et trois fois plus frĂ©quentes chez les non-diplĂŽmĂ©s (17%) que chez les titulaires dâun Master ou doctorat (5%). De mĂȘme, un quart des 10% les moins satisfaits de leur vie (satisfaction dans la vie infĂ©rieure ou Ă©gale Ă 4, voir (Perona 2022)) se positionnent Ă 0 quant aux perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration. Ce profil correspond Ă celui des personnes les plus susceptibles de prĂ©fĂ©rer le passĂ© au prĂ©sent lorsque nous leur avons posĂ© la question. Toutefois, mĂȘme chez ces personnes, on nâobserve pas de repli vers le passĂ© lointain, mais une forte propension Ă se reporter Ă lâĂ©poque de leur jeunesse.
En revanche, il importe de souligner que les contrastes gĂ©nĂ©rationnels disparaissent ici complĂštement : toutes les classes dâĂąge comptent environ 10% de trĂšs pessimistes. Cela indique que la structure par Ăąge ne sâexplique pas par une part plus Ă©levĂ©e de personnes sans espoir pour la prochaine gĂ©nĂ©ration chez les plus ĂągĂ©s, mais par une Ă©valuation progressivement plus nĂ©gative au milieu de lâĂ©chelle.
Conclusion
Notre enquĂȘte continue de mettre en Ă©vidence une tendance au pessimisme chez les Français. Celui-ci augmente lorsque lâhorizon considĂ©rĂ© est plus Ă©loignĂ©, et que lâon passe de lâindividuel au collectif. Les Ă©lections de 2017 ont montrĂ© quâil Ă©tait possible de construire un programme qui fasse partager une vision plus positive de lâavenir collectif, mais cette amĂ©lioration a Ă©tĂ© de courte durĂ©e, et sâest Ă©crasĂ©e suite Ă la crise des Gilets jaunes. Au-delĂ de ces Ă©vĂ©nements, ce biais pessimiste rend probablement plus difficile lâĂ©laboration du rĂ©cit dâun avenir collectif dĂ©sirable, en particulier dans un contexte de changement climatique (nous examinons cette question plus avant dans la sixiĂšme partie de cet ouvrage).
Le lien entre la faible satisfaction de vie et le pessimisme nâest pas propre Ă la France, et a de lourdes consĂ©quences : aux Ătats-Unis (Graham 2017) montre que la perte de confiance dans lâavenir entraĂźne un dĂ©sintĂ©rĂȘt pour les activitĂ©s et investissements qui y prĂ©parent, de lâĂ©pargne aux Ă©tudes en passant par le temps consacrĂ© Ă lâĂ©ducation des enfants. Cela fait de ces publics une cible prioritaire de lâaction publique, puisque leur pessimisme a une dimension auto-rĂ©alisatrice, non seulement pour eux mais aussi pour leurs enfants.
Bibliographie
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Graham, Carol. 2017. Happiness for All? Princeton: Princeton Unversity Press.
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2Juridiquement, le baccalaurĂ©at nâest pas lâexamen de fin des Ă©tudes secondaires (ce quâil est en pratique), mais lâexamen dâentrĂ©e dans lâenseignement supĂ©rieur. Câest pourquoi nous parlons ici des autres diplĂŽmes du supĂ©rieur pour exclure le baccalaurĂ©at de cette catĂ©gorie.
- On observe cependant que la satisfaction dans la vie a en moyenne une courbe en U avec lâĂąge, avec un point bas entre la quarantaine et la cinquantaine, une remontĂ©e vers les 60 ans puis une nouvelle dĂ©gradation (Blanchflower 2020). Les plus jeunes devraient donc anticiper une dĂ©gradation de leur situation, et les cinquantenaires une amĂ©lioration.
- Juridiquement, le baccalaurĂ©at nâest pas lâexamen de fin des Ă©tudes secondaires (ce quâil est en pratique), mais lâexamen dâentrĂ©e dans lâenseignement supĂ©rieur. Câest pourquoi nous parlons ici des autres diplĂŽmes du supĂ©rieur pour exclure le baccalaurĂ©at de cette catĂ©gorie.