En 2021, le changement climatique était considéré par l’ensemble des Européens comme le problème le plus inquiétant auquel le monde ait à faire face, au même titre que la propagation des maladies infectieuses. Bien que bouleversés par la pandémie mondiale du COVID-19, les habitants des pays de l’Union Européenne sont restés conscients des conséquences néfastes du réchauffement climatique. La menace que ce dernier représente pour notre bien-être se traduit notamment par la multiplication des catastrophes naturelles, et donc des risques pour les systèmes naturels et humains. La réduction à grande échelle des émissions de gaz à effet de serre (GES), la modification des modes de vies et l’adaptation des infrastructures dans les zones à risque sont devenues aujourd’hui des mesures vitales.
Il s’agit ici tout d’abord de déterminer les différences de perception du changement climatique et des pratiques écologiques entre les pays européens. Certaines régions d’Europe ressentent déjà les effets du réchauffement climatique (incendies, canicules, inondations …) tandis que d’autres sont encore relativement épargnées. Cela explique les avis divergents concernant l’urgence à agir, auxquels s’ajoutent les différences culturelles. Dans un deuxième temps, nous analysons la relation entre ces actions et le bien-être de ceux qui les mettent en œuvre. L’utilisation de transports respectueux de l’environnement ou encore l’achat de produits issus de l’agriculture biologique sont corrélés avec une satisfaction de vie plus élevée. Toutefois, la position sociale et le sexe des individus jouent aussi un grand rôle dans la pratique quotidienne de ces actions pro-environnementales.
Corin Blanc, Observatoire du Bien-être du Cepremap
Publié le 30 janvier 2022
Un consensus environnemental européen robuste
Une perception du changement climatique homogène
C’est au Portugal que la plus forte inquiétude vis-à-vis du changement climatique est exprimée. Ce sentiment devrait d’ailleurs se renforcer dans les années à venir, puisqu’en 2022 la péninsule a été touchée par une sécheresse record et des incendies ravageurs, entraînant la destruction de 94 000 hectares de forêt entre janvier en septembre 2022. Les retombées économiques et humaines lourdes entretiennent ce sentiment de danger. Les Français font également partie des individus les plus préoccupés par le réchauffement climatique en Europe. Pour rappel, les préoccupations environnementales se hissent aux deuxième rang des inquiétudes principales en France, derrière la violence et l’insécurité (Millot et Müller 2022).
À l’inverse, on constate un intérêt moins prononcé dans certains pays d’Europe centrale et orientale pour le sujet. De fait, les habitants de la Tchéquie, de l’Estonie et de la Lettonie se sentent moins menacés que leurs voisins Européens.
La réduction des émissions de GES : un objectif européen plébiscité
Le budget carbone restant pour limiter le réchauffement climatique à 2°C1, comme défini par le GIEC, est d’environ 900 GtCO2e2. En 2021, les émissions mondiales de GES s’élevaient à environ 50 GtCO2e. Ainsi, ce budget carbone risque de s’épuiser en moins de 18 ans, dans le scénario où aucune réduction des émissions de GES n’est réalisée (Schubert et Henriet 2021).
C’est pourquoi l’Union Européenne fait de la neutralité carbone dès 2050 sa stratégie principale3. Cette décision est plébiscitée par l’ensemble de la population européenne : 91% des répondants disent être plutôt ou tout à fait d’accord avec la nécessité de “réduire nos émissions de gaz à effet de serre au minimum tout en compensant les émissions restantes […] afin de rendre l’économie de l’UE neutre pour le climat d’ici à 2050.”
La localisation du pays influence encore une fois l’intensité de l’adhésion à cette politique. Les personnes les plus favorables à la politique de neutralité carbone se trouvent en majorité dans les pays où les conséquences du changement climatique seront les plus importantes à court terme : la sécheresse et les incendies au Portugal et en Espagne, les inondations et les tempêtes à Chypre, Malte ou encore en Irlande. En outre, La majorité des Etats où l’adhésion est la moins unanime sont des Etats d’Europe centrale et orientale.
Sans surprise, une corrélation positive forte existe entre la perception du caractère urgent et sérieux du changement climatique et l’adhésion à la décision de réduire les émissions de GES, en plus de l’effet géographique décrit précédemment. Les personnes les plus inquiètes adhèrent plus vivement à la lutte contre le réchauffement climatique à travers une baisse des émissions.
Contribuer individuellement à la lutte contre le réchauffement climatique : un effet positif sur le bien-être
Qui s’active en Europe ?
Transformer nos habitudes quotidiennes pour les mettre en phase avec les objectifs environnementaux est aujourd’hui une nécessité largement admise par les Français. En effet, 62% d’entre eux estiment qu’il faudra modifier de façon importante nos modes de vie, et 87% désirent « revenir à l’essentiel et au bon sens plutôt que d’innover à tout prix » (Agence de la Transition Ecologique 2023). Cependant, il semblerait que le modèle économique de nos sociétés, ainsi que les attitudes de consommation qu’il engendre fassent obstacle à l’intégration des pratiques respectueuses de l’environnement dans la routine des individus.
Ce résultat semble s’étendre à l’ensemble des Européens. Alors que le changement climatique est considéré comme un problème sérieux par la grande majorité des Européens, les actions individuelles pour contribuer à le limiter sont encore faiblement ancrées dans leurs habitudes. À la question “Avez-vous personnellement pris des mesures pour contribuer à la lutte contre le changement climatique au cours des six derniers mois ?”, seulement 62% des Européens répondent positivement en 2021. A cela s’ajoute une forte hétérogénéité entre les pays. Les Portugais occupent encore une fois la tête du classement, avec 83% de réponses positives, tandis que moins d’une personne sur deux dit avoir adapté ses habitudes en Italie. Notre voisin transalpin est un parfait exemple démontrant que l’inquiétude face au changement climatique n’est pas systématiquement vectrice de transformation des pratiques. Pour devenir effective, cette transformation doit être accompagnée de campagnes d’information et d’alternatives accessibles par tous.
Pratiques respectueuses de l’environnement et satisfaction de vie
Une corrélation positive et significative entre la satisfaction de vie des Européens et la pratique d’actions respectueuses de l’environnement dans les 6 mois précédant les enquêtes de 2017, 2019 et 2021 émerge de notre étude. 26% des individus ayant annoncé qu’ils avaient contribué à la lutte contre le changement climatique disent être très satisfaits de la vie qu’ils mènent, tandis que c’est le cas pour seulement 17% des autres répondants. Toutefois, ces données ne permettent pas de savoir si les plus satisfaits sont les plus engagés dans la protection de l’environnement, ou si c’est l’engagement lui-même qui apporte un surplus de satisfaction. Nous ne pouvons donc pas établir le lien de causalité entre actions pro-environnementales et accroissement du bien-être.
Quelles actions concrètes des individus pour l’environnement ?
En Europe
Il est nécessaire de s’interroger sur la nature des pratiques respectueuses de l’environnement. Notre étude montre que la réduction et le tri des déchets ainsi que la diminution de consommation des produits jetables comme les sacs plastiques ou les emballages superflus sont les deux mesures les plus prisées par les Européens. Elles se sont répandues notamment grâce aux nombreuses campagnes de prévention, comme la Semaine Européenne de la Réduction des Déchets, rendez-vous européen annuel de sensibilisation à la question du tri des déchets.
A l’inverse, d’autres actions sont encore boudées par une grande partie de la population, pour différentes raisons. Certaines peuvent représenter un coût monétaire important, comme acheter une voiture électrique ou des équipements énergétiquement efficaces. D’autres actions ne peuvent être mises en œuvre que par des individus propriétaires de leur logement. Enfin, certaines actions entraînent un certain coût émotionnel, comme la réduction de la consommation de viande ou la prise en compte de l’empreinte carbone du transport lors de la planification des vacances.
En France
L’ordre des pratiques environnementales en France est proche de la moyenne européenne ce qui est le cas pour un grand nombre d’autres pays européens par ailleurs. Ainsi, le tri est pratiqué par 83% des Français, et la réduction des produits jetables par un peu plus de la moitié de la population. Quelques spécificités sont tout de même à noter : l’achat d’aliments issus de l’agriculture biologique ainsi que la réduction de la consommation de viande sont deux mesures en vogue en France avec un différentiel d’environ 10 points de pourcentage par rapport à la moyenne européenne. À l’inverse, seulement un quart des Français choisissent plus souvent un mode de transport respectueux de l’environnement, comme le vélo ou les transports en commun, plutôt que la voiture privée, tandis que dans la moyenne européenne, une personne sur trois fait ce choix.
Au sein même de la population française, les individus ne choisissent pas d’agir de la même façon. L’âge ne semble pas être un facteur critique menant à des différences de pratiques pro-environnementales. Toutefois, on constate une fréquence moindre dans l’isolement du logement des plus jeunes (qui s’explique car ils ne sont pas propriétaires), ainsi qu’une tendance plus faible à prendre en compte la consommation d’énergie comme caractéristique décisive lors de l’achat d’un appareil ménager. Cependant, il reste que deux autres caractéristiques socio-démographiques apparaissent comme déterminantes : la position sociale (soutenue par le revenu), ainsi que le sexe des individus.
Les ménages avec un faible revenu ont plus de difficultés à acheter des produits bio, des appareils énergétiquement efficients, mais aussi à moins prendre la voiture. Cela s’explique par l’accès restreint aux transports en commun, voire par l’inexistence d’infrastructures de transport, telles que les pistes cyclables protégées, dont souffrent les populations défavorisées (Perona 2023). Ce sont les plus riches qui réduisent le plus fréquemment leur consommation de produits jetables en limitant par exemple leurs achats en supermarché et se tournant vers des alternatives zéro déchet. Enfin la consommation de viande est également fortement influencée par la position sociale : les ménages les plus modestes la réduisent en moyenne moins fréquemment que les autres (Tavoularis et Sauvage 2018). Ce résultat va de pair avec une plus faible prise en compte de l’empreinte carbone lors des achats de nourriture par ces populations (13% chez les ouvriers contre 34% des individus de la classe moyenne supérieure). Les émissions individuelles de GES engendrées par des trajets sur de longues distances sont aussi plus régulièrement la cause d’adaptation du moyen de transport pour les plus riches (20% chez les représentants de la classe moyenne supérieure contre 5% chez les ouvriers), mais cette différence ne doit pas cacher l’écart initial du nombre de voyages et la diversité des transports utilisés en fonction de la richesse des individus.
Le genre des individus s’inscrit aussi comme un marqueur de différences des pratiques pro-environnementales. Les femmes ont ainsi tendance à acheter plus souvent des produits bio ou à faire le tri des déchets. Ce résultat s’explique certainement par la forte inégalité marquant la division genrée du travail domestique. Au total, 31% des femmes annoncent consacrer 2 à 4 heures par jour aux tâches domestiques, contre seulement 16% des hommes (Delhomme, Pétillon, et Rivillon 2022). Puisqu’elles sont en moyenne plus souvent en charge des tâches ménagères comme les courses ou la cuisine, il n’est donc pas étonnant qu’elles soient plus nombreuses à pratiquer des mesures écologiques les concernant au quotidien. Nous ne nous pouvons d’ailleurs pas exclure que ces pratiques participent au surplus de charge mentale qui pèse sur une grande partie d’entre elles, et donc sur leur bien-être.
En outre, environ une Française sur deux dit réduire sa consommation de viande en 2021, tandis que seulement 36% des hommes ont intégré cette pratique dans leur quotidien. Manger de la viande, et notamment de la viande rouge, est plus souvent associé à une alimentation masculine virile (Nath 2011). Cette construction sociale marque un obstacle à la réduction ou à l’élimination de ces produits dans la consommation habituelle des individus, puisque cela questionne aussi les normes de partage, d’organisation sociale des repas et d’identité (Diasio et Fidolini 2019). En France, ces clichés concernant les rôles de genre sont encore très marqués puisque 23% des hommes estiment que le barbecue est « une affaire d’hommes » (« Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France » 2023).
Ces mesures rendent-elles heureux ?
En France, certaines mesures écologiques semblent influencer positivement le bien-être de ceux qui les pratiquent. Parmi elles, on retrouve notamment le déplacement à l’aide de transports respectueux de l’environnement, la réduction et le tri des déchets, l’achat de produits bio, et la prise en compte de l’empreinte carbone au moment des achats alimentaires. Ainsi, en plus de réduire les effets de la consommation des ménages sur l’environnement, ces pratiques participent à améliorer leur bien-être ressenti. Suivant ce double constat, il semble nécessaire de rendre l’ensemble de ces mesures accessibles à tous et de renforcer la prévention les concernant pour qu’elles deviennent des habitudes plutôt que des efforts.
Nous notons aussi la corrélation positive entre l’isolement du logement et le bien-être des ménages. Cette mesure, qui limite la consommation d’énergie engendrée tant par le chauffage que par la climatisation, entraîne aussi d’autres bénéfices non-négligeables, comme la réduction du bruit extérieur. La somme de ces bénéfices contribue à l’amélioration du quotidien et du bien-être des individus.
Enfin, si l’on ne trouve pas de corrélation significative entre le bien-être et les autres actions pro-environnementales, c’est avant tout parce que leur pratique est encore trop faible voire marginale, l’exemple le plus significatif étant l’achat d’une voiture électrique.
En guise de conclusion
La très grande majorité des Européens s’accordent à dire que le changement climatique est un problème sérieux qui nécessite une réduction des émissions de GES, jusqu’à atteindre la neutralité carbone en 2050. La part d’entre eux qui prend des mesures individuelles pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique est cependant plus réduite. On observe notamment une réelle différence entre les habitants de la péninsule Ibérique et ceux des Pays Baltes. Pourtant, nous avons démontré que les personnes pratiquant ces mesures respectueuses de l’environnement sont en général plus satisfaites de leur vie.
En Europe et en France, la réduction et le tri des déchets ainsi que la diminution des produits jetables consommés sont les deux pratiques les plus répandues. Les Français se démarquent en achetant des produits issus de l’agriculture biologique ainsi qu’en réduisant leur consommation de viande plus régulièrement que la moyenne européenne.
Au sein de la population française, la position sociale et le sexe des individus apparaissent comme des déterminants de l’intensité des mesures écologiques entreprises. Les individus favorisés réduisent plus rapidement leur consommation de viande et optent plus fréquemment pour des transports respectueux de l’environnement. Les femmes ont plus tendance à faire le tri de leurs déchets et diminuent plus souvent leur consommation de produits jetables et de viande.
Notre étude montre que les individus adoptant ces comportements sont en moyenne plus satisfaits de leur vie. En plus des actions écologiques de consommation et de transport, l’isolement du logement semble avoir un effet important sur le bien-être des individus.
Bibliographie
Agence de la Transition Ecologique. 2023. « Les Français aspirent à changer de modèle de société mais sont pris dans des injonctions contradictoires ». 2023.
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Chancel, Lucas. 2022. « Global Carbon Inequality over 1990–2019 ». Nature Sustainability 5 (11): 931‑38. https://doi.org/10.1038/s41893-022-00955-z.
Delhomme, Isabelle, Xavier Pétillon, et Yohann Rivillon. 2022. « Une articulation des temps de vie plus difficile pour les femmes », INSEE flash Pays de la Loire, , no 103. https://www.insee.fr/fr/statistiques/6208969#titre-bloc-6.
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Tavoularis, Gabriel, et Eléna Sauvage. 2018. « Les nouvelles générations transforment la consommation de viande », CREDOC.