Le bien-être des Français en décembre 2022 reste dominé par les inquiétudes économiques. L’appréciation des perspectives individuelles continue de se dégrader sous le poids d’une vision négative des perspectives économiques du pays et d’inquiétudes quant aux situations financières individuelles. Dans le même temps, les indicateurs de bien-être émotionnel, qui avaient jusqu’ici bien résisté, se dégradent aussi.
Toutefois, la satisfaction générale de la vie actuelle se replie moins qu’on aurait pu s’y attendre. Elle est probablement soutenue d’un côté par une évaluation de la situation financière qui reste stable – les craintes ne se sont pas (encore ?) matérialisées – et par une évaluation du niveau de vie qui résiste également, et d’un autre côté par une appréciation de la satisfaction à l’égard de la sphère professionnelle et privée.
Publiée le 09 janvier 2023
Mathieu Perona, Observatoire du Bien-être du Cepremap
Notre photographie du bien-être des Français en décembre prolonge largement les tendances observées en septembre. Les inquiétudes quant à la situation économique d’ensemble et les finances individuelles pèsent sur les perspectives futures et sur l’appréciation de la vie en général.
Ainsi, la satisfaction dans la vie moyenne (Figure 1) se dégrade encore légèrement par rapport à son niveau de septembre. Entre septembre 2021, sans doute largement perçu comme la fin de l’épisode Covid, et décembre 2022, nous sommes ainsi passés d’un niveau comparable aux plus hauts d’avant l’épidémie (juillet 2017) à un niveau proche des plus bas, juste avant la crise des Gilets jaunes (décembre 2018). Alors qu’au trimestre précédent la baisse concernait essentiellement les moins de 65 ans, ce sont leurs aînés qui ont ce trimestre le plus revu à la baisse leur satisfaction générale1.
Cette dynamique négative chez les plus de 65 ans se lit également dans la dégradation des indicateurs de bien-être émotionnel, qui avaient jusqu’ici bien résisté. Citons par exemple le sentiment d’avoir été heureux la veille (Figure 2), ou une plus grande propension à se sentir moins heureux que le reste des Français. Il est possible que cette dépression soit en partie liée à la saison : nous savons que la météo à a un impact sur le bien-être émotionnel, et la période début décembre, avec les préparatifs des fêtes de fin d’année, mettent en lumière les situations d’isolement ou d’affaiblissement des relations sociales.
Un futur inquiétant
Plus que la satisfaction quant à la vie actuelle, nous voyons l’appréciation des années à venir se dégrader avec celle de la situation économique (Figure 3). Lors de la pandémie, le « quoi qu’il en coûte » avait découplé l’appréciation de l’avenir personnel (« Quand vous pensez à ce que vous allez vivre dans les années à venir, êtes-vous satisfait de cette perspective ?) de celle des perspectives économiques. Suite au déclenchement de la guerre en Ukraine, les annonces d’un soutien, concrétisées en partie par le bouclier tarifaire, ont probablement eu un effet similaire, qui s’estompe maintenant que les difficultés s’installent dans la durée.
Dans un contexte où l’inflation fait les titres de l’actualité, il serait tentant de lui faire jouer un rôle central dans cette dégradation des perspectives individuelles. Cependant, ainsi que nous le notions déjà en septembre, le sentiment d’une inflation forte a commencé à augmenter dès juin 2021 (Figure 4), et s’est stabilisé à un niveau élevé (75 % des réponses) depuis juin. Les anticipations d’inflations restent de leur côté plus élevées qu’avant la pandémie, mais refluent par rapport à mars, encore sous le choc immédiat du début de la guerre.
De la même manière, la part des ménages anticipant une dégradation de leurs finances sur l’année à venir atteint désormais plus d’un tiers des ménages interrogés (Figure 5). Ce niveau est plus élevé qu’avant la pandémie, mais l’essentiel de l’augmentation a eu lieu entre juin 2021 et mars 2022. La guerre et ses conséquences expliquent ainsi au plus la moitié de l’augmentation des anticipations de dégradation. Les données étant collectées en début de mois, les anticipations de décembre ont pu être influencées par la vague de froid et les difficultés de chauffage concomitantes. Elles ne prennent toutefois pas en compte le redoux exceptionnel (et inquiétant) intervenu à partir du 18 décembre.
Mais pour l’instant, ça va
Contrastant avec cette vision inquiète de l’avenir, l’appréciation de la situation matérielle actuelle résiste. La satisfaction à l’égard du niveau de vie (Figure 6) est en recul par rapport à la parenthèse Covid, mais elle reste au même niveau qu’avant la pandémie, et assez nettement au-dessus de décembre 2018. Nous observons aussi cette résistance sur l’appréciation des ménages quant à leur situation financière actuelle. La part des ménages qui disent épargner est certes en baisse par rapport à 2021, mais reste comparable à son niveau d’avant la pandémie (entre 35 % et 40 % des ménages interrogés, Figure 7), tandis que la part des ménages qui estiment être juste à l’équilibre est stable depuis 2016, elle aussi entre 35 % et 40 % des réponses.
Il semblerait donc que pour la majorité des ménages, les inquiétudes présentes depuis le début de l’année ne se soient pas encore traduites ni par une dégradation sensible de leurs finances, ni par des changements contraints de consommation qui auraient pesé sur leur niveau de vie.
La vie professionnelle constitue également un pôle de résistance. Sur le dernier trimestre, la satisfaction à l’égard du travail est en progression, affichant une de ses plus fortes valeurs hors période Covid, et tous les indicateurs liés (relations de travail, équilibre des temps de vie, loisirs,) sont au-dessus de leur niveau d’avant la pandémie.
Le sentiment de sécurité
Notre tableau de bord comprend une question sur le sentiment de sécurité. Afin de limiter en partie l’impact de faits divers médiatisés, nous demandons : « Dans quelle mesure vous sentez-vous en sécurité lorsque vous marchez seul(e) dans votre quartier à la nuit tombée ? ». Nous avions déjà relevé l’écart existant entre hommes et femmes sur ce point, de très loin le plus important de toutes nos questions. Sur la vague de décembre, la réponse moyenne atteint son plus bas niveau depuis le début de notre enquête. Cette baisse présente une forte dimension géographique, puisqu’elle est beaucoup plus prononcée chez les habitants des villes de moins de 100 000 habitants que dans les communes rurales ou chez les résidents de plus grandes agglomérations.
Et les émotions ? Une mesure du sentiment sur Twitter
Le 22 septembre dernier, nous avons présenté un nouvel outil de mesure du bien-être des Français. En analysant le texte des messages postés sur le site de microblogging Twitter, nous extrayons un ensemble d’indicateurs de sentiments à haute fréquence, dont nous donnons un résumé dans un Baromètre en ligne. Cette mesure vient ainsi compléter nos données d’enquêtes trimestrielles.
Par rapport au trimestre dernier, la fréquence des expressions de joie a interrompu sa remontée amorcée à partir de mi-2021, tandis que les expressions de colère, de peur ou de tristesse augmentent légèrement (Figure 9). Cette mesure vient ainsi rejoindre la dégradation du bien-être émotionnel constaté dans notre enquête.
Dans le même temps toutefois, l’indice général de sentiment exprimé par les femmes a nettement progressé, dépassant celui des hommes pour la première fois depuis 2018 (Figure 10).
Conclusion
Les inquiétudes économiques restent au centre des esprits. Aux anticipations de difficultés financières vient s’ajouter une dégradation du bien-être émotionnel. L’appréciation de la situation personnelle actuelle reste cependant soutenue par une impression positive de la sphère professionnelle.
- Comme chaque trimestre, notre Tableau de bord vous présente les réponses aux 20 questions de notre plate-forme, détaillées selon l’âge, le genre, le niveau de diplôme ou le revenu.