En mobilisant le BaromĂštre de lâIRSN, nous inscrivons la perception des risques par les Français dans un temps plus long. Ce sont dĂ©sormais des risques « globalisĂ©s » qui inquiĂštent les Français. Au-delĂ de la prĂ©occupation immĂ©diate pour le risque sanitaire, ce baromĂštre rĂ©vĂšle la montĂ©e en puissance de la perception du risque terroriste et surtout des risques climatiques, avec en contrepartie, une Ă©rosion de lâimportance perçue des risques Ă©conomiques, sociaux, et du nuclĂ©aire.
Sophie CĂȘtre, IRSN
Ludivine Gilli, IRSN
Guillaume Gueguen, Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap
Claudia Senik, Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap
Introduction
Depuis plus dâune dĂ©cennie, les crises se succĂšdent et sont autant de rĂ©vĂ©lateurs de la vulnĂ©rabilitĂ© de nos sociĂ©tĂ©s modernes et des nombreux risques et incertitudes auxquels nous devons faire face. Crise financiĂšre de 2008, crise de la zone euro, crise migratoire, canicules et incendies dĂ©vastateurs liĂ©s au dĂ©rĂšglement climatique, pandĂ©mies, effondrement de la biodiversitĂ© : ces crises sont de toutes natures, multifactorielles, transnationales et constituent ainsi des dĂ©fis colossaux pour les Ătats-nations.
Certains risques sont connus depuis longtemps et les Français ont peut-ĂȘtre appris à « vivre avec ». Nous sommes tous exposĂ©s au quotidien, Ă des degrĂ©s diffĂ©rents, Ă de nombreuses formes de pollutions : pollution atmosphĂ©rique, pollution des sols, pollution sonore… Dâautres risques reprĂ©sentent au contraire une Ă©pĂ©e de DamoclĂšs au-dessus de la tĂȘte des Français : le risque dâaccident nuclĂ©aire, de catastrophes naturelles, ou encore les attentats terroristes. Enfin, des risques liĂ©s Ă certaines pratiques agricoles et industrielles, et pour lesquels la preuve de la nocivitĂ© pour la santĂ© a parfois Ă©tĂ© Ă©tablie seulement rĂ©cemment ou est encore incertaine : les perturbateurs endocriniens, les pesticides, les nanoparticules, les OGM.
Comment les Français perçoivent-ils ces risques et comment cette perception a-t-elle évolué ces dix derniÚres années, au rythme des crises successives ? Dans quelle mesure les Français ont-ils confiance dans les autorités françaises pour les protéger face à ces risques ?
Pour rĂ©pondre Ă ces questions, nous exploitons les donnĂ©es du baromĂštre de lâIRSN, la grande enquĂȘte annuelle de lâInstitut de radioprotection et de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire, qui porte sur la perception des risques et de la sĂ©curitĂ© par les Français.
* Ce texte a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© en dĂ©cembre 2021, avec les donnĂ©s alors disponibles. Il nâintĂšgre donc pas les consĂ©quences de la guerre en Ukraine, dont nous verrons les dimensions dans le baromĂštre 2022 de lâIRSN.
Données et méthodes
Les donnĂ©es exploitĂ©es dans cette note proviennent du BaromĂštre IRSN sur la perception des risques et de la sĂ©curitĂ© par les Français. Ce BaromĂštre existe dans sa forme actuelle depuis 1991. Il sâintĂ©resse principalement Ă la perception des risques mais se penche Ă©galement sur les prĂ©occupations principales des Français, sur le regard quâils portent sur la science, lâexpertise et le nuclĂ©aire, ainsi que sur leurs attentes en matiĂšre de sĂ»retĂ© des installations nuclĂ©aires, de transparence ou encore de participation aux processus dâexpertise associĂ©s. Le BaromĂštre vise en outre Ă mettre en perspective les risques nuclĂ©aires et radiologiques avec de nombreux autres risques de types diffĂ©rents tels que les inondations, les pesticides, le terrorisme, ou encore les accidents domestiques.
Les donnĂ©es analysĂ©es ici proviennent des enquĂȘtes rĂ©alisĂ©es annuellement de 2010 Ă 2021, toujours au cours de la pĂ©riode automnale et toujours auprĂšs dâĂ©chantillons reprĂ©sentatifs de la population française selon la mĂ©thode des quotas (sexe, Ăąge et catĂ©gorie socio-professionnelle) et des strates (taille dâagglomĂ©ration et rĂ©gion dâhabitation). Pour les annĂ©es 2010 Ă 2019, les terrains ont Ă©tĂ© menĂ©s en face-Ă -face sous la direction de lâinstitut BVA (2010-2017) puis de lâinstitut CDA (2018-2020) auprĂšs dâĂ©chantillons reprĂ©sentatifs de 1 000 personnes renouvelĂ©s lors de chaque enquĂȘte. Ă partir de 2020, les terrains ont Ă©tĂ© conduits sur internet par lâinstitut Harris Interactive auprĂšs dâĂ©chantillons renouvelĂ©s annuellement de 2 000 personnes. Exceptionnellement en 2020, annĂ©e de transition entre les deux mĂ©thodes, lâenquĂȘte a Ă©tĂ© menĂ©e simultanĂ©ment sur deux Ă©chantillons distincts afin de comparer les rĂ©sultats obtenus via la mĂ©thode en face-Ă -face avec ceux de la mĂ©thode de questionnaire en ligne.
LâintĂ©gralitĂ© des BaromĂštres IRSN de 1991 Ă 2021, ainsi que les annexes graphiques et toutes les donnĂ©es brutes sont en libre accĂšs sur le site internet qui lui est dĂ©diĂ©. LâĂ©dition 2022, dont certaines donnĂ©es sont utilisĂ©es ici, sera publiĂ©e en juin 2022, aprĂšs les Ă©lections lĂ©gislatives.
Des préoccupations de plus en plus fragmentées
« En France, parmi les sujets actuels suivants, lequel est selon vous le plus prĂ©occupant ? » Ă cette question1, les rĂ©ponses des Français sont de moins en moins unanimes, montrant la montĂ©e de multiples sources dâinquiĂ©tude. La Figure 1 montre que de 2010 Ă 2014, plus de 50 % dâentre eux citaient des risques sociaux et Ă©conomiques tels que « le chĂŽmage », « les consĂ©quences de la crise financiĂšre », « la grande pauvretĂ© et lâexclusion2 ». Ă la suite des attentats de 2015, la menace terroriste devient une prĂ©occupation primordiale pour plus dâun tiers dâentre eux. ParallĂšlement, les prĂ©occupations liĂ©es aux « bouleversements climatiques » et à « la dĂ©gradation de lâenvironnement » dâune part et les prĂ©occupations en matiĂšre de santĂ© et dâĂ©pidĂ©mie dâautre part affichent une progression importante. En 2021, les menaces que constituent le terrorisme, les enjeux climatiques et les pandĂ©mies font jeu Ă©gal avec les prĂ©occupations socio-Ă©conomiques en tant que sources dâinquiĂ©tude. Face Ă la multitude des enjeux, les risques nuclĂ©aires constituent sur lâensemble de la pĂ©riode la prĂ©occupation principale de moins 5 % des Français3.

Note : Source BaromĂštre de lâIRSN 2010-2021. Question : « En France, parmi les sujets actuels suivants, lequel est selon vous le plus prĂ©occupant ? »
Perception des risques et confiance dans les autorités pour y faire face
Les prĂ©occupations des Français sont-elles proportionnĂ©es au degrĂ© de risque quâils perçoivent ? Pour le savoir, nous cherchons Ă Ă©valuer le niveau de risque quâils associent Ă diffĂ©rents sujets de prĂ©occupation. LâenquĂȘte leur demande : « Dans chacun des domaines suivants, considĂ©rez-vous que les risques pour les Français en gĂ©nĂ©ral sont : 1. Quasi-nuls ; 2. Faibles ; 3. Moyens ; 4. ĂlevĂ©s ; 5. TrĂšs Ă©levĂ©s. ». Les domaines de risque suivis dĂ©taillent une constellation de risques environnementaux, allant des risques « climatiques » (inondations, incendies de forĂȘt, canicule) aux nanoparticules ; plusieurs types de risques nuclĂ©aires et le risque terroriste. Les risques socio-Ă©conomiques ne sont pas proposĂ©s dans cette partie du questionnaire4. Le niveau de risque perçu des pandĂ©mies nâest suivi que depuis 2020.

Note : Source BaromĂštre de lâIRSN 2010-2021. LâĂ©chelle du diagramme correspond Ă la part de rĂ©pondants percevant un risque Ă©levĂ© ou trĂšs Ă©levĂ© pour chacun des items (points bleus) et Ă la part de rĂ©pondants ayant tout Ă fait ou plutĂŽt confiance dans les autoritĂ©s françaises pour leurs actions de protection des personnes (points orange) dans chacun des domaines.
Comme lâillustrent les deux diagrammes de la Figure 2, entre les pĂ©riodes 2010-2015 et 2016-2021, les risques climatiques sont perçus comme de plus en plus Ă©levĂ©s, certainement en raison des canicules rĂ©currentes (2003, 2018, 2020), des inondations et des incendies qui ont touchĂ© la France au cours des cinq derniĂšres annĂ©es, ainsi que des « mĂ©ga-feux » qui, bien que se produisant hors de France, ont marquĂ© les esprits (incendies australiens en 2019-2020, Dixie Fire de Californie en aoĂ»t 2021, Bootleg Fire dans l’Oregon, etc.). Dâautres risques environnementaux identifiĂ©s depuis longtemps et plus diffus, tels que la pollution de lâair, des sols, ou de lâeau, restent perçus Ă un niveau stable. En revanche, on note une augmentation du niveau de risque perçu pour des phĂ©nomĂšnes relativement nouveaux, pour lesquels les preuves de la nocivitĂ© ont Ă©tĂ© rĂ©cemment apportĂ©es ou qui font toujours lâobjet dâĂ©tudes dâimpact sur la santĂ© : perturbateurs endocriniens, nanoparticules, OGM et pollution sonore.
Naturellement, la perception du risque terroriste est beaucoup plus Ă©levĂ©e depuis les attentats de 2015. En revanche, le risque associĂ© aux installations nuclĂ©aires (centrales, dĂ©chets radioactifs, retombĂ©es radioactives de lâaccident de Tchernobyl) est perçu comme moindre. Il en va de mĂȘme du risque de sida, ce qui est certainement liĂ© Ă la trithĂ©rapie dans un premier temps et Ă la commercialisation du traitement prĂ©ventif PrEP Ă partir de 2017.
La confiance que les Français accordent aux autoritĂ©s pour les protĂ©ger de ces risques suit un schĂ©ma symĂ©trique (confiance accrue dans le domaine des installations nuclĂ©aires, par exemple). Globalement, les scores de confiance dans les autoritĂ©s pour faire face aux risques sont particuliĂšrement faibles pour les risques environnementaux, surtout pour les pollutions diffuses. La confiance est plus grande dans la capacitĂ© Ă gĂ©rer des Ă©vĂšnements ponctuels tels que les incendies de forĂȘt, mĂȘme si cette confiance sâĂ©rode lĂ©gĂšrement.
Les risques perçus et « croyances motivées »
Afin de dĂ©gager des tendances sur la perception des grands risques, nous nous concentrons Ă prĂ©sent sur le risque terroriste, un score agrĂ©gĂ© de « risques nuclĂ©aires » (moyenne des niveaux de risque perçus des centrales nuclĂ©aires, des dĂ©chets radioactifs et des retombĂ©es radioactives de lâaccident de Tchernobyl) et un score agrĂ©gĂ© de « risques climatiques » (moyenne des niveaux de risque perçus des canicules, des inondations et des incendies de forĂȘt), Figure 3.

Note : Source BaromĂštre IRSN 2010-2021. Ce graphique reprĂ©sente lâaddition de la constante et des coefficients de rĂ©gressions OLS de chaque score sur des variables binaires pour les annĂ©es en contrĂŽlant pour : le sexe, les catĂ©gories dâĂąge, le niveau de diplĂŽme, le type de formation, le statut professionnel, la taille de lâagglomĂ©ration et lâorientation politique. 2010 est lâannĂ©e de rĂ©fĂ©rence. Cette mĂ©thode permet de lisser dâĂ©ventuelles diffĂ©rences de composition de lâĂ©chantillon dâune annĂ©e Ă lâautre, qui pourraient ĂȘtre faussement attribuĂ©es Ă des changements de tendance temporelles.
Lecture : en 2019, la perception du risque nuclĂ©aire, corrigĂ©e pour des variations dâĂ©chantillon, sâĂ©tablissait Ă 3,5 sur une Ă©chelle de 1 Ă 5, oĂč 1 signifie une perception de risque trĂšs faible et 5 signifie une perception de risque trĂšs Ă©levĂ©e. Sont Ă©galement reprĂ©sentĂ©s les intervalles de confiance Ă 95 %.
Il est frappant de constater le croisement des courbes du risque nuclĂ©aire et du risque climatique en 2020. On note mĂȘme une Ă©volution en miroir des niveaux de risque climatique et nuclĂ©aire perçus Ă partir de 2019. Au-delĂ de cette Ă©volution gĂ©nĂ©rale, câest lâorientation politique dĂ©clarĂ©e par les enquĂȘtĂ©s qui diffĂ©rencie le plus les rĂ©ponses. Comme le montre la Figure 4, le risque nuclĂ©aire est perçu comme moindre par ceux qui dĂ©clarent une sensibilitĂ© de droite, ce qui coĂŻncide avec lâoffre politique unanimement pro-nuclĂ©aire des partis correspondants, alors que les diffĂ©rents courants de gauche sont plus divisĂ©s sur le sujet. Ă lâinverse, le risque terroriste est perçu comme plus important par les personnes de droite. De maniĂšre symĂ©trique, plus le risque est perçu comme important, plus la confiance dans les autoritĂ©s est faible. La montĂ©e de la perception des risques climatiques est en revanche partagĂ©e par tous, avec mĂȘme un lĂ©ger rattrapage des individus sâidentifiant Ă droite.

Note : Source BaromĂštre IRSN 2010-2021. Ce graphique reprĂ©sente Ă gauche la moyenne des scores « risque climatique », « risque nuclĂ©aire » et « risque terroriste » sur une Ă©chelle de 1 Ă 5, oĂč 1 signifie une perception de risque trĂšs faible et 5 signifie une perception de risque trĂšs Ă©levĂ©e. Ă droite, il reprĂ©sente la moyenne des scores pour le niveau de confiance dans les autoritĂ©s françaises pour leurs actions de protection des personnes oĂč 1 signifie que le rĂ©pondant nâa pas du tout confiance et 5 signifie quâil a tout Ă fait confiance. Ces moyennes sont prĂ©sentĂ©es selon lâorientation politique dĂ©clarĂ©e du rĂ©pondant obtenue Ă lâaide de la question « Pouvez-vous me dire oĂč vous vous situez sur le plan politique ? ». Les modalitĂ©s de rĂ©ponses « plutĂŽt Ă gauche » et « Ă gauche » ont Ă©tĂ© fusionnĂ©es pour la reprĂ©sentation graphique. De mĂȘme que pour les rĂ©ponses « plutĂŽt Ă droite » et « Ă droite ».
Figure 4 : Perception des risques et confiance dans les autoritĂ©s pour protĂ©ger les Français selon lâorientation politique.
Note : Source BaromĂštre IRSN 2010-2021. Ce graphique reprĂ©sente Ă gauche la moyenne des scores « risque climatique », « risque nuclĂ©aire » et « risque terroriste » sur une Ă©chelle de 1 Ă 5, oĂč 1 signifie une perception de risque trĂšs faible et 5 signifie une perception de risque trĂšs Ă©levĂ©e. Ă droite, il reprĂ©sente la moyenne des scores pour le niveau de confiance dans les autoritĂ©s françaises pour leurs actions de protection des personnes oĂč 1 signifie que le rĂ©pondant nâa pas du tout confiance et 5 signifie quâil a tout Ă fait confiance. Ces moyennes sont prĂ©sentĂ©es selon lâorientation politique dĂ©clarĂ©e du rĂ©pondant obtenue Ă lâaide de la question « Pouvez-vous me dire oĂč vous vous situez sur le plan politique ? ». Les modalitĂ©s de rĂ©ponses « plutĂŽt Ă gauche » et « Ă gauche » ont Ă©tĂ© fusionnĂ©es pour la reprĂ©sentation graphique. De mĂȘme que pour les rĂ©ponses « plutĂŽt Ă droite » et « Ă droite ».
Cette Ă©volution symĂ©trique de la perception des risques climatiques et des risques nuclĂ©aires ne semble pas ĂȘtre une corrĂ©lation fortuite. Concernant la source du recul du niveau de risque perçu concernant le nuclĂ©aire plusieurs hypothĂšses peuvent ĂȘtre Ă©mises. Le niveau de risque pourrait effectivement avoir baissĂ©. Cependant, aucun Ă©vĂšnement rĂ©cent ne permet de le penser. Au contraire, le vieillissement du parc nuclĂ©aire, le sĂ©isme du Teil du 11 novembre 2019 Ă proximitĂ© des centrales de Cruas et du Tricastin, ou encore les retards de lâEPR de Flamanville liĂ©s Ă des dĂ©fauts de conformitĂ© sur le rĂ©acteur en construction auraient pu ĂȘtre autant de sources dâinquiĂ©tude pour les populations quant au risque nuclĂ©aire5.
Il sâagit plutĂŽt dâun changement de regard sur lâĂ©nergie nuclĂ©aire comme le rĂ©vĂšlent de multiples indices. LâĂ©nergie nuclĂ©aire bĂ©nĂ©ficie actuellement dâun soutien politique renforcĂ© et dâune couverture mĂ©diatique plus positive que par le passĂ©, tous deux susceptibles de faire Ă©voluer favorablement son image dans lâopinion publique. Celle-ci est jugĂ©e de plus en plus utile pour faire face aux enjeux de la transition Ă©nergĂ©tique, aux cĂŽtĂ©s des Ă©nergies renouvelables6. Certains arguments en faveur du nuclĂ©aire, tels que le fait quâil constitue une source dĂ©carbonnĂ©e et non-intermittente dâĂ©lectricitĂ©, sont de plus en plus mis en avant, notamment par les partisans de lâatome. Le gouvernement français a pu sâappuyer sur le trĂšs commentĂ© rapport RTE sur les futurs Ă©nergĂ©tiques de la France7, concluant Ă lâavantage Ă©conomique de lâinclusion du nuclĂ©aire dans le futur mix Ă©nergĂ©tique, pour annoncer la relance de chantiers de construction de nouveaux rĂ©acteurs de type EPR2 Ă lâhorizon 2035 et appuyer le dĂ©veloppement de mini-rĂ©acteurs « SMR ». Ainsi, le nuclĂ©aire est au cĆur dâune actualitĂ© politique dense. On peut enfin penser quâen France, lâinfluence de lâingĂ©nieur Jean-Marc Jancovici, fondateur et prĂ©sident de The Shift Project a contribuĂ© Ă redorer le blason de lâĂ©nergie nuclĂ©aire auprĂšs dâune partie de lâopinion.
Face au changement climatique, une partie des Français a pris conscience de la nĂ©cessitĂ© de dĂ©carboner lâĂ©conomie, et donc dâassurer une transition Ă©nergĂ©tique vers des sources dâĂ©nergie faiblement Ă©mettrices de carbone, tout en adoptant un mode de vie plus sobre. La lutte contre le changement climatique est Ă©galement synonyme de renchĂ©rissement probable du coĂ»t de lâĂ©nergie fossile dans lâĂ©ventualitĂ© de taxes carbone plus Ă©levĂ©es, ou dâautres restrictions susceptibles de conduire au mĂȘme rĂ©sultat. Câest ainsi que, face aux menaces Ă©cologique et financiĂšre conjuguĂ©es portĂ©es par les Ă©nergies fossiles, lâĂ©nergie nuclĂ©aire peut apparaĂźtre plus dĂ©sirable Ă une partie de la population.
Mais si ce raisonnement se conçoit facilement, il nâimplique pas mĂ©caniquement que le risque associĂ© Ă lâĂ©nergie nuclĂ©aire soit rĂ©Ă©valuĂ© Ă la baisse. Il peut ĂȘtre logique dâaccepter de prendre un risque moindre (le nuclĂ©aire) pour Ă©loigner un risque plus grave et plus menaçant Ă court terme (le dĂ©rĂšglement climatique). En revanche, cela ne devrait pas conduire Ă sous-estimer le risque que lâon sâapprĂȘte Ă endosser. Câest pourtant ce que lâon observe. En rĂ©alitĂ©, il nây a rien lĂ de trĂšs surprenant au regard des travaux de lâĂ©conomie comportementale8. Celle-ci a depuis longtemps mis au jour les biais Ă travers lesquels nous percevons le monde, que ce soit afin de nous conforter dans nos croyances Ă©tablies, ou dâappuyer des croyances qui « nous arrangent » (self-serving) ou qui nous aident Ă poursuivre nos objectifs. Les individus sont ainsi capables de forger des « croyances motivĂ©es9 » , propices Ă les soutenir dans la voie quâils souhaitent suivre, quitte Ă nĂ©gliger certaines informations disponibles, par « ignorance stratĂ©gique10 ». Il est important de veiller Ă ce que de telles croyances motivĂ©es ne conduisent pas Ă revoir Ă la baisse les ambitions en matiĂšre de sĂ»retĂ©.
Annexes
Tous les questionnaires et statistiques descriptives année par année sont disponibles librement sur le site du baromÚtre : https://barometre.irsn.fr/.
Bibliographie
R. Bénabou, et J. Tirole, « Mindful economics: The production, consumption, and value of beliefs », Journal of Economic Perspectives, 2016.
R. Bénabou, et J. Tirole. « Identity, morals, and taboos: Beliefs as assets », The Quarterly Journal of Economics, 2011.
V. Beaufils, « Pourquoi les Français redeviennent pro-nucléaires ? », Challenges, 11 mars 2021.
J. D. Carrillo et T. Mariotti, « Strategic Ignorance as a Self-Disciplining Device », The Review of Economic Studies, 2000.
A. Tversky et D. Kahneman. « On the reality of cognitive illusions », Psychological Review, 1996.
RTE France, « Futurs Ă©nergĂ©tiques 2050 : les scĂ©narios de mix de production Ă lâĂ©tude permettant dâatteindre la neutralitĂ© carbone Ă lâhorizon 2050 », Bilans, analyses et Ă©tudes prospectives, Octobre 2021.
F. Zimmermann, « The Dynamics of Motivated Beliefs », American Economic Review, 2020.
Tableau 1: Statistiques descriptives de l’Ă©chantillon
Variable | N | % de l’Ă©chantillon |
---|---|---|
Femme | 15234 | 52.5% |
Ăge 18-24 | 15234 | 10.6% |
Ăge 25-34 | 15234 | 16.1% |
Ăge 35-49 | 15234 | 25.3% |
Ăge 50-64 | 15234 | 25.1% |
Ăge +65 | 15234 | 22.9% |
Secteur privé | 15234 | 38.8% |
Secteur public | 15234 | 13.8% |
ChĂŽmeur | 15234 | 6.7% |
Inactif | 15234 | 40.7% |
Paris | 15234 | 16.1% |
Ville > 100 000 | 15234 | 30.2% |
20 000 < Ville < 100 000 | 15234 | 13.3% |
2000 < Ville < 20 000 | 15234 | 18.0% |
Milieu rural | 15234 | 22.5% |
Formation Sciences dures | 15234 | 26.6% |
Formation SHS | 15234 | 27.7% |
Formation autre | 15234 | 45.7% |
DiplĂŽme < bac | 15218 | 48.8% |
Bac | 15218 | 21.4% |
Bac +2 | 15218 | 13.1% |
Bac > +2 | 15218 | 16.7% |
A droite | 13964 | 7.8% |
PlutĂŽt Ă droite | 13964 | 12.3% |
A gauche | 13964 | 14.9% |
PlutĂŽt Ă gauche | 13964 | 15.4% |
TrĂšs Ă gauche | 13964 | 4.5% |
TrĂšs Ă droite | 13964 | 4.1% |
Ni gauche ni droite | 13964 | 41.1% |
Tableau 1 : Statistiques descriptives de l’Ă©chantillon
2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | |
Climat et environnement | ||||||||||||
Le dérÚglement climatique | X | X | X | |||||||||
La dĂ©gradation de l’environnement | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||
Les bouleversements climatiques | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||
Terrorisme et insécurité | ||||||||||||
L’insĂ©curitĂ© | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||
L’insĂ©curitĂ© (biens et personnes) | X | X | X | |||||||||
Le terrorisme | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X |
Les risques nucléaires | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X |
Santé et épidémies | ||||||||||||
La santé | X | X | X | |||||||||
La qualité des soins médicaux | X | X | X | X | X | X | X | |||||
Les toxicomanies (drogue, alcoolisme, tabagisme…) | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||
La grippe A (H1N1) | X | X | ||||||||||
Le SIDA | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||
L’Ă©pidĂ©mie d’Ebola | X | |||||||||||
ChÎmage, pauvreté, crise financiÚre | ||||||||||||
Les conséquences de la crise financiÚre | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||
Le chĂŽmage | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X |
La misĂšre et l’exclusion | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||
La grande pauvretĂ© et l’exclusion | X | X | X | X | ||||||||
Autres | ||||||||||||
Les risques alimentaires | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||
Les accidents de la route | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||
Les risques chimiques | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||
LâinstabilitĂ© gĂ©opolitique mondiale (crise des migrants, tensions entre certains pays, etcâŠ) | X | X | X |
Tableau 2 : liste des sujets pouvant ĂȘtre choisis dans la question « En France, parmi les sujets actuels suivants, lequel est selon vous le plus prĂ©occupant ? ». Une croix signifie que ce sujet Ă©tait disponible lâannĂ©e correspondante. Ainsi, le sujet « chĂŽmage » Ă©tait prĂ©sent Ă toutes les vagues de 2010 Ă 2021.
- La liste des sujets proposĂ©s aux rĂ©pondants a lĂ©gĂšrement Ă©voluĂ© au fil des enquĂȘtes afin de rester en phase avec lâactualitĂ©. Voir le Tableau 2 en annexe.
- Le pouvoir dâachat nâa jamais figurĂ© dans la liste des prĂ©occupations principales du BaromĂštre IRSN. Dâautres enquĂȘtes, telles que celles rĂ©alisĂ©es par Ipsos-Sopra Steria en partenariat avec le Cevipof et la Fondation Jean JaurĂšs pour le journal Le Monde, montrent une forte percĂ©e de cette prĂ©occupation depuis un an : https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/01/22/presidentielle-2022-entre-marine-le-pen-et-valerie-pecresse-l-enjeu-de-la-deuxieme-place_6110522_823448.html
- Ă lâexception de 2011 (7 %), annĂ©e de lâaccident nuclĂ©aire de Fukushima.
- Le questionnaire se concentre plutĂŽt sur des risques individuels comportementaux, tels que lâobĂ©sitĂ© et lâalcool.
- Il convient toutefois de noter que la derniĂšre enquĂȘte a Ă©tĂ© conduite avant les annonces dâEDF en janvier 2022 concernant la mise Ă lâarrĂȘt de plusieurs rĂ©acteurs en raison de problĂšmes de corrosion. Une Ă©ventuelle augmentation de la perception du risque nuclĂ©aire suivant cette annonce nâest pas Ă exclure.
- Plusieurs sondages ont rĂ©cemment rĂ©vĂ©lĂ© cette amĂ©lioration de lâimage du nuclĂ©aire (voir par exemple : https://www.challenges.fr/energie-et-environnement/edito-pourquoi-les-francais-redeviennent-pro-nucleaires_754860).
- RTE France, « Futurs Ă©nergĂ©tiques 2050 : les scĂ©narios de mix de production Ă lâĂ©tude permettant dâatteindre la neutralitĂ© carbone Ă lâhorizon 2050 », Bilans, analyses et Ă©tudes prospectives, Octobre 2021.
- A. Tversky et D. Kahneman. « On the reality of cognitive illusions », Psychological Review, 1996.
- R. Bénabou, et J. Tirole, « Mindful economics: The production, consumption, and value of beliefs », Journal of Economic Perspectives, 2016 ; R. Bénabou, et J. Tirole. « Identity, morals, and taboos: Beliefs as assets », The Quarterly Journal of Economics, 2011; F. Zimmermann, « The Dynamics of Motivated Beliefs », American Economic Review, 2020.
- J. D. Carrillo et T. Mariotti, « Strategic Ignorance as a Self-Disciplining Device », The Review of Economic Studies, 2000. Cette Ă©volution symĂ©trique des risques nuclĂ©aire et environnemental perçus pourrait signifier que ces derniers sont Ă©valuĂ©s de maniĂšre relative les uns aux autres, ce qui conduirait mĂ©caniquement la perception dâun risque Ă baisser lorsque celle dâun autre risque augmente. Mais ce nâest pas le cas, puisque, comme on le voit sur la Figure 1, la perception du risque terroriste reste stable depuis 2018, malgrĂ© la montĂ©e du risque environnemental.