La France est-elle coupĂ©e en deux du point de vue du bien-ĂȘtre ? Nos indicateurs donnent une image nettement plus contrastĂ©e. GrĂące Ă nos 19 questions, nous montrons que certains aspects du bien-ĂȘtre, comme la satisfaction vis-Ă -vis du travail, sont plus polarisantes que dâautres, comme la satisfaction dans la vie.
Les Français semblent largement segmenter leurs Ă©valuations : une grande insatisfaction dans un domaine ne se propage que peu aux autres domaines, alors que la grande satisfaction sâĂ©tend plus souvent Ă de nombreux domaines. Par exemple, lâinsatisfaction quant Ă son travail nâentraĂźne pas une insatisfaction Ă lâĂ©gard de sa santĂ©, et mĂȘme une insatisfaction Ă lâĂ©gard de sa vie en gĂ©nĂ©ral nâest pas frĂ©quemment associĂ©e Ă une insatisfaction quant aux relations avec ses proches. Il nây a donc pas un groupe de Français globalement insatisfaits de tout, mais autant de groupes diffĂ©rents quâil y a de dimensions.
Nous nâen constatons pas moins des contrastes marquĂ©s. Avec lâĂąge, lâinsatisfaction a tendance Ă augmenter et la grande satisfaction au baisser sur des dimensions essentielles, comme le sentiment que la vie a du sens, tandis que dâautres, comme la satisfaction dans la vie, connaissent plutĂŽt un creux au moment de la quarantaine. Du cĂŽtĂ© du genre, les femmes dĂ©clarent plus frĂ©quemment que les hommes tant un niveau de satisfaction faible quâun niveau de satisfaction Ă©levĂ©. Socialement, la part des personnes peu satisfaites de leur vie en gĂ©nĂ©ral diminue avec le revenu, mais la part de peu satisfaite de lâĂ©quilibre de leurs temps de vie augmente.
Nous dressons ainsi un premier portrait contrastĂ© de la satisfaction et de lâinsatisfaction en France, qui montre moins un pays coupĂ© en deux que traversĂ© de contrastes multiples.
Mathieu Perona, Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, mathieu.perona@cepremap.org
Publié le 14 mars 2022
Les dimensions du bien-ĂȘtre et du mal-ĂȘtre
Dans nos Notes trimestrielles de conjoncture, nous nous intĂ©ressons essentiellement aux Ă©volutions des valeurs moyennes de nos indicateurs de bien-ĂȘtre subjectif. De fait, ces Ă©volutions traduisent effectivement des mouvements dâensemble : il ne sâagit pas dâune petite section de la population qui deviendrait brusquement beaucoup plus satisfaite ou insatisfaite. Un regard sur la rĂ©partition fine des rĂ©ponses (Figure 1) montre que ces moyennes recouvrent des profils de rĂ©ponses assez contrastĂ©s. Nous en esquissons une typologie dans le Tableau 1.

Typologie des questions
Type de répartition des réponses | Dimensions | Moyenne 2016-2021 |
---|---|---|
ĂquilibrĂ©es Beaucoup de rĂ©ponses sur 7 et 8, autour de 10 % de trĂšs satisfaits (9-10) et autant dâinsatisfaits (0-4) | Satisfaction dans la vie | 6,6 |
Niveau de vie | 6,5 | |
Comparaison avec les autres Français | 6,6 | |
Année derniÚre | 6,4 | |
Avenir personnel / vie future | 5,9 | |
Polarisées des deux cÎtés Beaucoup de réponses sur 7 et 8, mais des parts plus fortes (15%-20%) de trÚs satisfaits et de trÚs insatisfaits | Travail | 7,1 |
Relations de travail | 7,0 | |
Temps libre | 6,6 | |
Ăquilibre des temps de vie | 5,9 | |
PolarisĂ©es vers le positif Beaucoup de rĂ©ponses sur 7 et 8, autour de 20% de trĂšs satisfaits et autour de 10% dâinsatisfaits | Sens de la vie | 7,1 |
Heureux hier | 6,9 | |
Santé | 6,9 | |
TrÚs polarisées vers le positif La trÚs grande majorité des réponses sont entre 8 et 10, avec une part significative des réponses à 10 | Relation avec les proches | 8,2 |
Soutien, gens sur qui compter | 7,6 | |
Sentiment de sécurité dans son quartier | 7,2 | |
Concentrées à 10 La modalité maximale, 10, rassemble à elle seule une majorité des réponses. | Dépression | 8,0 |
Exposition Ă lâagressivitĂ© | 8,4 | |
Polarisées vers le négatif Peu de réponses sur les niveaux les plus élevés, beaucoup de réponses sur les niveaux les plus bas. | Prochaine génération en France | 4,1 |
Prochaine génération en Europe | 4,3 |
Une premiĂšre famille rassemble les dimensions gĂ©nĂ©rales et cognitives du bien-ĂȘtre, dont la satisfaction dans la vie. Les rĂ©ponses 7 et 8 sont de loin les plus frĂ©quentes, et les extrĂȘmes (0-4 pour les moins satisfaits, 9 et 10 pour les plus satisfaits) rassemblent chacune moins dâune personne sur dix. Les Français jugent donc assez positivement ces dimensions, avec peu de contrastes.
Une deuxiĂšme famille ressemble Ă la premiĂšre avec des rĂ©ponses Ă 7 et 8 frĂ©quentes, mais aussi des parts significatives de personnes trĂšs satisfaites et trĂšs insatisfaites, traduisant une apprĂ©ciation nettement plus polarisĂ©e des situations. Cette famille rassemble les questions ayant trait aux temps de vie et au travail. Concernant le temps libre et lâĂ©quilibre des temps de vie, la part des insatisfaits est relativement plus importante, ce qui les classe parmi les dimensions Ă©valuĂ©es le plus nĂ©gativement. Inversement, pour le travail et les relations de travail, câest la part des trĂšs satisfaits qui domine et tire vers le haut lâĂ©valuation de ces domaines.
Une troisiĂšme famille prĂ©sente aussi une part importante de rĂ©ponses 7 et 8, mais aussi trĂšs positives, 9 et 10, tandis quâil y a relativement peu dâinsatisfaits. Cette famille regroupe lâĂ©valuation de la santĂ©, du sentiment que ce quâon fait dans sa vie a du sens et le sentiment dâavoir Ă©tĂ© heureux la veille. Du fait de cette polaritĂ© positive, ces dimensions bĂ©nĂ©ficient dâune Ă©valuation plus favorable que la satisfaction dans la vie.
Une quatriĂšme famille se caractĂ©rise par une concentration des rĂ©ponses sur les trois derniers Ă©chelons, 8, 9 et 10. Elle regroupe les dimensions relatives Ă lâenvironnement : le sentiment de sĂ©curitĂ© dans son quartier (mais avec un fort contraste entre femmes et hommes), la satisfaction Ă lâĂ©gard des relations avec les proches et le sentiment dâavoir des gens sur qui compter. Il sâagit des dimensions Ă©valuĂ©es le plus positivement par les Français, hormis les deux qui suivent.
La cinquiĂšme famille comporte le fait de sâĂȘtre senti dĂ©primĂ© la veille ou dâavoir Ă©tĂ© exposĂ© Ă de lâagressivitĂ© provenant de personnes hors du cercle familial. Pour ces deux rĂ©ponses, une majoritĂ© des Français choisissent lâĂ©chelon le plus faible, indiquant lâĂ©tat le plus favorable. Nous comprenons ce positionnement comme signifiant que pour les rĂ©pondants, lâabsence de sentiment dĂ©pressif ou dâexposition Ă lâagressivitĂ© constitue la norme.
Enfin, les apprĂ©ciations quant aux perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration constituent le domaine oĂč les Français sont les plus pessimistes, avec une part importante des rĂ©ponses sur les Ă©chelons les plus bas.
Ce qui se passe aux extrĂȘmes : bien-ĂȘtre et mal-ĂȘtre
Aux extrĂ©mitĂ©s de lâĂ©chelle de satisfaction, qui sont les personnes les plus satisfaites et les plus insatisfaites ? Un travail rĂ©cent1 a montrĂ© que lâinsatisfaction Ă©tait gĂ©nĂ©ralement un Ă©tat transitoire, dont la plupart des personnes sortaient en quelques annĂ©es. Nous montrons dans ce chapitre que cette dimension ponctuelle de lâinsatisfaction sâapplique aussi Ă son Ă©tendue. Les personnes qui se dĂ©clarent insatisfaites relativement Ă un aspect de leur vie ne sont que marginalement plus susceptibles que les autres Ă se dĂ©clarer Ă©galement insatisfaites relativement Ă dâautres dimensions du bien-ĂȘtre subjectif, Ă quelques exceptions prĂšs. De maniĂšre peut-ĂȘtre plus surprenante, il en va de mĂȘme pour les personnes dĂ©clarant un degrĂ© Ă©levĂ© de satisfaction : se dire satisfait dâun domaine nâentraĂźne pas nĂ©cessairement une forte satisfaction dans un autre. Cet examen croisĂ© des plus satisfaits et des plus insatisfaits met ainsi en Ă©vidence une forme de compartimentation de la maniĂšre dont les Français Ă©valuent les diffĂ©rents domaines de leur vie et souligne la nĂ©cessitĂ© dâune approche multidimensionnelle.
Bien Ă©videmment, il est difficile de dĂ©finir ce que sont un faible ou un fort niveau de satisfaction de maniĂšre univoque Ă partir de nos questions. Pour ce travail, nous avons choisi dans chaque cas des seuils qui, sauf exception, rassemblent environ 10 % des niveaux de satisfaction les plus faibles et les plus Ă©levĂ©s pour chaque question. Nous dĂ©taillons lâensemble de nos choix Ă la fin de cette section du rapport. Avec une telle dĂ©finition, nous parlons donc ici de personnes qui sont satisfaites ou insatisfaites relativement Ă ce que rĂ©pondent la plupart des autres. Il ne sâagit donc pas des heureux et des malheureux dans lâabsolu, mais des personnes comparativement plus heureuses ou malheureuses que la plupart des Français.
Aspects du bonheur, aspects du malheur
DĂ©finie ainsi, la grande insatisfaction constitue un phĂ©nomĂšne relativement frĂ©quent : seulement un gros tiers des rĂ©pondants ne se dĂ©clarent trĂšs insatisfait dans aucun de nos 19 domaines (Figure 2, panneau de gauche). Câest aussi vrai de la grande satisfaction, puisque seulement un rĂ©pondant sur cinq ne dĂ©clare de grande satisfaction dans aucun de ces domaines (Figure 2, panneau de droite). La plupart des Français estiment donc avoir des domaines de leur bien-ĂȘtre dont ils sont trĂšs heureux, et dâautres qui leur posent sĂ©rieusement problĂšme.

En commençant ce travail, nous nous attendions par ailleurs Ă ce que chez une personne, le mal-ĂȘtre se propage facilement dâun domaine Ă lâautre : ĂȘtre insatisfait de son travail par exemple, a naturellement des consĂ©quences sur lâĂ©valuation que lâon fait de sa vie en gĂ©nĂ©ral. Toutefois, la Figure 2 montre que ce phĂ©nomĂšne est limitĂ©. La plupart des personnes trĂšs insatisfaites ne le sont que dans un ou deux domaines, et ceux pour lesquels ont pourrait parler dâinsatisfaction gĂ©nĂ©ralisĂ©e, concernant cinq domaines ou plus, ne reprĂ©sentent quâun dixiĂšme des rĂ©pondants. Du cĂŽtĂ© de la grande satisfaction en revanche, prĂšs dâun quart des personnes interrogĂ©es Ă©taient trĂšs satisfaites de plus de cinq domaines de bien-ĂȘtre.
Domaine par domaine (Figure 7, en annexe 8.1.), les corrĂ©lations entre insatisfaction dans un domaine et insatisfaction dans un autre sont faibles, Ă quelques exceptions prĂšs. Ainsi, le fait dâĂȘtre trĂšs insatisfait de sa santĂ© nâa pratiquement aucune relation avec le fait dâĂȘtre trĂšs insatisfait de sa vie future, et de mĂȘme une forte insatisfaction vis-Ă -vis de son travail nâentraĂźne pas une insatisfaction vis-Ă -vis de son temps libre. Parmi les quelques exceptions, certaines sont liĂ©es Ă la proximitĂ© des questions posĂ©es : les personnes trĂšs pessimistes Ă lâĂ©gard de la prochaine gĂ©nĂ©ration en France le sont en gĂ©nĂ©ral aussi concernant celles du reste de lâEurope, et celles insatisfaites de leur travail le sont souvent aussi de leurs relations de travail. Les autres font pleinement sens. Le lien entre insatisfaction Ă lâĂ©gard de son travail et faible sentiment que ce que lâon fait dans sa vie Ă du sens souligne la place importante du travail dans lâimage sociale des rĂ©pondants. Les liens un peu plus Ă©troits entre insatisfaction Ă lâĂ©gard de son niveau de vie, du sens de sa vie, du passĂ© rĂ©cent et des perspectives dâavenir avec la satisfaction dans la vie rappelle pourquoi cette derniĂšre est souvent utilisĂ©e comme une synthĂšse de toutes les dimensions.
Toutefois, la force de ce lien reste trĂšs faible, et lâest encore plus avec des dimensions que lâon peut raisonnablement qualifier de fondamentale, comme les relations avec les proches. La faiblesse de ce lien dĂ©montre lâimportance de mesurer le bien-ĂȘtre Ă lâaide de plusieurs indicateurs. Ă ne regarder quâune dimension du mal-ĂȘtre ou du bien-ĂȘtre, on manque toujours un ensemble de domaines essentiels qui ne sont que trĂšs partiellement liĂ©s. Il montre aussi que la France ne se divise pas en populations plus ou moins heureuses de maniĂšre homogĂšne. Il existe des convergences de mal-ĂȘtre et dâinsatisfaction, mais pas de malheur gĂ©nĂ©ralisĂ© qui concernerait une partie bien dĂ©limitĂ©e de la population2.
Les Ăąges de la vie
Certaines dimensions du bien-ĂȘtre se dĂ©gradent avec le temps (Figure 3). La proportion de personnes trĂšs satisfaites de leur santĂ© diminue avec le temps, tandis que la part de trĂšs insatisfaits augmente. Il en va de mĂȘme de lâapprĂ©ciation de la vie future, qui anticipe, semble-t-il, non seulement cette dĂ©gradation mais aussi, certainement, le fait que lâhorizon de cette question se rĂ©duit au fur et Ă mesure quâon avance en Ăąge.

De maniĂšre plus surprenante, le sentiment que ce quâon fait dans la vie a beaucoup du sens se dĂ©grade, lui aussi, assez rĂ©guliĂšrement avec le temps. Il ne sâagit pas de la charniĂšre de la retraite : la part des personnes qui trouvent que leur vie a beaucoup de sens part dâun niveau Ă©levĂ© Ă 25 ans3, puis sâĂ©rode avec lâĂąge des rĂ©pondants, sans point de rupture marquĂ©. La proportion de personnes souffrant dâun manque de sens Ă leur vie est en revanche assez stable jusquâaux alentours de 70 ans, et croĂźt ensuite. Ce prisme du bonheur et du malheur met en Ă©vidence ici deux enjeux diffĂ©rents : dâune part celui de la place donnĂ©e aux seniors dans la sociĂ©tĂ©, et dâautre part lâĂ©rosion de la part des personnes trouvant un sens fort Ă leur action quotidienne. Ă peu de choses prĂšs, le sentiment dâavoir Ă©tĂ© heureux la veille suit une trajectoire similaire Ă celle du sens de la vie.
La crise de la quarantaine
Au miroir de nos indicateurs, la crise de la quarantaine est dâabord une insatisfaction au regard des conditions matĂ©rielles (Figure 4). La part dâinsatisfaits de leur niveau de vie est maximale parmi les rĂ©pondants entre 40 et 50 ans, tandis que la part des trĂšs satisfaits dĂ©croĂźt rapidement entre 20 et 40 ans, pour se redresser lentement ensuite. Ces deux dynamiques peuvent avoir pour origine commune dâune part la conjonction de besoins et dâattentes croissantes â lâachat dâun logement, dĂ©penses liĂ©es Ă lâĂ©ducation des enfants, et dâautre part de rĂ©munĂ©rations qui stagnent ou ne croissent pas aussi vite quâattendu.

Les donnĂ©es portant sur les annĂ©es 2016 Ă 2021, lâĂąge effectif de passage Ă la retraite reste proche de 60 ans pour lâessentiel des rĂ©pondants. Nous coupons donc Ă 60 ans les rĂ©ponses aux questions qui ne sont posĂ©es quâaux personnes en activitĂ© (colonne de droite), pour Ă©viter que les rĂ©ponses ne reflĂštent que lâopinion dâune minoritĂ© choisissant de travailler plus longtemps.
Cette dynamique de la satisfaction Ă lâĂ©gard du niveau de vie explique pour partie celle de la satisfaction dans la vie en gĂ©nĂ©ral, en particulier lâĂ©rosion de la part des trĂšs satisfaits entre 25 et 60 ans. Ă partir du seuil de 60 ans, la baisse de la part des insatisfaits provoque une amĂ©lioration de la satisfaction de la population dans son ensemble, jusquâau seuil des 70 ans. Nous avons montrĂ© que cette baisse de la part des insatisfaits Ă©tait en bonne partie due aux personnes passant du chĂŽmage Ă la retraite4. Cette charniĂšre de la retraite est Ă©galement trĂšs visible en ce qui concerne la satisfaction Ă lâĂ©gard du temps libre. Concernant cette derniĂšre, remarquons le pic dâinsatisfaction aux alentours de 40 ans, qui procĂšde trĂšs probablement de la rencontre des exigences parentales et professionnelles Ă ce moment du cycle de vie. La diminution progressive du temps consacrĂ© aux enfants explique probablement aussi la diminution de la part des insatisfaits quant Ă lâĂ©quilibre de leurs temps de vie aprĂšs 40 ans.
Le rapport au travail apparaĂźt plus complexe. Câest aux alentours de la cinquantaine que lâon trouve Ă la fois la plus grande part de personnes trĂšs satisfaites et trĂšs insatisfaites de leur travail. On peut imaginer quâĂ ce point de leur trajectoire, les uns sont au sommet de leur carriĂšre, tandis que les autres constatent une absence de perspective et ressentent de plus en plus douloureusement lâusure, y compris dans les relations avec les collĂšgues de travail.
Des femmes plus nombreuses aux deux extrémités du spectre
Selon la plupart des dimensions de notre tableau de bord du bien-ĂȘtre, les femmes sont relativement plus nombreuses que les hommes Ă dĂ©clarer les niveaux de satisfaction les plus hauts, mais aussi les plus bas. Sur la Figure 5, nous reprĂ©sentons la part de chaque genre parmi les trĂšs insatisfaits et les trĂšs satisfaits. Parmi les insatisfaits, les femmes sont relativement plus nombreuses dans 16 des 19 dimensions. LâĂ©cart le plus important concerne le sentiment de sĂ©curitĂ© : 75% des personnes qui ne se sentent pas en sĂ©curitĂ© la nuit dans leur quartier sont des femmes (on retrouve cette observation dans de nombreuses enquĂȘtes internationales). LâĂ©cart est Ă©galement sensible en ce qui concerne le sentiment de dĂ©pression ainsi que les deux questions relatives aux perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration. Concernant ces trois questions, les femmes sont Ă©galement moins nombreuses que les hommes Ă fournir des rĂ©ponses trĂšs positives. La seule question qui attire plus dâhommes parmi les insatisfaits porte sur lâĂ©quilibre des temps de vie. Mais de maniĂšre symĂ©trique, mĂȘme si les Ă©carts sont moindres, les femmes sont relativement plus nombreuses parmi les trĂšs satisfaits dans 14 de nos 19 dimensions. La diffĂ©rence est particuliĂšrement sensible pour ce qui touche les relations avec les proches, le soutien quâon peut en attendre ainsi que lâexposition Ă lâagressivitĂ©.

Stratification sociale du bien-ĂȘtre
Nous avons eu lâoccasion dans de prĂ©cĂ©dents travaux de mettre en Ă©vidence la stratification sociale du bien-ĂȘtre subjectif et le fait que la satisfaction dans la vie croissait avec le revenu. Ainsi que le montre rĂ©guliĂšrement notre tableau de bord, câest Ă©galement le cas pour bon nombre dâautres dimensions, comme le sens de la vie, la santĂ© subjective ou lâapprĂ©ciation de la vie future. La rĂ©alitĂ© matĂ©rielle ancre Ă©videmment ces reprĂ©sentations : la santĂ© des plus modestes est objectivement moins bonne que celle des plus aisĂ©s, Ă la fois pour des raisons dâexposition aux risques, y compris dans leur travail, pour des raisons dâaccĂšs aux soins et pour des raisons de comportement. La contrainte financiĂšre joue Ă©galement sur le sentiment de dĂ©pression, plus frĂ©quent dans les milieux modestes, mais aussi dans le sentiment de ne pas avoir de gens sur qui compter autour de soi. La part des trĂšs satisfaits et des trĂšs insatisfaits dans chaque quintile de revenus (Figure 6) permet de donner un Ă©clairage supplĂ©mentaire Ă ces contrastes. On constate ainsi que la part des trĂšs insatisfaits diminue avec le revenu, tandis que la part des trĂšs satisfaits augmente.

En revanche, les distinctions sociales se rĂ©duisent dans le domaine du travail. La satisfaction Ă lâĂ©gard du travail5 est en moyenne peu dĂ©pendante des classes de revenu et des niveaux de diplĂŽme. Si les plus aisĂ©s sont proportionnellement plus nombreux Ă se dire trĂšs satisfaits de leur travail, toutes les classes de revenu sont prĂ©sentes pratiquement Ă Ă©galitĂ© parmi les moins satisfaits. Comme nous le relevions lâan dernier, la rĂ©munĂ©ration nâest quâun facteur parmi beaucoup dâautres de lâinsatisfaction au travail. Le sentiment de nâĂȘtre pas reconnu Ă sa juste valeur se rencontre Ă pratiquement tous les niveaux de rĂ©munĂ©ration ou de qualification.
Autour du travail, lâĂ©quilibre des temps de vie prĂ©sente une image diffĂ©rente. La part des personnes aux revenus modestes et moyens est plus importante parmi les personnes trĂšs satisfaites dans ce domaine, et, Ă lâautre extrĂȘme, moins importante parmi les personnes insatisfaites. Il est tentant de lire ici un effet de lâorganisation du travail en France, oĂč les emplois Ă horaires fixes restent la rĂ©fĂ©rence sauf pour une part croissante des cadres. Le passage au tĂ©lĂ©travail, qui institue une porositĂ© entre le temps personnel et le temps professionnel dans des domaines pourra venir rĂ©duire ces diffĂ©rences. Pour lâinstant, nous nâobservons pas de changement en moyenne dans les vagues les plus rĂ©centes de lâenquĂȘte. Il faut toutefois garder Ă lâesprit que la situation reste trĂšs instable, et que les temps de vie restent perturbĂ©s par les alĂ©as de la situation sanitaire. Il sâagit donc avant tout dâun point dâattention pour lâavenir.
Enfin, il nous a semblĂ© important de relever que si les plus aisĂ©s et les plus diplĂŽmĂ©s sont en moyenne plus optimistes quant aux perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration, cet Ă©cart semble essentiellement liĂ© Ă des visions trĂšs diffĂ©rentes aux extrĂȘmes de la rĂ©partition des revenus. Dans notre Ă©chantillon, les 20 % des mĂ©nages les plus modestes sont nettement plus pessimistes, et les 20 % les plus aisĂ©s nettement plus optimistes. Le 60 % des mĂ©nages du milieu partagent sensiblement la mĂȘme apprĂ©ciation des perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration.
MĂ©thodologie : comment dĂ©finir la satisfaction et lâinsatisfaction ?
La recherche sur les mĂ©triques de bien-ĂȘtre subjectif ne fournit pas de seuils communĂ©ment admis pour Ă©tablir quâune personne est particuliĂšrement satisfaite ou insatisfaite. En pratique, lâusage de lâĂ©chelle de 0 Ă 10 peut prĂ©senter des Ă©carts selon les pays et les cultures. Les pays nordiques, par exemple, se distinguent de la France par un usage plus frĂ©quent des Ă©chelons les plus Ă©levĂ©s. Il convient donc de procĂ©der au cas par cas, en fonction de la rĂ©partition effective des rĂ©ponses. Dans notre cas, le problĂšme se redouble du fait de lâĂ©tendue de notre questionnaire qui comprend 19 dimensions, couvrant des domaines qui nâont pas toujours dâĂ©quivalent direct dans dâautres enquĂȘtes, avec des rĂ©partitions des rĂ©ponses trĂšs diffĂ©rentes. Nous avons donc choisi pour cette section les seuils qui nous ont semblĂ© les plus pertinents pour mesurer les caractĂ©ristiques et Ă©volutions des rĂ©ponses des plus satisfaits et des moins satisfaits dans chaque domaine, tout en regroupant une part de rĂ©pondants suffisante. Le Tableau 2 rĂ©capitule les seuils que nous avons retenus ainsi que la part correspondante des rĂ©ponses. Nous nous expliquons ci-dessous du choix de ces seuils.
7.1.Lâinsatisfaction
Pour commencer, une prĂ©caution : notre plate-forme sâappuie sur lâenquĂȘte de conjoncture auprĂšs des mĂ©nages de lâInsee, rĂ©alisĂ©e par tĂ©lĂ©phone sur la base dâun tirage dans les fichiers de la taxe dâhabitation. Par construction, cette mĂ©thode dâenquĂȘte nâatteint pas ou peu les plus prĂ©caires : personnes sans domicile, hĂ©bergĂ©es, ainsi que toute une frange de personnes rĂ©ticentes face Ă une enquĂȘte, maĂźtrisant mal la langue, prĂ©sentant des troubles mentaux, etc. Ces populations en grande prĂ©caritĂ© Ă©chappent donc au regard de cette enquĂȘte. Nous ne prĂ©tendons donc pas ici dresser un portrait fidĂšle du ressenti des plus prĂ©caires dans la sociĂ©tĂ© française, mais quantifier lâĂ©tendue du mal-ĂȘtre dans la population gĂ©nĂ©rale, hors ces situations de grande prĂ©caritĂ©.
Ceci posĂ©, il nous a semblĂ© pertinent de considĂ©rer comme insatisfaites les 10% â 15% des personnes qui indiquaient les niveaux les plus faibles de satisfaction. Structurellement, le seuil retenu dĂ©pend de la question, et les proportions ne sont pas strictement les mĂȘmes dâune question Ă lâautre. Pour autant, la plupart des rĂ©ponses Ă nos questions montrent une charniĂšre marquĂ©e Ă 5. Alors que les modalitĂ©s de 0 Ă 4 sont relativement peu choisies, une part nettement plus importante des rĂ©pondants se positionne Ă 56. MĂȘme sâil ne sâagit pas du milieu de lâintervalle â lâĂ©chelle de 0 Ă 10 a Ă©tĂ© aussi choisie pour ne pas proposer dâoption neutre correspondant Ă un milieu exact â cette modalitĂ© correspond qualitativement Ă une forme dâindiffĂ©rence, une maniĂšre de rĂ©pondre que sans aller bien, les choses ne vont pas trop mal non plus. Ainsi, Ă cinq exceptions prĂšs (sur 19), dire que les personnes insatisfaites sont celles qui rĂ©pondent entre 0 et 4 sur notre Ă©chelle revient Ă considĂ©rer comme telles les 8% Ă 13% des rĂ©ponses les plus basses. Cette conjonction dâune proportion raisonnable et dâun seuil absolu nous invite Ă lâutiliser dans ces quatorze cas.
Nous traitons diffĂ©remment cinq questions. En premier lieu, les modalitĂ©s les plus faibles sont trĂšs peu utilisĂ©es dans les rĂ©ponses concernant les relations avec les proches. Câest un signe positif, puisquâil implique que peu de personnes sont trĂšs insatisfaites dans ce domaine. Toutefois, choisir un seuil Ă 4 impliquerait de considĂ©rer un nombre trop faible de rĂ©pondants pour que leur examen ait statistiquement un sens. Nous retenons donc pour cette question un seuil Ă 6. En deuxiĂšme lieu, les rĂ©ponses aux questions relatives aux perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration en France et en Europe sont nettement plus nĂ©gatives que celles portant sur tous les autres domaines. Un seuil Ă 4 reviendrait Ă considĂ©rer comme insatisfaite dans ce domaine une moitiĂ© au moins de la population. Qualitativement, ce constat peut ĂȘtre juste, mais une telle proportion rendrait difficile la comparaison avec les autres dimensions, oĂč lâinsatisfaction est envisagĂ©e comme un phĂ©nomĂšne minoritaire, un Ă©cart Ă la position de la plupart des rĂ©pondants. Nous retenons donc pour ces deux questions les rĂ©ponses 0 et 1, ce qui nous permet de dĂ©signer comme insatisfaite une proportion proche de 10 % des rĂ©pondants. En troisiĂšme lieu, ce pessimisme quant Ă lâavenir est moindre pour la question relative Ă lâavenir individuel (Quand vous pensez Ă ce que vous allez vivre dans les annĂ©es Ă venir, ĂȘtes-vous satisfait de cette perspective ?). Afin de ne pas inclure une part trop importante de la population, nous ne considĂ©rons comme insatisfaites que les personnes qui choisissent les Ă©chelons de 0 Ă 2. Enfin, lâĂ©quilibre des temps de vie constitue un autre point dâinsatisfaction assez marquĂ©. Pour avoir une proportion des rĂ©ponses comparable aux autres questions, nous ne retenons que les rĂ©ponses de 0 Ă 3.
Ces choix impliquent que lâinsatisfaction telle que nous lâenvisageons dans ce chapitre est dâabord une insatisfaction relative : nous nous intĂ©ressons aux personnes qui sont significativement moins satisfaites que le reste de la population. Elle ne correspond ainsi pas toujours Ă un concept dâinsatisfaction absolue â si tant est quâil soit possible de donner une dĂ©limitation claire Ă ce terme Ă lâaide de nos indicateurs.
7.2.La forte satisfaction
Le problĂšme de la forte satisfaction se pose dans des termes un peu diffĂ©rents de ceux de lâinsatisfaction. LĂ oĂč la rĂ©partition des rĂ©ponses sur les barreaux infĂ©rieurs de lâĂ©chelle est assez similaire dâune question Ă lâautre, les diffĂ©rences sont majeures quand on sâintĂ©resse aux barreaux supĂ©rieurs. PrĂšs de la moitiĂ© des rĂ©pondants indiquent ne sâĂȘtre pas du tout sentis dĂ©primĂ©s la veille (Ă©quivalent Ă une rĂ©ponse Ă 10), et un tiers ne se sont pas sentis exposĂ©s Ă lâagression. De nombreuses Ă©tudes considĂšrent quâune personne est heureuse ou satisfaite quand elle indique une rĂ©ponse supĂ©rieure ou Ă©gale Ă 8 sur cette Ă©chelle de 8 Ă 10. Toutefois, 8 est Ă©galement la modalitĂ© la plus choisie pour une part significative de nos questions : inclure cette modalitĂ© impliquerait donc dâanalyser non une population relativement plus satisfaite que le reste, mais une large section des rĂ©pondants. Afin de prĂ©server une certaine symĂ©trie avec lâinsatisfaction, nous retenons des seuils qui permettent de se focaliser sur une proportion limitĂ©e des rĂ©ponses.
En acceptant un peu plus de variation dâune question Ă lâautre dans la part des personnes concernĂ©es, retenir les personnes rĂ©pondant 9 ou 10 convient pour la plupart des questions. Les exceptions concernent en premier lieu les questions sur lâanxiĂ©tĂ© et la dĂ©pression, le sentiment de sĂ©curitĂ©, et celui dâexposition Ă lâagression. Nous ne retenons pour ces questions que la modalitĂ© 10, choisie par une part importante des rĂ©pondants. En second lieu, les relations avec les proches et le sentiment dâavoir des gens sur qui compter rassemblent aussi une part suffisante des rĂ©ponses sur la modalitĂ© 10. La question relative au temps prĂ©sente aussi une concentration suffisante sur la modalitĂ© supĂ©rieure pour que nous ne retenions que les rĂ©ponses Ă 10. Enfin, les deux questions concernant les perspectives de la prochaine gĂ©nĂ©ration restent marquĂ©es par le pessimisme, et il faut descendre jusquâĂ 7 pour obtenir une part des rĂ©pondants comparable aux autres questions.
Insatisfaits | Satisfaits | |||
Dimension | Valeurs | Part | Valeurs | Part |
Satisfaction dans la vie | 0 â 4 | 9% | 9 â 10 | 8% |
Sens de la vie | 0 â 4 | 8% | 9 â 10 | 21% |
Heureux hier | 0 â 4 | 12% | 9 â 10 | 22% |
Anxieux et dĂ©primĂ© | 0 â 4 | 13% | 10 | 52% |
SantĂ© | 0 â 4 | 12% | 9 â 10 | 22% |
Niveau de vie | 0 â 4 | 11% | 9 â 10 | 10% |
Comparaison avec les autres | 0 â 4 | 7% | 9 â 10 | 10% |
Heureux lâannĂ©e derniĂšre | 0 â 4 | 12% | 9 â 10 | 10% |
Vie future individuelle | 0 â 2 | 11% | 9 â 10 | 6% |
Prochaine gĂ©nĂ©ration France | 0 â 1 | 12% | 7 â 10 | 10% |
Prochaine gĂ©nĂ©ration Europe | 0 â 1 | 9% | 7 â 10 | 10% |
Relation avec les proches | 0 â 6 | 12% | 10 | 22% |
Gens sur qui compter | 0 â 4 | 9% | 10 | 26% |
Sentiment de sĂ©curitĂ© | 0 â 4 | 13% | 10 | 22% |
Agression ressentie | 0 â 4 | 12% | 10 | 62% |
Satisfaction au travail | 0 â 4 | 8% | 9 â 10 | 8% |
Relations de travail | 0 â 4 | 9% | 9 â 10 | 17% |
Ăquilibre des temps de vie | 0 â 3 | 13% | 9 â 10 | 9% |
Temps libre | 0 â 4 | 18% | 10 | 11% |
Annexes
Corrélations entre dimensions : trÚs insatisfaits

Bibliographie
E. Beasley, E. Raineau-Rispal, M. Perona, « Le Tournant de la quarantaine », Note de lâObservatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, 2018.
M. PĂ©ron, M. Perona et C. Senik, « Le passage Ă la retraite », Note de lâObservatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, n°2019-07, 2019.
L. Wilner, «The persistence of unhappiness: trapped into despair? », Oxford Economic Papers, 2021.
- L. Wilner, «The persistence of unhappiness: trapped into despair? », Oxford Economic Papers, 2021.
- Voir sur ce point P. Rosanvallon, Les Ă©preuves de la vie, Seuil, 2021.
- En raison du mode dâinterrogation de lâenquĂȘte Camme, fondĂ©e sur les fichiers de la taxe dâhabitation, les moins de 25 ans sont trop peu nombreux parmi les rĂ©pondants.
- M. PĂ©ron, M. Perona et C. Senik, « Le passage Ă la retraite », Note de lâObservatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, n°2019-07, 2019.
- Ă nouveau, cette question nâest posĂ©e quâaux personnes en emploi. On mesure ici la satisfaction des personnes qui ont un emploi, ce qui exclut lâeffet du chĂŽmage.
- Ainsi quâexpliquĂ© plus haut, nous recodons pour toute cette section les questions relatives Ă la dĂ©pression et Ă lâexposition Ă lâagressivitĂ© de maniĂšre Ă ce que partout, 0 dĂ©signe de niveau de bien-ĂȘtre le plus faible et 10 le plus Ă©levĂ©.