Le suivi dâune cohorte dâenfants permet de mettre en Ă©vidence lâinfluence sur le long terme que peuvent avoir les enseignants sur leurs Ă©lĂšves. Les travaux de Sarah FlĂšche Ă partir dâune cohorte britannique montrent que les enseignantes et enseignants du primaire ont un effet non seulement sur les notes de leurs Ă©lĂšves, mais aussi sur leurs compĂ©tences non-cognitives (par exemple lâestime de soi, la persĂ©vĂ©rance, ou encore les relations interpersonnelles). Cet effet sâobserve Ă court terme sur les notes, mais sâestompe avec les annĂ©es. Cependant, si lâeffet sur les notes diminue au fil du temps, on continue Ă observer une influence des enseignants sur la rĂ©ussite de leurs Ă©lĂšves Ă long terme, que ce soit Ă travers lâaccĂšs Ă lâuniversitĂ©, lâinsertion sur le marchĂ© du travail, leur santĂ© mentale ou leurs comportements.
La capacitĂ© des enseignants Ă amĂ©liorer les performances cognitives de leurs Ă©lĂšves ne va pas nĂ©cessairement de pair avec leur capacitĂ© Ă amĂ©liorer la dimension non-cognitives. Les capacitĂ©s Ă faire progresser les Ă©lĂšves dans lâun ou lâautre constituent deux compĂ©tences sĂ©parĂ©es. Ces compĂ©tences ne semblent pas sâacquĂ©rir principalement avec lâexpĂ©rience, puisque lâĂąge, le nombre dâannĂ©es dâexercice ou la confiance que les enseignants ont dans leurs pratiques ne semblent pas liĂ©es Ă la valeur ajoutĂ©e mesurĂ©e. En revanche, les pratiques pĂ©dagogiques mises en place par lâenseignant contribuent significativement Ă expliquer les diffĂ©rences de progressions entre Ă©lĂšves.
Cette note est une adaptation de lâarticle original : Sarah FlĂšche, « Teacher Quality, Test Scores and Non-Cognitive Skills : Evidence from Primary School Teachers in the UK », CEP Working Paper, N°1472, 2017.
Adaptation : Mathieu Perona et Sarah FlĂšche
Sarah FlĂšche, assistant professor Aix-Marseille School of Economics Chercheuse associĂ©e Observatoire du Bien-ĂȘtre du CepremapP, sarah.fleche@univ-amu.fr
Mathieu Perona, directeur exĂ©cutif de lâObservatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, mathieu.perona@cepremap.org
Les horizons de lâinfluence des enseignants
Nous avons tous en mĂ©moire des enseignantes ou des enseignants qui ont influencĂ© notre destin scolaire. De fait, la recherche dans le domaine met en Ă©vidence deux effets, Ă premiĂšre vue difficile Ă rĂ©concilier1. Dâune part, si on cherche Ă mesurer lâeffet dâun enseignant sur les performances scolaires de ses Ă©lĂšves, le plus souvent par des tests standardisĂ©s, ces mesures font apparaĂźtre des impacts importants2. Mais ces effets des enseignants sur les performances scolaires de leurs Ă©lĂšves sâattĂ©nuent rapidement avec le temps. Dâautre part, on constate que ces enseignants qui ont amĂ©liorĂ© les performances scolaires de leurs Ă©lĂšves une annĂ©e donnĂ©e ont une influence de long terme sur leur rĂ©ussite future : leurs anciens Ă©lĂšves ont un meilleur taux dâaccĂšs Ă lâenseignement supĂ©rieur, Ă lâemploi et des revenus plus Ă©levĂ©s3. Puisque cette influence ne se lit pas dans les rĂ©sultats scolaires Ă long terme, cela peut signifier que ces enseignants, qui ont amĂ©liorĂ© les performances scolaires de leurs Ă©lĂšves, ont transmis ou dĂ©veloppĂ© des compĂ©tences importantes pour leur succĂšs futur, Ă lâuniversitĂ© ou sur le marchĂ© du travail, mais qui ne sont pas en tant que telles Ă©valuĂ©es par le systĂšme scolaire. La recherche identifie en effet un ensemble de compĂ©tences dites non-cognitives (voir encadrĂ©), par exemple la persĂ©vĂ©rance, la capacitĂ© Ă se motiver soi-mĂȘme, lâestime de soi ou le contrĂŽle de soi, qui constituent des atouts importants pour les Ă©tudes et la vie professionnelle4.
Ces constats ont des implications importantes pour la formation et lâĂ©valuation des enseignants. DĂšs lors quâon va au-delĂ de lâacquisition immĂ©diate des connaissances, oĂč lâeffet individuel dâun enseignant sâestompe rapidement, il faut comprendre les relations quâentretiennent les compĂ©tences cognitives et non-cognitives dans le temps et la façon dont les enseignants peuvent influencer ces compĂ©tences non-cognitives, tout aussi dĂ©terminantes pour la rĂ©ussite future. Pour analyser ces relations, Sarah FlĂšche a utilisĂ© des donnĂ©es de cohortes anglaises qui ont suivi des enfants de leur naissance Ă lâĂąge de 20 ans et qui ont permis de les observer dans leur environnement scolaire. Il devient ainsi possible dâidentifier lâeffet Ă court et long terme de leurs enseignants Ă la fois sur le dĂ©veloppement de leurs compĂ©tences cognitives mais aussi de leurs capacitĂ©s non-cognitives.
Ce travail a ainsi permis Ă lâauteur de mettre en Ă©vidence que :
- Les enseignants ont un impact sur les compétences non-cognitives de leurs élÚves aussi bien que sur leurs compétences cognitives.
- Lâacquisition de compĂ©tences cognitives et non-cognitives sont liĂ©es entre elles. Avoir un enseignant qui fait progresser la performance scolaire dâun Ă©lĂšve amĂ©liore ses capacitĂ©s non-cognitives dans le futur, et vice-versa.
- Lâimpact des enseignants sur les capacitĂ©s non cognitives perdurent dans le temps et expliquent une part significative des diffĂ©rences observĂ©es Ă lâĂąge de 20 ans en termes dâĂ©ducation, dâinsertion sur le marchĂ© du travail, de santĂ© mentale et de comportements.
- La capacitĂ© dâun enseignant Ă amĂ©liorer les performances scolaires de ses Ă©lĂšves est assez indĂ©pendante de sa capacitĂ© Ă amĂ©liorer leurs compĂ©tences non-cognitives sur le court terme. Du point de vue de lâenseignement, ce sont donc deux enjeux pĂ©dagogiques diffĂ©rentes.
MĂ©thode
Une vaste littĂ©rature cherche Ă estimer lâapport des enseignants Ă leurs Ă©lĂšves, le plus souvent en termes de rĂ©sultats scolaires mais aussi, comme ici, sur des mesures dâinsertion Ă©conomique et sociale Ă plus long terme. Les rĂ©sultats des Ă©lĂšves Ă une date donnĂ©e sont influencĂ©s par une multitude dâĂ©lĂ©ments individuels : leur origine sociale, le niveau de revenu de leur foyer, leur genre, leur travail antĂ©rieur (mesurĂ© par leurs rĂ©sultats les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes), mais aussi collectifs, comme la composition de la classe. Lâenjeu est de sĂ©parer lâinfluence de ces Ă©lĂ©ments de celle de lâenseignant (ou de lâĂ©tablissement), que lâon dĂ©signe sous le terme de valeur ajoutĂ©e5. La valeur ajoutĂ©e dâun enseignant est ainsi lâĂ©cart entre les performances observĂ©es des Ă©lĂšves Ă la fin de lâannĂ©e (ou au tout dĂ©but de lâannĂ©e suivante) et celles observĂ©es lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente, en contrĂŽlant pour toute lâinformation disponible sur les Ă©lĂšves et leur environnement scolaire entre ces deux pĂ©riodes.
Effets Ă court et long terme des enseignants
Un impact sur la scolarité
Lâimpact le plus fort sâobserve logiquement lâannĂ©e mĂȘme. En mathĂ©matiques, un enseignant meilleur en termes de valeurs ajoutĂ©e que 85 % de ses collĂšgues augmentera la note de ses Ă©lĂšves de 0,5 points (sur 20) par rapport Ă un enseignant moyen. Câest ce que nous reprĂ©sentons sur la figure 1. Nous supposons quâun Ă©lĂšve a eu une annĂ©e donnĂ©e un enseignant dont la valeur ajoutĂ©e est un Ă©cart-type au-dessus de la moyenne de ses collĂšgues, câest-Ă -dire meilleure de 85 % dâentre eux. Nous calculons ensuite la diffĂ©rence entre le score de cet Ă©lĂšve et celui dâune camarade issue dâune famille similaire, qui aurait eu un enseignant dont la valeur ajoutĂ©e est Ă la moyenne.

Figure 1 : Impact dâun enseignant jusquâĂ 8 ans aprĂšs avoir quittĂ© sa classe.
Lâampleur des effets ainsi calculĂ©s dĂ©coule en partie du mode de comparaison que nous avons adoptĂ©. Ainsi, lâĂ©cart de valeurs ajoutĂ©es entre un enseignant est ramenĂ© sur une Ă©chelle de zĂ©ro Ă vingt pour faciliter les comparaisons. Il faut Ă©galement noter quâil sâagit de lâimpact moyen sur lâensemble des Ă©lĂšves de cet enseignant : un impact dâun demi-point en moyenne signifie une capacitĂ© soit Ă augmenter les rĂ©sultats de lâensemble de la classe6, soit Ă augmenter trĂšs nettement les rĂ©sultats dâune partie de la classe sans dĂ©grader ceux du reste.
Ă plus long terme, lâeffet dâun enseignant sur les performances en mathĂ©matiques sâattĂ©nue avec le temps. Si nous comparons dans le temps un Ă©lĂšve qui aurait eu une annĂ©e donnĂ©e un enseignant meilleur dâun Ă©cart-type par rapport Ă ses collĂšgues avec un Ă©lĂšve qui aurait eu un enseignant moyen, le premier aurait trois ans aprĂšs un score supĂ©rieur en mathĂ©matiques de 0,16 points. Huit ans plus tard, on constate encore un Ă©cart de 0,05 points : faible en valeur absolue, mais cela signifie quâĂ la sortie du collĂšge, lâenseignant de primaire continue Ă avoir un effet sur les notes de ses anciens Ă©lĂšves. Il importe ici de souligner que cette persistance, y compris lorsquâelle est mesurĂ©e par des tests qui ne comptent ni dans les bulletins scolaires des Ă©lĂšves ni dans lâĂ©valuation des enseignants, indique que la valeur ajoutĂ©e mesurĂ©e en mathĂ©matiques ne repose pas essentiellement sur une prĂ©paration au test, mais bien sur un dĂ©veloppement des compĂ©tences mathĂ©matiques de fond.
Dans le domaine non-cognitif, lâeffet immĂ©diat est plus faible, de 0,2 points sur 20, mais persiste plus fortement dans le temps. Huit ans plus tard, lâeffet dâavoir eu enseignant plus performant dans sa capacitĂ© Ă amĂ©liorer les capacitĂ©s non-cognitives de ses Ă©lĂšves reste de 0,05 points, soit un effet Ă©quivalent Ă 25 % de son effet initial. Rappelons que ce score non-cognitif se fonde sur les rĂ©ponses des parents. Lâeffet de lâenseignant dans ce domaine est donc suffisamment fort pour ĂȘtre remarquĂ© par les parents, y compris plusieurs annĂ©es aprĂšs.
Dans son travail, Sarah FlĂšche met aussi en Ă©vidence que les effets des enseignants se cumulent dans le temps. En dâautres termes, les impacts des enseignants sâadditionnent, quâil sâagisse des mathĂ©matiques ou du comportement. Cela confirme que cette mesure de valeur ajoutĂ©e correspond bien Ă lâacquisition de compĂ©tences fondamentales, et non dâune avance temporaire sur les autres Ă©lĂšves du mĂȘme Ăąge.
Enfin, lâexpĂ©rimentation montre que les progrĂšs se renforcent mutuellement. Ainsi, les Ă©lĂšves dâun enseignant Ă forte valeur ajoutĂ©e en mathĂ©matiques voient leurs scores non-cognitifs progresser lâannĂ©e suivante plus que ceux des Ă©lĂšves dâun enseignant Ă moins forte valeur ajoutĂ©e en mathĂ©matiques, et inversement.
Des effets Ă long terme
Bien quâon leur accorde beaucoup dâimportance sur le moment, les notes en mathĂ©matiques ne constituent pas un objectif en soi. Elles nâintĂ©ressent que dans la mesure oĂč elles indiquent lâacquisition de compĂ©tences qui seront utiles dans la suite du parcours des Ă©lĂšves.
Nous venons de voir plus haut que lâimpact mesurable dâun enseignant sur les performances cognitives et non-cognitives dâun Ă©lĂšve donnĂ© sâattĂ©nue avec le temps. Pourtant, plusieurs Ă©tudes ont aussi mis en Ă©vidence des effets Ă beaucoup plus long terme, en particulier sur lâaccĂšs aux formations supĂ©rieures et Ă lâemploi. Ici, le suivi des Ă©lĂšves permet de constater que ce que les Ă©tudes prĂ©cĂ©dentes avaient observĂ© sur des Ă©chantillons sĂ©parĂ©s sâobserve aussi lorsquâon suit les mĂȘmes Ă©lĂšves : on mesure Ă la fois une attĂ©nuation de lâeffet sur les scores et un impact significatif sur la situation scolaire et sociale de ces enfants devenus de jeunes adultes.
Le tableau 1 restitue les impacts mesurables Ă 18 ou 20 ans du fait dâavoir eu Ă 8 ou 11 ans un enseignant dont la valeur ajoutĂ©e est supĂ©rieure dâun Ă©cart-type Ă la moyenne de ses collĂšgues sur une sĂ©lection dâindicateurs : le fait de finir le lycĂ©e, lâaccĂšs Ă lâuniversitĂ©, le choix dâune filiĂšre scientifique, le revenu espĂ©rĂ© Ă 40 ans, un score standardisĂ© de santĂ© mentale7, le fait de boire de lâalcool au moins une fois par semaine, le fait dâavoir dĂ©jĂ fumĂ© et le fait dâavoir dĂ©jĂ fait un don Ă une association caritative.
Aspect | Référence | Maths | Non-cog |
---|---|---|---|
Lycée | 74 % | +2,6 (+3,5 %) | +2,6 (+3,5 %) |
Université | 45 % | +3,4 (+7,5 %) | +3,6 (+8,0 %) |
Ătudes scientifiques | 17 % | +1,3 (+7,5 %) | +0,7 (+4,0 %) |
Revenus espérés | 26 500 £ | +384 ( +1,4 %) | -285 (-1,1 %) |
Santé mentale | 19 | +0,19 (+1,0 %) | +0,23 (+1,2 %) |
Alcool | 17 % | -0,5 (-29 %) | -0,7 (-41 %) |
Tabac | 46 % | -0,1 (-0,2 %) | -1,7 (-3,7 %) |
Don | 50 % | +0,6 (+1,2 %) | +2,3 (+4,6 %) |
Lecture : Au sein de la cohorte, 45 % des Ă©lĂšves ont accĂ©dĂ© Ă lâuniversitĂ©. Un enseignant dont la valeur ajoutĂ©e en mathĂ©matiques est un Ă©cart-type au-dessus de la moyenne augmente de 3,6 points de pourcentage la probabilitĂ© que ses Ă©lĂšves aillent Ă lâuniversitĂ© (une progression de 7,5 %).
Les effets en italiques et en gris ne sont pas statistiquement significatifs.
Ainsi, avoir Ă©tĂ© dans la classe dâun enseignant ou dâune enseignante plus performante sur les mathĂ©matiques, comme dĂ©fini prĂ©cĂ©demment, augmente de 2,6 points de pourcentage la probabilitĂ© de finir le lycĂ©e, et et de 3,4 points celle dâaller Ă lâuniversitĂ©. Dans la cohorte concernĂ©s, 45 % des enfants suivis sont allĂ©s Ă lâuniversitĂ©. Une augmentation de 3,4 points de la probabilitĂ© dâaccĂšs correspond donc Ă une augmentation de 7,5 % de la probabilitĂ© dâaccĂšs au supĂ©rieur, simplement du fait dâun enseignant de primaire particuliĂšrement efficace. Lâimpact de long terme de la valeur ajoutĂ©e non-cognitive est trĂšs similaire Ă celui des mathĂ©matiques, et sâajoute Ă ce dernier. Ainsi un Ă©lĂšve ayant eu (pas forcĂ©ment la mĂȘme annĂ©e) un enseignant performant dans chaque domaine a une probabilitĂ© 15 % plus Ă©levĂ©e dâaccĂ©der Ă lâuniversitĂ© que ses camarades ayant eu des enseignants moyens.
Ces chiffres dĂ©montrent une remarquable persistance de lâinfluence des enseignants du primaire non seulement sur la destinĂ©e scolaire de leurs anciens Ă©lĂšves, mais aussi sur un ensemble plus large dâattitudes et de comportements essentiels. La mise en regard des deux constats suggĂšre ainsi que lâeffet des enseignants Ă long terme passe par dâautres biais que ceux mesurĂ©s par les notes, ici le score en mathĂ©matiques, et par lâindicateur non-cognitif.
Enseigner, une question de méthode ?
Face Ă ces rĂ©sultats, on se pose naturellement la question de savoir ce qui explique les diffĂ©rences de valeur ajoutĂ©e entre les enseignants. Si les meilleures performances reposent sur des pratiques dâenseignement, celles-ci peuvent ĂȘtre enseignĂ©es et adoptĂ©es par les collĂšgues.
Des compétences séparées
Nous avons mentionnĂ© plus haut quâil existait un effet croisĂ© dans lâacquisition : les Ă©lĂšves qui progressent en mathĂ©matiques grĂące Ă un bon enseignant une annĂ©e voient leurs scores comportementaux augmenter aussi les annĂ©es suivantes. Est-ce Ă dire quâil y a au fond simplement de bons enseignants, qui font progresser leurs Ă©lĂšves dans les deux domaines, et de moins bons enseignants ? En dâautre termes, est-ce quâon observe aussi un effet croisĂ© dans la transmission ?
En pratique cependant, les deux compĂ©tences apparaissent bien distinctes. Sur la figure 2, chaque point est un enseignant (certains sont observĂ©s deux ou trois fois), positionnĂ© par la valeur ajoutĂ©e dans chaque dimension. On constate que la corrĂ©lation entre les deux dimensions est faible : la droite bleue est proche de zĂ©ro et la relation quâelle reprĂ©sente nâest pas significative. Ainsi, un enseignant Ă forte valeur ajoutĂ©e en mathĂ©matiques nâaugmentera pas nĂ©cessairement les capacitĂ©s non-cognitives de ses Ă©lĂšves et vice versa.
On constate Ă©galement quâil y a peu dâenseignants qui seraient trĂšs mauvais dans les deux dimensions (le coin en bas Ă gauche du graphique), et peu de super-enseignants qui seraient trĂšs performants dans les deux dimensions (partie en haut Ă droite). Ce rĂ©sultat suggĂšre ainsi que les capacitĂ©s Ă faire progresser les Ă©lĂšves mobilisent des pratiques ou des attitudes diffĂ©rentes selon les domaines.

Figure 2 : Valeurs ajoutĂ©es, ramenĂ©es Ă une Ă©chelle de 0 Ă 20. Chaque point correspond Ă une observation (enseignant, annĂ©e). Les points sont semi-transparents afin de mettre en Ă©vidence les endroits oĂč plusieurs observations se superposent.
Une question de pratiques
Est-il possible de dresser le portrait dâun enseignant ou dâune enseignante Ă haute valeur ajoutĂ©e ? La base de donnĂ©es utilisĂ©e disposant de nombreuses information sur les enseignants, il est possible dâestimer les relations entre un certain nombre de caractĂ©ristiques et la valeur ajoutĂ©e8. La conclusion est dâabord nĂ©gative : le nombre dâannĂ©es dâenseignement (totales ou dans lâĂ©cole actuelle), le temps passĂ© Ă enseigner les mathĂ©matiques et mĂȘme le score de santĂ© mentale de lâenseignant nâont pas de relation significative avec son niveau en valeur ajoutĂ©e. De mĂȘme, le niveau dâestime de soi ou le niveau de confiance Ă lâĂ©gard de ses propres pratiques dâenseignement nâapportent pas dâinformation sur la valeur ajoutĂ©e mesurĂ©e. En termes de genre, les femmes ont un niveau de valeur ajoutĂ©e moyen un peu supĂ©rieur Ă celui de leurs collĂšgues masculins dans le domaine non-cognitif, et Ă©quivalent en ce qui concerne les mathĂ©matiques.
De fait, lâĂ©lĂ©ment observable le plus dĂ©terminant semble ĂȘtre les mĂ©thodes dâenseignement. Une analyse en composantes principales montre quâen combinant plusieurs pratiques dâenseignement, telles que des interactions frĂ©quentes avec la classe, une valorisation des Ă©lĂšves ayant bien rĂ©alisĂ© un exercice, ainsi que la mise en place de travail de groupe, toutes choses Ă©gales par ailleurs (câest-Ă -dire Ă caractĂ©ristiques de lâenseignant similaires), ces pratiques sont associĂ©es positivement avec la valeur ajoutĂ©e dâun enseignant Ă la fois en mathĂ©matiques comme dans le domaine non-cognitif.
Bibliographie
Article source
Sarah FlÚche, « Teacher Quality, Test Scores and Non-Cognitive Skills : Evidence from Primary School Teachers in the UK », CEP Working Paper, N°1472, 2017.
Articles cités
Chetty, R., J. N. Friedman, and J.E. Rockoff. 2014a. âMeasuring the Impacts of Teachers I: Evaluating Bias in Teacher Value-Added Estimatesâ. American Economic Review 104(9): 2593-632.
Chetty, R., J. N. Friedman, and J.E. Rockoff. 2014b. âMeasuring the Impacts of Teachers II: Teacher Value-Added and Student Outcomes in Adulthoodâ. American Economic Review 104(9): 2633-79.
Heckman, J.J., J. Stixrud, and S. Urzua. 2006. âThe Effects of Cognitive and Noncognitive Abilities on Labor Market Outcomes and Social Behaviorâ. Journal of Labor Economics 24(3): 411-82.
Encadré 1 : les données
LâĂ©tude repose sur lâAvon Longitudinal Study of Parents and Children(ASLPAC). Cette cohorte regroupe 70% des enfants nĂ©s entre mars 1991 et fĂ©vrier 1993 Ă Bristol (Royaume-Uni) et dans les environs (comtĂ© dâAvon). Les enfants sont suivis chaque annĂ©e, de leur naissance jusquâ Ă lâĂąge de 20 ans. Lorsque ces enfants ont atteint 8 et 11 ans, un questionnaire a Ă©tĂ© administrĂ© Ă leurs enseignants. Ces Ăąges correspondent respectivement Ă la troisiĂšme et derniĂšre annĂ©e du primaire au Royaume-Uni (« year 3 » and « year 6 »), au CE1 et CM2 en France. On dispose ainsi dâinformations trĂšs dĂ©taillĂ©es sur les enfants, leur environnement familial et socio-Ă©conomique, ainsi que sur leurs milieux scolaires. LâĂ©chantillon couvre 1054 enseignants rĂ©partis dans 476 Ă©coles.
Les compĂ©tences en mathĂ©matiques de tous les Ă©lĂšves britanniques sont Ă©valuĂ©es par des tests nationaux aux Ăąges de 7, 11, 14 et 16 ans. (Key stages 1, 2, 3, and 4). Pour les besoins de lâenquĂȘte, les enfants de la cohortes ont participĂ© Ă deux tests complĂ©mentaires, Ă 9 et 11 ans. Ne comptant ni dans les bulletins des Ă©lĂšves ni dans les Ă©valuations des enseignants, ces deux tests complĂ©mentaires fournissent une mesure qui nâest pas soumise Ă la pression aux rĂ©sultats. Sur le volet non-cognitif, les parents remplissent le Strength and Difficulties Questionnaire, dont les rĂ©ponses sont agrĂ©gĂ©es sous la formes dâindicateurs synthĂ©tiques. Ce questionnaire fournit de 5 Ă 16 ans une mesure cohĂ©rente. Cette mesure est dissociĂ©e de lâinstitution scolaire, puisque nâincluant pas les retards, absences et sanctions, mĂȘme si on observe une forte relation entre le rĂ©sultat du questionnaire et ce type dâĂ©vĂ©nements.
Ă partir de 18 ans, lâĂ©tude comprend aussi des informations sur le niveau de diplĂŽme atteint, lâinsertion sur le marchĂ© du travail, la santĂ©, le bien-ĂȘtre subjectif, comportements sociaux et aspirations. Le bien-ĂȘtre subjectif est plus particuliĂšrement mesurĂ© par le Short Moods and Feelings Questionnaire, qui comprend 33 questions et est couramment utilisĂ© pour repĂ©rer les risques dĂ©pressifs. Les questionnaires relĂšvent Ă©galement chez les jeunes adultes la consommation de tabac et dâalcool ainsi que la participation Ă des actions caritatives.
Encadré 2 : les compétences non-cognitives
Pour Ă©valuer les compĂ©tences non-cognitives des enfants, ce travail mobilise le Strength and Difficulties Questionnaire, destinĂ© Ă la dĂ©tection de problĂšmes psychologiques (comportement, hyperactivitĂ©, inattention, problĂšmes relationnels, difficultĂ©s de gestion des Ă©motions). Largement employĂ© dans les recherches en sciences sociales, quatre rubriques de ce questionnaire sont utilisĂ©es avec cinq questions chacune : problĂšmes Ă©motionnels (enfant facilement effrayĂ©, souvent triste ou anxieux), relation avec les autres enfants (a-t-il des amis ? est-il victime de brimades ou de harcĂšlement ?), comportement (crises de colĂšre, tricheries ou mensonges rĂ©pĂ©tĂ©s), hyperactivitĂ© et inattention (rĂ©flĂ©chit-il avant dâagir ? a-t-il du mal Ă se concentrer sur une activitĂ© ?). Chaque question porte trois modalitĂ©s de rĂ©ponse de zĂ©ro Ă deux, lâensemble fournissant des scores de 0 Ă 20 sur les comportements « intĂ©rieurs » (« internalizing SDQ, Ă©motions et relation avec les autres) et sur les comportements « extĂ©rieurs » (« externalizing SDQ, comportement et hyperactivitĂ©).
Afin de faciliter la comparaison avec les rĂ©sultats des tests de mathĂ©matiques, ce travail a construit un score non-cognitif comme la moyenne des deux scores ci-dessus. Lâordre a Ă©tĂ© inversĂ©, de maniĂšre Ă ce quâĂ lâimage de la notation en mathĂ©matiques, zĂ©ro indique le cas le plus problĂ©matique et 20 le cas le plus favorable.
- Nous donnons ici une vue dâensemble de la littĂ©rature utile pour comprendre les enjeux des rĂ©sultats que nous prĂ©sentons. Nous nâincluons pas dans le texte lâensemble des rĂ©fĂ©rences, qui sont mentionnĂ©es dans lâarticle dont cette note est une adaptation (voir FlĂšche, 2017).
- Chetty et al., 2014a.
- Chetty et al., 2014b.
- Heckman et al., 2006.
- En France, le MinistĂšre de lâĂducation Nationale procĂšde ainsi pour calculer des valeurs ajoutĂ©es au niveau des lycĂ©es : https://www.education.gouv.fr/methodologie-des-indicateurs-de-resultats-des-lycees-11948.
- Soit pour une classe de 28 Ă©lĂšves, une augmentation totale de 14 points (=28*0,05 points).
- Voir lâEncadrĂ© 1 sur les mĂ©triques utilisĂ©es.
- Table A.17 de lâarticle.