Note de l’Observatoire du Bien-être n°2020-08 : Le Bien-être des Français – Septembre 2020

Après un baromètre de juin qui montrait une amélioration du bien-être subjectif à l’issue du confinement, celui de septembre affiche une image plus contrastée. La plupart des métriques sont partiellement en repli, mais restent à un niveau supérieur à celui d’il y a un an. Ce repli est plus marqué pour les ménages plus aisés et les classes moyennes, tandis que le tiers inférieur des ménages en termes de revenu continuent à avoir une appréciation plus positive.

Le travail demeure un lieu de satisfaction important, là aussi particulièrement pour les ménages les plus modestes, probablement plus exposés à la crainte du chômage.

L’environnement immédiat perd en partie de son caractère protecteur. Reflet peut-être de l’obligation de plus en plus générale du port du masque, les hommes en particulier expriment un moindre sentiment de sécurité dans leur quartier que dans les enquêtes précédentes.

Auteur

Mathieu Perona, directeur exécutif de l’Observatoire du Bien-être du Cepremap

Tableau de bord

Notre tableau de bord de juin1 faisait apparaître une amélioration importante des indicateurs de bien-être subjectif à la sortie du confinement. Nous pensions assister à un repli marqué en septembre, après la parenthèse de l’été. En fait, ce repli est limité, et la plupart des indicateurs restent au-dessus de leur niveau moyen.

Dimension   Moyenne de 0 à 10
Grandes dimensions   Sept. 2019 Sept. 2020
Satisfaction de vie 6,6 6,8
Sens de la vie 7,1 7,3
Bonheur 7,0 7,1
Anxiété et dépression* 2,0 2,0
Santé 6,7 7,1
Niveau de vie 6,5 6,8
Comparaison avec les autres Français 6,5 6,8
Perception de l’avenir      
Vie future (personnelle) 5,9 6,1
Prochaine génération France 3,9, 4,1
Prochaine génération Europe 4,2 4,2
Proches et environnement      
Relations avec les proches 8,1 8,32
Gens sur qui compter 7,6 7,6
Sentiment de sécurité 7,2 7,2
Agression ressentie* 1,6 1,6
Travail et temps de vie      
Satisfaction au travail 7,0 7,4
Relations de travail 6,9 7,1
Équilibre des temps de vie 5,7 6,1
Temps libre 6,5 6,8

Tableau 1 : Tableau de bord. Les flèches indiquent les améliorations ou dégradations par rapport au même mois l’année précédente. Les flèches grises indiquent que la variation n’est pas significative au seuil de 5 %.
* Pour l’anxiété et l’agression, un score plus haut indique un niveau d’anxiété ou d’agression plus élevé

Par rapport à septembre 2019, les enquêtés se sentent plutôt bien, avec onze des dix-huit indicateurs de notre tableau de bord2 à un niveau supérieur en septembre 2020 par rapport à l’année précédente (Tableau 1). Cette amélioration d’ensemble cache une évolution dans le temps différenciée. Pour les deux tiers des ménages aux revenus les plus élevés (plus de 2000 euros par mois), les indicateurs se sont améliorés dans des proportions inédites au mois de juin, au moment de la sortie du confinement, et ont quelque peu reflué depuis. Pour le tiers des ménages les plus modestes, nous n’observons pas un tel pic en juin. Leur sentiment de bien-être a augmenté plus progressivement.

Des indicateurs qui restent élevés

La satisfaction dans la vie, qui constitue la principale synthèse de l’appréciation du bien-être subjectif, affiche une moyenne de 6,8, en léger retrait par rapport à son niveau de juin (Figure 1).

Figure 1 : Satisfaction de vie moyenne

La satisfaction dans la vie, qui constitue la principale synthèse de l’appréciation du bien-être subjectif, affiche une moyenne de 6,8, en léger retrait par rapport à son niveau de juin (Figure 1).

Ce repli partiel cache en fait deux dynamiques contrastées. Pour les deux tiers supérieurs en termes de revenu, la satisfaction de vie moyenne est pratiquement retournée à son niveau de mars. Pour le tiers inférieur en revanche, l’appréciation moyenne a poursuivi son amélioration (Figure 2). Sur un an, les trois groupes enregistrent une progression d’environ 0,2 points.

Figure 2 : Satisfaction de vie par tranche de revenus du ménage

Dans un contexte d’épidémie et de sortie du confinement en juin, nous mettons ce constat en regard des évolutions des indicateurs portant sur la santé et sur le travail.

En juin la proportion de personnes qui s’estimaient en bonne ou en très bonne santé avait fortement augmenté, passant de 43 % en juin 2019 à 51 % en juin 2020. En septembre, cette proportion revient à 45 %, ainsi que le reflète l’évolution de la réponse moyenne à la question (Figure 3). Comme pour la satisfaction de vie, ce pic est plus marqué pour les ménages les plus aisés.

Figure 3 : Santé subjective

Il faut sans doute rappeler que l’expérience du confinement n’a pas été la même dans les trois groupes de revenu. La Figure 4, élaborée à l’aide de l’enquête menée durant le confinement en partenariat avec le Crédoc3, montre que seuls 22 % des ménages du tiers inférieur des revenus ont pu bénéficier du télétravail, contre 46 % de ceux du tiers supérieur. Inversement, les ménages du tiers inférieur ont été beaucoup plus souvent en arrêt de travail ou on continué à se rendre sur leur lieu de travail habituel. On peut donc imaginer que la fin du confinement a été vécue de manière sensiblement différente.

Figure 4 : Situation de travail pendant le confinement suivant la tranche de revenus du ménage

Le travail, lieu de satisfaction

Contrairement aux métriques ci-dessus, la satisfaction vis-à-vis du travail n’a pas reculé, après sa forte amélioration de juin (Figure 5). L’appréciation du travail en général reste à un niveau élevé par rapport à ce que nous avons pu observer depuis le début de cette enquête.

Figure 5 : Satisfaction vis-à-vis du travail en général

Ce maintien de la satisfaction à l’égard du travail n’est pas uniquement lié à sa dimension de sociabilité. La satisfaction à l’égard des relations de travail revient à son niveau de mars 2019. La crainte du chômage explique peut-être cette appréciation – positive, étant donné le contexte macroéconomique et les inquiétudes sur l’emploi.

Du côté de l’équilibre des temps de vie, la satisfaction est également en repli (Figure 6), avec un mouvement plus marqué chez les femmes que chez les hommes.

Figure 6 : Satisfaction vis-à-vis de l’équilibre des temps de vie

Dans le même temps, femmes comme hommes accusent une réduction de leur satisfaction à l’égard de leur temps libre, dans des proportions comparables chez les deux sexes.

Un renforcement du lien avec les proches

La situation sanitaire a mis en relief l’importance des relations avec les proches. Le confinement a montré qu’on pouvait brutalement se retrouver dans l’impossibilité de retrouver des amis ou des membres de sa famille, et même avec l’été, les autorités de santé publique ont appelé à la prudence quant aux réunions familiales.

Juste après le confinement, l’appréciation de la relation avec les proches avait augmenté pour les moins de 65 ans de notre échantillon. Cette dynamique s’est inversée durant l’été (Figure 7). En septembre, nos trois bandes d’âge partagent la même appréciation.

Figure 7 : Satisfaction vis-à-vis de la relation avec les proches, par tranche d’âge

Un environnement immédiat moins rassurant

L’évaluation de l’environnement immédiat avait suivi en juin le mouvement général d’appréciation. Dans ce domaine, la vague de septembre efface tous les gains du trimestre dernier. Le sentiment d’être en sécurité la nuit dans son quartier est en forte baisse, pratiquement au niveau de ses points bas depuis le début de notre enquête. Pour les femmes, cette variation est comparable à celles que nous observons depuis le début de notre enquête. C’est chez les hommes que le sentiment de sécurité s’est le plus dégradé, atteignant son point le plus bas sur notre historique. Nous avançons l’hypothèse que cela est également liée à la situation épidémique. Jusqu’ici, ce sentiment de sécurité pouvait renvoyer implicitement au risque perçu d’agression physique, par une autre personne. L’épidémie de Covid-19 et son cortège de mesures de prévention, à commencer par le port du masque, ont rendu visible un autre type de risque dans l’environnement immédiat, celui de la contagion. Partant d’un sentiment de sécurité initialement plus fort, les hommes auraient réagi plus fortement que les femmes à la prise de conscience de ce risque. Cette hypothèse devra naturellement être réexaminée au regard de l’évolution de cette métrique en fonction de l’évolution de l’épidémie, ainsi qu’au regard des études qualitatives sur la perception des risques.

Figure 8 : Sentiment de sécurité

Une vision de l’avenir qui reste en demi-teinte

L’attention portée aux conséquences économiques de l’épidémie et aux arbitrages du budget 2021 semblent n’avoir que partiellement entamé le regain d’optimisme à l’égard de l’avenir individuel (Figure 9).

Figure 9 : Perspectives individuelles

La dynamique en termes de revenu est sur ce point similaire à celle de la satisfaction de vie : les deux tiers supérieurs de l’échantillon ont révisé à la baisse leurs perspectives individuelles, tandis que le tiers inférieur continue à voir son avenir plus positivement, une dynamique présente depuis décembre 2019. Cette évolution est cohérente avec l’appréciation que les ménages font de leurs finances futures, qui s’améliore légèrement4.

Les appréciations restent cependant sombres quand on aborde l’avenir national (Figure 10). L’amélioration du trimestre dernier est pratiquement effacée, et on revient aux niveaux faibles qui étaient la norme en 2019. Comme c’était le cas avant juin, plus de la moitié des répondants pensent que la vie de la prochaine génération en France sera pire qu’aujourd’hui (réponses 0 à 4 sur l’échelle de 0 à 10). Ce pessimisme est probablement à mettre en regard des craintes élevées à l’égard du chômage relevée par l’enquête de conjoncture de l’Insee.

Figure 10 : Perspectives de la prochaine génération en France

La confrontation d’un certain optimisme individuel et d’un pessimisme collectif suggère que beaucoup de répondants sont inquiets des conséquences économiques de l’épidémie et des mesures de lutte contre celles-ci, mais pensent qu’ils ne seront que modérément touchés à titre personnel.

Le moral tient bon, mais pour combien de temps ?

Face aux résultats de juin, nous pensions que l’amélioration générale des indicateurs de bien-être serait un phénomène conjoncturel, comparable aux variations que nous avions observées lors de l’élection présidentielle de 2017 et le mouvement des Gilets jaunes. L’enquête de septembre montre effectivement un repli pour les deux tiers des ménages des plus riches, mais une poursuite de l’amélioration pour le tiers des ménages les moins riches. Sur un an, le bien-être ressenti reste en progression pour les trois classes de ménages.

Il faut évidemment tenir compte de la date de l’enquête, dans les premiers jours de septembre et donc avant le regain de l’épidémie auquel nous assistons depuis la fin du même mois. La résistance de l’évaluation que les Français font de leur situation et de leurs perspectives dans un contexte d’incertitude quant à leur santé et à l’avenir de l’économie n’en reste pas moins un élément remarquable. Les prochaines vagues de cette enquête nous diront dans quelle mesure cette résistance se prolongera au fur et à mesure que nous serons plus familiarisés avec les dispositifs de contrôle de l’épidémie, mais aussi que s’en révéleront les conséquences économiques.

  1. Mathieu Perona, « Le Bien-être des Français – Juin 2020 », Note de l’Observatoire du Bien-être du CEPREMAP, no 2020‑06 (1er juillet 2020).
  2. La version en ligne de notre tableau de bord comprend une palette plus large d’indicateurs et de segmentations que celles commentés dans cette note.
  3. Dylan Alezra, Sandra Hoibian, Mathieu Perona, Claudia Senik, « Heurs et malheurs du confinement », Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2020-07, 08 Juillet 2020
  4. Insee, « En septembre 2020, la confiance des ménages est stable », Informations rapides, no 249 (29 septembre 2020), https://www.insee.fr/fr/statistiques/4768975.