Le Passage Ă  la retraite

Note
Observatoire du bien-ĂȘtre

Le projet de rĂ©forme du systĂšme de retraites français, dĂ©voilĂ© en juillet dernier, devrait remplacer les notions d’ñge lĂ©gal de dĂ©part Ă  la retraite par un Ăąge-pivot, Ă©voluant en fonction de l’espĂ©rance de vie des gĂ©nĂ©rations. On a dĂ©jĂ  pu voir Ă  quel point cette question de l’ñge de dĂ©part Ă  la retraite faisait l’objet de prises de position marquĂ©es, reflĂ©tant l’importance symbolique de cette transition dans notre sociĂ©tĂ©.

Pour autant, la littĂ©rature Ă©conomique met en Ă©vidence des impacts nĂ©gatifs comme positifs du dĂ©part Ă  la retraite, selon le contexte national et la situation des personnes concernĂ©es. Cette ambivalence du dĂ©part Ă  la retraite se retrouve dans les Ă©valuations subjectives de bien-ĂȘtre.

La retraite n’efface par ailleurs pas ou peu les diffĂ©rences sociales dans l’évaluation de son bien-ĂȘtre : les plus satisfaits avant leur retraite le sont Ă©galement aprĂšs, mĂȘme si dans certains domaines, en particulier celui de la santĂ©, l’écart entre groupes sociaux tend Ă  se rĂ©duire avec le passage Ă  la retraite.

Du fait de la place occupĂ©e par le travail dans la construction de la position sociale des individus, la retraite peut Ă©galement ĂȘtre un moment d’interrogation de leur utilitĂ© sociale, lorsque certains liens de sociabilitĂ© liĂ©s au travail se distendent. Nous observons de tels effets dans le cas français, mais ils restent faibles pour les personnes de moins de 70 ans, et d’autant plus faibles si, comme un tiers des retraitĂ©s de cette classe d’ñge, la personne est engagĂ©e dans des activitĂ©s de bĂ©nĂ©volat. Les interrogations douloureuses sur l’utilitĂ© sociale ou le sentiment de solitude sont plutĂŽt un problĂšme propre au quatriĂšme Ăąge, Ă  partir de 80 ans.

Auteurs :

Madeleine PĂ©ron, assistante de recherche Ă  l’Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap

Mathieu Perona, directeur exĂ©cutif de l’Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap

Claudia Senik, Professeur Ă  Sorbonne-UniversitĂ© et Ă  l’École d’économie de Paris

Introduction

La place occupĂ©e dans nos sociĂ©tĂ©s par la vie professionnelle fait du passage Ă  la retraite l’un des tournants de la vie des individus. Tandis que la retraite reprĂ©sente pour certains la chance d’échapper enfin Ă  un travail pĂ©nible, d’autres s’y engagent dans la douleur, avec le sentiment d’une perte de sens et d’utilitĂ© sociale. En tout Ă©tat de cause, l’ñge de la retraite constitue un sujet clivant. Les rĂ©formes prĂ©voyant d’allonger la durĂ©e de vie active des travailleurs sont gĂ©nĂ©ralement mal perçues et sources de fortes mobilisations de refus. La longue grĂšve de 1995 en France en est un exemple particuliĂšrement marquant, mĂȘme si ce n’est pas le dernier en date. Si du point de vue de l’équilibre comptable des caisses de retraite l’allongement de l’espĂ©rance de vie et de la durĂ©e des Ă©tudes appelle une refonte du systĂšme, sait-on quel est l’impact de telles rĂ©formes sur le bien-ĂȘtre des travailleurs ĂągĂ©s? En particulier, et c’est l’objet de cette note, quel est l’impact de court terme du dĂ©part Ă  la retraite ?

Le travail est-il un mal ?

Selon la reprĂ©sentation Ă©conomique la plus simple, le choix fondamental des travailleurs consiste en un arbitrage entre consommation et loisir : un mal (le travail) contre un bien (la consommation que leur permet le revenu qu’ils en tirent). Si le travail est un mal, il n’est que logique de souhaiter en raccourcir la durĂ©e autant que possible. De fait, pour beaucoup, et notamment pour ceux qui exercent un travail physiquement ou mentalement pĂ©nible, la retraite promet de procurer un certain soulagement. Mais le travail n’est-il qu’une source de dĂ©sutilitĂ© ? Pour certains au moins, il est une source d’épanouissement, de rĂ©alisation de soi et de sens, ainsi qu’une occasion d’interactions humaines et sociales. L’emploi constitue un vecteur d’intĂ©gration dont la perte pourrait, dans certains cas, crĂ©er un risque de dĂ©saffiliation, de pertes de repĂšres. Il est donc difficile de savoir, a priori, quel est l’effet de la retraite sur le bien-ĂȘtre des travailleurs, et l’on s’attend Ă  ce que cet effet soit contrastĂ© selon le type d’emploi occupĂ©.

La retraite rend-elle heureux ?

Un certain nombre d’études Ă©conomiques ont tentĂ© de mesurer l’effet causal de la retraite sur le bien-ĂȘtre et la santĂ© des travailleurs. Il s’agit d’une tĂąche complexe car il faut Ă©viter de le confondre avec toutes sortes d’autres facteurs, notamment le fait que ce sont les travailleurs les plus usĂ©s et en moins bonne santĂ© qui sont susceptibles de prendre leur retraite plus tĂŽt, ainsi que ceux qui apprĂ©cient le moins leur travail. Il se pourrait aussi que certains dĂ©cident de partir Ă  la retraite en voyant leur santĂ© commencer Ă  se dĂ©tĂ©riorer, auquel cas on observera des retraitĂ©s en moins bonne santĂ© que les actifs, alors que la relation de causalitĂ© va de la santĂ© vers la retraite et non de la retraite vers la santĂ©. Le fait que les anticipations de santĂ© soient au fondement des dĂ©cisions de dĂ©part Ă  la retraite a en effet Ă©tĂ© illustrĂ© plusieurs fois1.

Pour surmonter ce problĂšme, les Ă©tudes les plus rĂ©centes analysent l’impact des mesures d’allongement de la durĂ©e du travail et de report de l’ñge lĂ©gal de dĂ©part Ă  la retraite sur l’état de santĂ© des travailleurs. Il s’agit d’une stratĂ©gie d’identification fondĂ©e sur une « discontinuitĂ© temporelle Â». Elles consistent Ă  analyser la rĂ©action des travailleurs lorsqu’un changement de la lĂ©gislation les contraint soudain Ă  rester une ou deux annĂ©es supplĂ©mentaires en emploi. Comme des rĂ©formes de cette nature ont eu lieu en Australie, aux États-Unis et dans de nombreux pays europĂ©ens au cours des annĂ©es 2000 et 2010, de nombreuses Ă©tudes s’appuient sur donnĂ©es australiennes (HILDA), amĂ©ricaines (HRS) ainsi que sur l’enquĂȘte europĂ©enne SHARE2.

Quels sont les rĂ©sultats ? De façon surprenante, en utilisant les mĂȘmes donnĂ©es, les chercheurs parviennent Ă  des conclusions parfois divergentes. Quelques articles mettent en Ă©vidence un impact nĂ©gatif de la retraite, soit sur la mobilitĂ© et les activitĂ©s quotidiennes, soit sur la santĂ© mentale, sur le poids de certaines catĂ©gories de travailleurs, sur les risques de maladie cardio-vasculaires ou de cancer, ou d’autres facteurs de risque (cholestĂ©rol, pression artĂ©rielle, etc.). Certaines Ă©tudes illustrent les consĂ©quences nĂ©gatives de la retraite sur les facultĂ©s cognitives des personnes, mais d’autres dĂ©couvrent des effets positifs de la retraite, et, inversement, des effets nĂ©gatifs de l’allongement de la durĂ©e d’activitĂ©.

Ces rĂ©sultats divergents tiennent essentiellement aux mĂ©thodes Ă©conomĂ©triques. Mais il faut Ă©galement souligner que les effets sont identifiĂ©s grĂące Ă  la petite partie de la population qui est touchĂ©e par les rĂ©formes du fait de sa tranche d’ñge, et qui, de surcroĂźt, rĂ©agit en se pliant aux objectifs de la rĂ©forme, c’est-Ă -dire reste plus longtemps en activitĂ© lorsque la rĂ©forme impose de le faire afin de percevoir le taux plein. Ceci est le cas de la plupart des employĂ©s, mais pas de tous. Ainsi, les Ă©valuations des rĂ©formes se fondent sur les rĂ©actions d’un groupe qui n’est pas nĂ©cessairement reprĂ©sentatif de la population entiĂšre. Mais plus grave encore, l’identification des effets des rĂ©formes repose sur la surprise qui saisit les employĂ©s contraints de repousser le moment de leur retraite. Comment ne pas se demander si cette frustration n’est pas Ă  l’origine d’une dĂ©gradation de leur santĂ© psychique et physique, ce qui signifie que l’effet mesurĂ© est dĂ» au moins en partie Ă  cette contrainte imprĂ©vue, et non uniquement au fait de travailler plus longtemps ? De mĂȘme, pour des rĂ©formes contraignant les travailleurs Ă  partir en retraite plus tĂŽt que prĂ©vu, cet Ă©cart par rapport Ă  leurs anticipations pourrait ĂȘtre Ă  l’origine d’une frustration aux effets dĂ©lĂ©tĂšres sur leur santĂ©.

C’est pour surmonter ces limites que, dans un article rĂ©cent, BenĂ©dicte Apouey, Cahit Guven et Claudia Senik (2018) recourent Ă  une autre stratĂ©gie. À l’aide de donnĂ©es de panel australiennes (HILDA), ils Ă©tudient l’effet de la retraite sur les chocs de santĂ© non anticipĂ©s, c’est-Ă -dire sur la diffĂ©rence entre l’état de santĂ© mental et physique des retraitĂ©s et leur anticipations avant de prendre leur retraite. Ils dĂ©couvrent un plus grand nombre de chocs positifs et une moindre frĂ©quence de chocs nĂ©gatifs pour les gens qui partent Ă  la retraite que pour ceux qui restent en emploi (dans une population ĂągĂ©e de 50 Ă  75 ans). Le passage Ă  la retraite rĂ©duit la frĂ©quence des chocs nĂ©gatifs d’environ 20% et accroĂźt l’intensitĂ© des chocs positifs, c’est-Ă -dire d’une Ă©volution de leur santĂ© meilleure que prĂ©vue, d’environ 13%. Ces chocs vont de pair avec l’évolution de la satisfaction dans la vie dĂ©clarĂ©e par les individus. Les rĂ©sultats valent autant pour les cols blancs que pour les cols bleus.

L’effet de la retraite pourrait en rĂ©alitĂ© dĂ©pendre fortement de la libertĂ© de choisir son dĂ©part ou non. C’est ce que suggĂšre un article de synthĂšse du What Works Wellbeing. Le degrĂ© de contrĂŽle des gens sur leur retraite serait dĂ©cisif, notamment pour ce qui est de leur satisfaction dans la vie. Ceux qui partent involontairement Ă  la retraite connaissent des niveaux de satisfaction de vie plus faibles, tandis que ceux qui ont pu planifier et anticiper leur dĂ©part connaissent des Ă©volutions plus positives. Dans le mĂȘme ordre d’idĂ©e, une suggestion intĂ©ressante se dĂ©gage de cette revue de la littĂ©rature : l’utilitĂ© d’un emploi de transition avant la retraite (bridging job, ou cessation progressive d’activitĂ©) ou au moins d’un amĂ©nagement consistant en une rĂ©duction du temps de travail en fin de carriĂšre. Certaines Ă©tudes ont montrĂ© que de tels amĂ©nagements pouvaient rĂ©duire fortement l’absentĂ©isme ou les congĂ©s maladie des travailleurs seniors, et prendre en compte les attentes diffĂ©rentes des individus en fin de carriĂšre.

La situation en France

Il n’existe pas en France d’enquĂȘte comparable Ă  celles citĂ©es ci-dessus, qui suivraient les mĂȘmes personnes sur le long terme. Nous pouvons toutefois tirer parti des enquĂȘtes existantes pour examiner l’effet de la transition vers la retraite et pour comparer les gĂ©nĂ©rations entre elles, en particulier autour de l’ñge de la retraite.

Quel effet du passage Ă  la retraite ?

Dans l’EnquĂȘte Statistique sur les Conditions de Vie et les Revenus (SRCV) nous pouvons suivre un certain nombre de mĂ©nages sur plusieurs annĂ©es et observer ainsi la maniĂšre dont le passage Ă  la retraite se traduit en termes de satisfaction dans la vie3.

Figure 1

Nous constatons (Figure 1) que le passage Ă  la retraite affecte peu la satisfaction de vie des personnes en emploi l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente : les Ă©volutions de la satisfaction se dĂ©coupent en approximativement trois tiers Ă©gaux entre dĂ©gradation, stabilitĂ© et amĂ©lioration. En revanche, les personnes au chĂŽmage l’annĂ©e prĂ©cĂ©dant leur retraite voient plus souvent leur satisfaction dans la vie augmenter (39 %) que se dĂ©grader (26 %, soit presque dix points de pourcentage de moins que pour les personnes qui avaient un emploi).

Figure 2

Or, comme le rappelle un rĂ©cent Panorama de la DREES, seuls 54 % des dĂ©parts Ă  la retraite se font depuis un emploi. 11 % des nouveaux retraitĂ©s Ă©taient au chĂŽmage plusieurs annĂ©es avant leur retraite4, et 20 % alternent des Ă©pisodes d’emploi et de chĂŽmage.

Une autre maniĂšre d’illustrer cet Ă©cart est de comparer la satisfaction dans la vie l’annĂ©e de la retraite Ă  la satisfaction dans la vie sur les quatre annĂ©es avant et aprĂšs le passage Ă  la retraite (Figure 2). Celle-ci reprĂ©sente Ă  la fois les moyennes brutes (panneau supĂ©rieur) et en neutralisant l’effet de l’ñge et du revenu (panneau infĂ©rieur). Comme prĂ©cĂ©demment, l’effet net de la retraite est faible pour les personnes en emploi avant la retraite (la ligne bleue est proche de zĂ©ro). Le passage Ă  la retraite correspond en revanche bien Ă  une amĂ©lioration considĂ©rable de la satisfaction dans la vie pour les personnes au chĂŽmage dans les annĂ©es prĂ©cĂ©dant la retraite.

Une persistance de la stratification sociale

Pour les 50-705 ans comme pour la sociĂ©tĂ© dans son ensemble, la satisfaction dans la vie moyenne est assez nettement hiĂ©rarchisĂ©e selon les catĂ©gories socio-professionnelles. Cette hiĂ©rarchisation ne diminue pas significativement avec le passage Ă  la retraite, comme le montre la Figure 3. Visuellement, elle est plus accentuĂ©e pour les retraitĂ©s, sans que l’on puisse conclure Ă  une diffĂ©rence significative sans une analyse plus approfondie.

Figure 3 : Satisfaction de vie moyenne en fonction de la catĂ©gorie socio-professionnelle
Pour les personnes à la retraite, nous leur avons attribué la catégorie socio-professionnelle précédent leur départ en retraite.

De mĂȘme, la satisfaction de vie augmente avec le niveau de diplĂŽme, que les personnes soient en emploi ou Ă  la retraite (Figure 4). La hiĂ©rarchisation sociale est plus prononcĂ©e pour les retraitĂ©s, en particulier pour les niveaux de diplĂŽme les moins Ă©levĂ©s.

Figure 4

Cette persistance des contrastes sociaux est Ă©galement visible dans le domaine de la santĂ©. Comme pour la Figure 2, on suit les mĂȘmes personnes avant et aprĂšs leur retraite, en leur demandant d’évaluer leur Ă©tat de santĂ©, ici sur une Ă©chelle de 1 (« trĂšs mauvaise Â») Ă  5 (« trĂšs bonne). La Figure 5 illustre ces rĂ©ponses en les corrigeant de l’effet de l’ñge afin de neutraliser les diffĂ©rences dans l’ñge de dĂ©part Ă  la retraite.

Figure 5

Il en ressort deux faits marquants. D’une part, on constate un fort contraste entre catĂ©gories socio-professionnelles, ouvriers et agriculteurs ayant une Ă©valuation de leur santĂ© beaucoup plus nĂ©gative que les cadres – diffĂ©rence qui reflĂšte assez bien les Ă©carts objectifs d’espĂ©rance de vie entre catĂ©gories professionnelles. Ce contraste n’est pas fondamentalement affectĂ© par le dĂ©part Ă  la retraite. D’autre part, toutes les catĂ©gories sociales Ă©valuent plus positivement leur santĂ© aprĂšs leur dĂ©part Ă  la retraite, avec un saut particuliĂšrement marquĂ© pour les ouvriers, employĂ©s et indĂ©pendants. Ce rĂ©sultat rĂ©sonne avec l’existence de surprises positives sur l’état de santĂ© subjectif dĂ©crit plus haut par Apouey, Guven et Senik (2018), et accrĂ©dite l’idĂ©e que le passage Ă  la retraite a un effet bĂ©nĂ©fique sur l’état de santĂ© ressenti.

Quelle place sociale aprĂšs la retraite ?

En France, le travail dĂ©finit une position dans la sociĂ©tĂ©, au-delĂ  des revenus qu’il engendre. Avec la retraite, une partie de cette position s’érode, des doutes peuvent s’installer sur la contribution individuelle Ă  la sociĂ©tĂ©, et on peut aussi assister Ă  un dĂ©litement des relations sociales entretenues par les contacts rĂ©guliers sur le lieu de travail.

En 2013, l’enquĂȘte SRCV que nous utilisons ici a comportĂ© un module plus particuliĂšrement riche en questions relatives au bien-ĂȘtre subjectif, en particulier une question sur le sentiment d’ĂȘtre utile, et une sur le sentiment d’isolement social.

Figure 6

En moyenne, les retraitĂ©s rĂ©cents se sentent mois utiles que les personnes de plus de 50 ans en situation d’emploi (Figure 6)6. On retrouve en partie l’écart entre niveaux de diplĂŽmes constatĂ© sur la satisfaction dans la vie (Figure 4). Important pour les sans diplĂŽme, la diffĂ©rence entre retraitĂ©s et personnes en emploi devient peu important pour les titulaires du Brevet (BEPC), puis se creuse Ă  nouveau. Pour les titulaires d’un diplĂŽme supĂ©rieur Ă  Bac +2, il atteint 0,3 points, ce qui reprĂ©sente un Ă©cart important sur des moyennes de ce type.

Figure 7

Face Ă  une perte de sens au moment du passage Ă  la retraite, l’engagement dans une action bĂ©nĂ©vole constitue une option, saisie par 30 % des retraitĂ©s de 50 Ă  70 ans dans notre Ă©chantillon. De fait, les retraitĂ©s engagĂ©s dans des activitĂ©s de bĂ©nĂ©volat ont une satisfaction de vie plus Ă©levĂ©e et un plus grand sentiment d’utilitĂ© (Figure 7).

Bien Ă©videmment, la relation joue dans les deux sens : le bĂ©nĂ©volat est susceptible d’attirer des personnes initialement plus satisfaites de leur vie, et qui veulent partager leurs ressources en temps. Toutefois, plusieurs expĂ©riences, synthĂ©tisĂ©es dans le chapitre 4 du World Happiness Report 2019 tendent Ă  indiquer que le fait de s’engager dans une activitĂ© bĂ©nĂ©vole a un impact positif sur le bien-ĂȘtre des personnes ĂągĂ©es.

Sur un pas de temps plus long, le sentiment d’isolement vis-Ă -vis de la sociĂ©tĂ© semble s’installer pour des gĂ©nĂ©rations plus ĂągĂ©es. Les Figures 8 et 9 illustrent la part de personnes dĂ©clarant se sentir peu utiles (rĂ©ponses 0 Ă  3 sur une Ă©chelle de 0 Ă  10), et la part des personnes dĂ©clarant se sentir seules tout le temps ou la plupart du temps.

Figure 8
Figure 9

Les actifs seniors et les jeunes retraitĂ©s ne sont sur ces dimensions pas trĂšs diffĂ©rents des gĂ©nĂ©rations qui les suivent immĂ©diatement, ni de celles de la dĂ©cennie suivante. Il semblerait ainsi que les difficultĂ©s Ă  maintenir le lien social – et on peut penser que ce lien a partie liĂ©e avec le sentiment d’utilitĂ© – ne se manifestent vraiment qu’à partir de 80 ans pour une part significative de la population.

Bilan

Si le dĂ©part Ă  la retraite constitue une charniĂšre socialement importante, elle ne marque pas un tournant significatif dans la satisfaction dans la vie pour la plupart des gens, et spĂ©cifiquement pour la majoritĂ© qui passe d’un emploi Ă  la retraite. Les Ă©carts de satisfaction dans la vie entre catĂ©gories socio-professionnelles ont de mĂȘme tendance Ă  se maintenir durant la premiĂšre dĂ©cennie aprĂšs la retraite,. La situation est toutefois trĂšs diffĂ©rente pour les personnes au chĂŽmage au cours des annĂ©es prĂ©cĂ©dent le dĂ©part Ă  la retraite, celui-ci reprĂ©sentant pour eux un gain trĂšs important dans la satisfaction de vie. On voit ici l’effet de stigmate social du chĂŽmage, mĂȘme pour des personnes qui peuvent avoir dĂ©jĂ  une longue vie de travail derriĂšre elles.

La question d’une transition plus progressive entre vie active et retraite n’est pas nouvelle : le Cepremap y a dĂ©jĂ  consacrĂ© deux ouvrages, l’un consacrĂ© aux modalitĂ©s de prolongation de l’activitĂ© (Pour une retraite choisie : l’emploi des seniors, 2008) et l’autre aux problĂšmes engendrĂ©s par le recours Ă  l’assurance-chĂŽmage comme un substitut de la prĂ©-retraite (Pour l’emploi des seniors — Assurance chĂŽmage et licenciements, 2012). Les Ă©lĂ©ments de cette note suggĂšrent que les dynamiques observĂ©es de bien-ĂȘtre viennent renforcer la nĂ©cessitĂ© d’agir sur les problĂšmes relevĂ©s dans ces deux ouvrages.

Le dĂ©part Ă  la retraite peut par ailleurs s’accompagner d’un sentiment de perte d’utilitĂ© sociale, particuliĂšrement pour les plus diplĂŽmĂ©s. L’engagement dans des activitĂ©s bĂ©nĂ©vole contrecarre semble-t-il efficacement ce sentiment sur la premiĂšre dĂ©cennie de la retraite. Au-delĂ , les sentiments prononcĂ©s d’inutilitĂ© et de solitude deviennent plus frĂ©quents, reflĂ©tant des problĂ©matiques propres Ă  ce qu’il est convenu d’appeler le quatriĂšme Ăąge.

Sources de données

EnquĂȘte SRCV

Cette enquĂȘte statistique sur les Ressources et Conditions de Vie des mĂ©nages est menĂ©e annuellement par l’INSEE. 16 000 logements sont concernĂ©s, avec une enquĂȘte en face-face sur les revenus, la situation financiĂšre et les conditions de vie des mĂ©nages. En raison de l’important travail statistique requis pour sa mise en forme et la dĂ©termination des pondĂ©rations, elle est habituellement disponible dans l’annĂ©e suivant celle de la collecte. Ainsi, la vague la plus rĂ©cente exploitĂ©e dans cette note est la vague de 2016. PrĂ©sentation du dispositif par l’INSEE et accĂšs aux donnĂ©es via Progedo – Adisp.

Bibliographie analytique

Retraite et santĂ© physique : effets nĂ©gatifs

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MĂ©thodologie

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Transitions vers la retraite et activités aprÚs la retraite

Publications du Cepremap

Rapports institutionnels

  1. Afin de ne pas alourdir de trop de références le texte de cette note, les articles sur lesquels nous nous appuyons sont regroupés dans une bibliographie analytique à la fin de ce document.
  2. U.S. Health and Retirement Survey (HRS), the European Survey on Health, Ageing and Retirement in Europe (SHARE), the Household, Income and Labour Dynamics in Australia (HILDA).
  3. L’ouvrage du Cepremap La Vie des couples aprĂšs la retraite se penche en dĂ©tail sur la maniĂšre dont le fait d’ĂȘtre en couple affecte les dĂ©cisions de dĂ©part Ă  la retraite et la synchronisation du temps libre entre les conjoints. Nous n’abordons pas cet aspect en dĂ©tail dans la prĂ©sente note. L’ouvrage est en accĂšs libre Ă  l’adresse du lien ci-dessus.
  4. En 2016, un rapport de France StratĂ©gie soulignait que l’assurance-chĂŽmage peut jouer un rĂŽle de prĂ©-retraite de fait, alimentĂ© par le recours Ă  la rupture conventionnelle. Pour ces personnes, l’effet du dĂ©part Ă  la retraite doit ĂȘtre plus limitĂ©, puisqu’ils Ă©taient dĂ©jĂ  dans une situation de retraite de fait. Les consĂ©quences et solutions possibles Ă  cette pratique font l’objet de l’ouvrage de J.-O. Hairault, Pour l’emploi des seniors — Assurance chĂŽmage et licenciements, Opuscule du Cepremap no12, ainsi qu’une rĂ©cente note de France StratĂ©gie, « Les seniors, l’emploi et la retraite Â».
  5. L’ñge du dĂ©part Ă  la retraite dĂ©pend Ă  la fois de la situation individuelle – comme le rĂ©gime de retraite applicable, et d’effets de gĂ©nĂ©rations rĂ©sultant de l’entrĂ©e en vigueur progressive de nouvelles rĂšgles de calcul des retraites. Dans les donnĂ©es que nous mobilisons, les personnes sont nĂ©es entre 1940 (70 ans en 2010) et 1967 (50 ans en 2017).
  6. Comme précédemment, nous considérons ici uniquement les personnes ùgées de 50 à 70 ans, et seulement les retraités et les actifs en emploi.