Note de l’Observatoire du Bien-être n°2019-04 : Le Bien-être des Français – Mars 2019 : Un retour à la normale

Après une vague de décembre marquée par une dégradation généralisée des indicateurs de bien-être subjectif – dégradation que nous avons mis en relation avec le mouvement des Gilets jaunes – la vague de mars de notre enquête montre un rebond de la plupart de ces indicateurs à leurs niveaux moyens observés depuis deux ans. En miroir de ce que nous observions au trimestre dernier, ce retour à une forme de normalité touche de manière assez homogène toutes les couches de la société, et concerne aussi l’appréciation que les enquêtés font de leurs perspectives d’avenir.

Deux éléments de ce rebond retiennent particulièrement notre attention. D’une part, les indicateurs liés au travail et à l’équilibre des temps de vie s’établissent au-delà d’un simple retour à la moyenne. Ils semblent avoir repris le chemin d’une amélioration progressive dont nous avions déjà décelé des indices l’année dernière. Cette trajectoire pourrait traduire les ressentis de l’amélioration progressive du marché du travail en France.

D’autre part, si le tiers des ménages les plus modestes en termes de revenus partage l’embellie quant à la perception de leur avenir personnel, la satisfaction exprimée vis-à-vis de leur situation actuelle ne s’est pas significativement améliorée depuis décembre. Cette disjonction entre un avenir qu’on pense pouvoir être meilleur et une situation présente vue comme difficile reste le signe d’une situation politique et sociale potentiellement fragile.

Auteurs :

Mathieu Perona, directeur exécutif de l’Observatoire du Bien-être du Cepremap

Introduction

Dans notre note de décembre, nous avions constaté une dégradation généralisée des indicateurs de bien-être subjectif en France, dégradation que nous avions mise en relation avec le mouvement des Gilets jaunes. Nous nous demandions évidemment si cette dégradation allait s’inscrire dans la durée. La vague de mars de notre Tableau de bord du bien-être en France montre un rebond généralisé vers des niveaux comparables à ceux de mars 2018, eux-mêmes proches de la moyenne observée depuis le début de notre enquête trimestrielle.

Exception heureuse à ce retour à la moyenne, les éléments relatifs à la vie professionnelle non seulement se redressent, mais apparaissent plus favorables qu’il y a un an.

Tableau de bord

Dimension   Moyenne de 0 à 10
Grandes dimensions   Mars 2018 Mars 2019
Satisfaction de vie 6,5 6,6
Sens de la vie 7,0 7,1
Bonheur 6,8 7,1
Anxiété et dépression* 2,0 1,9
Santé 6,8 7,0
Niveau de vie 6,4 6,4
Comparaison avec les autres Français 6,5 6,5
Perception de l’avenir      
Vie future (personnelle) 5,9 6,0
Prochaine génération France 4,2 4,2
Prochaine génération Europe 4,5 4,5
Proches et environnement      
Relations avec les proches 8,1 8,2
Gens sur qui compter 7,5 7,5
Sentiment de sécurité 7,3 7,4
Agression ressentie* 1,6 1,6
Travail et temps de vie      
Satisfaction au travail 7,0 7,3
Relations de travail 6,9 7,2
Équilibre des temps de vie 5,9 6,1
Temps libre 6,5 6,7

Tableau 1 : Tableau de bord. Les flèches indiquent les variations par rapport au même mois l’année précédente
* Pour l’anxiété et l’agression, un score plus haut indique un niveau d’anxiété ou d’agression plus élevé

Retour à la normale

Les grandes dimensions du bien-être, qui avaient fortement perdu du terrain au trimestre dernier, ont rebondi ce trimestre, pour retrouver un niveau comparable à celui de mars 2018. La satisfaction de vie moyenne (figure 1) illustre bien ce phénomène. Les deux précédents mois de mars ayant affiché une satisfaction plutôt en recul par rapport au mois de décembre précédent, l’ampleur de ce rebond est d’autant plus intéressante.

Figure 1

La dynamique positive est partagée par les deux sexes et toutes les classes d’âges, avec dans ce dernier cas un effet plus prononcé sur les plus de 45 ans. En termes de revenus (figure 2), la baisse de la satisfaction de vie avait été particulièrement marquée pour le tiers médian des ménages enquêtés, ceux gagnant de 2 000 à 3 500 euros mensuels.

Figure 2

Le rebond est particulièrement visible sur ce tiers médian. Il est nettement moins accentué pour le tiers inférieur des ménages, qui restent à un niveau de satisfaction inférieur à celui observé depuis 2016.

Perceptions de l’avenir

En parallèle avec la baisse des indicateurs de la situation courante, nous avons relevé le trimestre dernier une forte chute dans la vision que les enquêtés avaient de leur propre avenir, une dimension qui avait jusqu’ici assez bien résisté aux variations conjoncturelles.

Cet indicateur a également rebondi par rapport au trimestre précédent, revenant lui aussi à un niveau comparable à ce qui était observé un an auparavant (figure 3). La part des très pessimistes, dont nous avons illustré la forte augmentation en décembre dernier (+6 points par rapport à septembre, pour atteindre 27 % de réponses 0 à 4), a perdu 7 points entre décembre et mars. On revient ainsi à la proportion d’un cinquième de pessimistes qui semble être la proportion de moyen terme.

Figure 3

Cette dynamique positive quant aux anticipations d’avenir s’observe aussi sur l’opinion quant aux perspectives de la prochaine génération en France ou en Europe, et, sur ces deux dernières dimensions, est particulièrement marquée chez les femmes. Celles-ci, habituellement plus pessimistes, se rapprochent du niveau moyen d’opinion des hommes (figure 4).

Figure 4

Le rebond touche aussi l’ensemble des classes de revenus, y compris le tiers médian des ménages, qui avait pourtant résisté à la crise de pessimisme de décembre.

Figure 5

De ce fait, là où les tiers supérieur et inférieur retrouvent simplement leur niveau de long terme, le tiers médian a une vision de son avenir personnel comparable aux meilleurs niveaux observés depuis 2016 (figure 5). Cette amélioration de la vision de l’avenir chez le tiers le plus modeste des ménages contraste avec la faible amélioration de l’évaluation qu’ils font de leur situation actuelle (figure 2) – ce qui est d’autant plus étonnant que les Français sont généralement plus pessimistes quant à leur avenir que quant à leur situation présente. Nous suivrons avec attention l’évolution croisée de ces indicateurs dans nos prochains tableaux de bord.

Travail et temps de vie

C’est dans le domaine du travail et de l’équilibre des temps de vie que nous observons les évolutions les plus positives. Non seulement la satisfaction des enquêtés vis-à-vis de leur travail (figure 6) et de leurs relations de travail partagent le rebond général, mais elles remontent à un niveau supérieur à celui de l’année précédente. L’ampleur de ce rebond est particulièrement marqué chez les femmes, et pour les deux tiers inférieurs de la distribution de revenus.

Figure 6

Ces métriques semblent ainsi renouer avec une dynamique positive de moyen terme, que nous suggérions déjà dans notre note de septembre 2018. L’évolution de celles directement liées au travail est peut-être liée à l’amélioration, modeste mais régulière du marché de l’emploi en France : de juin 2016, début de nos données, à janvier 2019, le taux de chômage est passé de 10 % à 8,8 %.

L’équilibre des temps de vie est quant à lui comparable aux niveaux d’il y a un an, mais avec une nette amélioration de l’appréciation que donnent les femmes dans ce domaine (figure 7).

Figure 7

On observe également une progression de la satisfaction vis-à-vis du temps libre (figure 8) ce dernier aspect ayant en outre été peu affecté en décembre dernier.

Figure 8

Proches et environnement

Le sentiment d’exposition à l’agressivité hors du cadre de la famille avait atteint un point haut en décembre dernier, poussé significativement par le ressenti des femmes. Cette impression est revenue à la normale (figure 9). Nous avons avancé l’idée que le pic de décembre pouvait être liée aux blocages organisés par les Gilets jaunes. La diminution du nombre de ces blocage et la concentration des actions du mouvement dans les centres urbains pourrait bien expliquer le retour aux niveaux d’avant la crise.

Figure 9

La décrue de ce sentiment d’exposition à l’agression est partagée par les deux sexes. Elle est ressentie dans l’ensemble des types d’agglomérations (unités urbaines), mais le reflux est particulièrement fort dans les deux catégories où la hausse avait été la plus marquée, les unités urbaines de moins de 100 000 habitants (hors communes rurales) et l’unité urbaine de Paris.

Parallèlement, le sentiment de sécurité dans son environnement proche (déplacement dans votre quartier à la nuit tombée, figure 10) est reparti à la hausse pour les deux sexes. L’écart entre hommes et femmes sur ce point reste toutefois massif : une moyenne de 6,8 pour les femmes et 8,1 pour les hommes.

Figure 10

Perspectives

Ce rétablissement des indicateurs de bien-être subjectif montre que l’évaluation de la situation actuelle et des perspectives d’avenir sont influencées par la conjoncture sociale et politique immédiate. Cette influence conjoncturelle semble s’exercer alors que la situation personnelle ou professionnelle des enquêtés n’était pas directement impactée par les actions des Gilets jaunes.

Si l’amélioration de la plupart des indicateurs par rapport à décembre constitue un signal positif, cette amélioration ne fait la plupart du temps que les ramener à leur niveau observé en moyenne depuis deux ans. Signe des fragilités de cette situation, le tiers des ménages les plus modestes de notre échantillon a certes une vision plus positive de son avenir qu’à la fin de 2018, mais son niveau de satisfaction moyen ne s’est pas significativement amélioré depuis décembre.