Note de l’Observatoire du Bien-être n°2019-01 : La France Malheureuse

La vaste contestation que représente le mouvement des Gilets Jaunes s’enracine pour nous dans un sentiment profond et durable de mal-être et d’insatisfaction des personnes vis-à-vis de leur vie et de leurs perspectives d’avenir. Afin de contribuer à la compréhension de ce mouvement et de sa composition sociale, nous dressons dans cette note un portrait en trois temps du mal-être en France tels que le révèlent nos indicateurs subjectifs.

Qui sont les malheureux en France ? Nous montrons que si les marqueurs de statut social que sont le diplôme, l’emploi et le revenu structurent l’exposition au mal-être, ce dernier touche une large frange de la population associée aux classes populaires et moyennes.

Dans la lignée de notre note de novembre dernier, « Bonheur rural, malheur urbain », nous revenons sur la situation des villes moyennes. Celles-ci affichent un niveau de bien-être moyen inférieur, et une proportion plus forte de malheureux. Cet écart s’explique en partie par une sur-représentation en leur sein des catégories les plus malheureuses, ce qui se conjugue avec des niveaux de revenus plus faibles et une dynamique démographique en berne.

En nous focalisant sur les malheureux de ces villes, nous mettons cependant en évidence un effet local supplémentaire : au sein de ces villes, le malheur et l’insatisfaction vis-à-vis des relations avec les proches s’expriment plus fortement dans la quasi-totalité des couches de la population. Il se manifeste donc dans ces agglomérations une dynamique négative, qui pèse sur le bien-être de l’ensemble de leurs habitants.

Auteurs :

Mathieu Perona, directeur exécutif de l’Observatoire du Bien-être du Cepremap

Introduction

Depuis près de deux mois maintenant, le mouvement des Gilets Jaunes secoue la France. Blocage de voies de circulation, manifestations pacifiques ou violentes, les actions sont spectaculaires. Au regard de ces actions qui saturent les médias, on peine à saisir les contours sociaux du mouvement. Selon l’occasion, les Gilets Jaunes sont des personnes en situation très précaires, pauvres ou très proches de l’être, ou alors des employés que leur rémunération positionne au-dessus du SMIC mais qui peinent à boucler leur budget, ou encore des chefs de petites entreprises, menacés par l’alourdissement des taxes sur les carburants. De fait, ce mouvement semble dépasser une grande partie des clivages catégoriels et politiques habituels en France, avec une combinaison de revendications qui emprunte autant au registre habituel de la droite – baisses d’impôt – qu’à la gauche – revalorisation du SMIC.

Nous montrons ici que cette colère exprimée sur les réseaux sociaux et dans la rue, ainsi que le soutien massif qu’a reçu ce mouvement, sont la traduction d’un mal-être durable dans la société française. L’impulsion d’aller tout bloquer dans un mouvement de protestation aux contours aussi vagues ne surgit pas dans un ciel clair, mais provient d’une longue insatisfaction quant à la vie menée, aux espoirs déçus, aux aspirations contrariées. Autant de choses dont nous savons qu’elles déterminent largement les réponses à la question « Êtes-vous satisfaits de votre vie ? ».

Dans ce portrait de la France malheureuse, nous rappelons que si on trouve des malheureux dans toutes les couches de la société française, le malheur reste fortement associé au niveau de qualification, à l’emploi et aux revenus. Cette association ne se cantonne pas aux plus précaires ou aux plus pauvres : ce que nous constatons est un niveau de mal-être relativement élevé dans une part importante de la population, à la frontière entre les classes populaires et les classes moyennes.

Par ailleurs, et dans la suite de notre note sur les contrastes entre territoires1, nous montrons que le mal-être touche particulièrement les villes moyennes22. D’une part, ces villes moyennes accueillent une proportion plus grande des populations les plus malheureuses en termes de niveau de qualification ou de revenu. D’autre part, nous mettons en évidence que le mal-être est plus répandu dans ces villes moyennes pour pratiquement toutes les générations et classes sociales, ce qui nous conduit à penser qu’au-delà de l’effet de concentration des difficultés sociales, une dynamique délétère pèse aujourd’hui sur le bien-être de l’ensemble des habitants de ces agglomérations.

Définir le malheur

Qui sont donc les malheureux en France ? Plus précisément, nous faisons ici le portrait des Français qui se déclarent peu satisfaits de leur vie. Cette question présente en effet une dimension réflexive. Une réponse sur le bas de l’échelle reflète ainsi moins un épisode momentané de malheur qu’une insatisfaction profonde vis-à-vis de ce qu’est la vie du répondant, comparée à ce qu’il pense qu’elle aurait pu être. En d’autres termes, nous pensons capturer ici les espoirs déçus et la frustration qui se sont largement exprimés dans le mouvement des Gilets Jaunes.

L’échelle de satisfaction allant de zéro (pire vie possible) à 10 (meilleure vie possible), nous devons fixer un seuil, qui comportera nécessairement une part d’arbitraire : en-dessous de quelle position sur l’échelle fait-on partie des plus malheureux en France ? Si on considère la distribution des réponses à cette question au cours des dix dernières années (figure 1), deux seuils sont envisageables.

Figure 1 : Histogramme des réponses à la satisfaction de vie, SRCV

Soit nous considérons que sont malheureuses les personnes qui ont répondu 5 ou moins, ce qui rassemble 17% des répondants. Si nous incluons également ceux qui ont répondu 6 à cette question, cette part monte à 27%. Nous retenons ce dernier seuil, qui nous permet de prendre en compte l’intégralité du quart le plus malheureux de la population.

Portrait social de la France malheureuse

Genre et âge

Nous avons relevé dans notre Tableau de bord que les femmes avaient en moyenne une satisfaction de vie plus faible que celle des hommes. Cette différence se retrouve parmi les plus malheureux, puisque 57% sont des malheureuses. Comme nous le verrons plus loin dans les corrélats observables du mal-être, il ne s’agit pas là d’une différence directe entre les genres : les femmes appartiennent plus fréquemment que les hommes aux catégories de diplôme et de revenu plus touchées par le mal-être. Ainsi que nous le documentons dans notre tableau de bord, elles sont également plus souvent sujettes à l’anxiété et à la dépression, et éprouvent un sentiment d’insécurité très supérieur à celui des hommes (voir notre note 3 à ce sujet).

La satisfaction de vie varie aussi au cours de la vie4, avec un point bas aux alentours de 45 ans. Nous retrouvons cette dynamique dans la part des plus malheureux. La figure 2 souligne par ailleurs le poids croissant du mal-être chez les seniors : parmi les plus de 80 ans, 40% se déclarent peu satisfaits de leur vie.

Figure 2
Lecture : la part des plus malheureux parmi les 25 – 30 ans est de 19%, et cette classe d’âge représente 8% de la population totale.

Situation sociale

Le revenu

Nous avions illustré dans l’Opuscule Les Français, le bonheur et l’argent5 à quel point le revenu constitue un déterminant fondamental de la satisfaction de vie pour les Français, plus que dans la plupart des autres pays. De fait, dans notre échantillon, le revenu médian des ménages comptant un membre malheureux accuse un retard de 675 € par mois par rapport à celui de l’ensemble de la population. Il s’établit ainsi à 2 300 € mensuels, soit 1,8 SMIC au total pour le ménage malheureux médian.

Figure 3
Lecture : Parmi le premier décile de revenu, 49% des individus se déclarent malheureux (satisfaction de vie inférieure ou égale à 6 sur une échelle de 0 à 10).

La part des malheureux diminue au fur et à mesure que le revenu augmente. Elle est de 49% parmi les membres du premier décile (les 10% les plus pauvres), et de 14% parmi les 10% les plus riches.

Lorsque nous avions étudié l’effet du revenu sur la satisfaction de vie moyenne, nous avions relevé que l’effet du revenu s’atténuait lorsqu’on atteignait les déciles de revenu les plus élevés. Cette atténuation n’apparaît pas ici sur la part des malheureux. Cela nous conduit à penser que le revenu a un effet différent sur les causes d’insatisfaction, qu’il réduit à tous les niveaux de revenu, et sur les causes positives de satisfaction, sur lesquelles l’effet de la richesse se réduit à partir d’un certain niveau.

Le diplôme

Le diplôme occupe en France une place centrale dans la détermination des carrières professionnelles. Par conséquent, les plus diplômés tendent à être plus heureux, ce qui s’explique largement (voir cette note6) par des revenus plus élevés et par un effet d’âge, les plus âgés étant à la fois moins diplômés et moins heureux. Si nous montrons et commentons ici les effets bruts, les différences entre niveau de diplôme, de situation d’emploi ou de catégorie socio-professionnelles restent qualitativement les mêmes si nous neutralisons l’effet du revenu et de l’âge.

Figure 4
Lecture : Les personnes dont titulaires d’aucun diplôme sont 39% à être malheureux, et représentent 11% de la population de l’enquête.

La part des malheureux est ainsi de 39% parmi les sans diplôme, et de 15% parmi les diplômés d’un Master ou d’un doctorat. Le graphique souligne le rôle charnière du baccalauréat, mais aussi le poids encore très important (58%) des personnes dont le diplôme le plus élevé est inférieur à ce niveau.

Une partie de cet effet déterminant du diplôme, qui ne reflète que le degré de formation initiale des individus, pourrait être neutralisé par la formation continue. En France, l’effet est plutôt cumulatif, les moins diplômés ayant jusqu’ici moins eu accès à la formation professionnelle et à la validation des acquis de l’expérience.

Au-delà de l’effet direct du diplôme sur le niveau de revenu, une récente note d’analyse de France Stratégie7 relève que si les revenus des plus diplômés augmentent en moyenne jusqu’à l’âge de 62 ans, ceux des moins diplômés commencent à diminuer dès 54 ans, ce qui est de nature à engendrer une forte frustration pour des personnes qui ont encore près de dix ans de vie active devant elles.

Le statut professionnel

Au-delà du revenu qu’il procure, le travail apporte des bénéfices propres en termes de satisfaction de vie. C’était l’objet d’une de nos premières note8, où nous montrions l’écart de bien-être entre personnes au chômage et en emploi, ainsi qu’entre les différents types d’emploi. Nous retrouvons ces écarts dans la proportions des plus malheureux (figure 5).

Figure 5
Lecture : Les étudiant.e.s représentent 3% de l’échantillon, et 13% d’entre eux se déclarent malheureux.

De fait, nous distinguons trois groupes : les personnes occupées (ayant un emploi ou en cours de formation – 52 % des répondants), les inactifs par choix (au foyer ou en retraite – 39 % des répondants), et ceux dont l’inactivité est subie (dont les chômeurs, qui incluent ici les personnes se déclarant au chômage, même si elles ne sont pas inscrites à Pôle Emploi – 9 % des répondants).

La catégorie socio-professionnelle

Les enquêtes sur les ronds-points9 accréditent l’idée que le cœur social des Gilets Jaunes est formé des classes moyennes inférieures et de la partie supérieure des classes populaires, qui partagent un sentiment de déclassement et une crainte de la précarisation, financière ou professionnelle. Nous retrouvons une plus forte part de malheureux dans les catégories socio-professionnelles les moins bien rémunérées, mais la figure 6 fait apparaître le niveau élevé de malheur dans des segments que nous avons vu représentés au sein du mouvement : petits indépendants, employés dans les services aux particuliers ou dans la fonction publique.

Figure 6
Lecture : les cadres d’entreprise représentent 4,8% de l’échantillon et sont 14% à se déclarer malheureux. Les couleurs regroupent les catégories détaillées en ensembles (ex. rouge pour les ouvriers, turquoise pour les employés).

Nous distinguons sur ce graphique les contrastes qui peuvent exister au sein des grandes catégorie socio-professionnelles. La part de malheureux parmi les anciens cadres et professions intermédiaire est ainsi bien plus faible que parmi les anciens ouvriers et employés, reflétant les contrastes établis dans la vie active. Au sein des ouvriers, la qualification emporte une différence majeure dans la part des malheureux, et parmi les employés, ceux du secteur des services aux particuliers sont nettement plus malheureux que les autres. Ainsi, cette distribution sociale du malheur tranche au travers des groupes sociaux habituels, ce qui contribue sans doute à l’hétérogénéité des publics, et à l’illisibilité de la contestation au prisme des grilles de lecture sociale usuelles.

Situation financière

Ainsi qu’on l’a vu dès le départ du mouvement, autour de la taxation des carburants, le sentiment d’insécurité financière est au centre du mal-être exprimé. De fait, en mobilisant l’enquête de conjoncture auprès des ménages augmentée de notre plate-forme bien-être, 41% des malheureux déclarent boucler tout juste leur budget, et 40% ne pas y parvenir (figure 7).

Figure 7

Ce haut degré d’inquiétude des plus malheureux est stable dans le temps (figure 8). Les deux premiers trimestres de 2017 avaient marqué une légère amélioration pour les plus malheureux, mais les tension sont ensuite reparties à la hausse, pour atteindre un pic en décembre. Même en excluant cette dernière observation, un ménage sur cinq est à la fois malheureux et en état de fragilité financière. Ces ménages peuvent donc rapidement basculer dans des situations difficiles, ou dans la contestation.

Figure 8
Lecture : en juin 2016, les plus malheureux étaient 83% à dire boucler juste leur budget ou être dans l’impossibilité de le faire avec leurs revenus courants, contre 65% de l’ensemble des répondants.

Ces personnes nourrissent en outre une opinion beaucoup plus pessimiste que la moyenne quant à l’avenir de la prochaine génération dans le pays (figure 9). Or, ce genre de pessimisme peut se traduire par un niveau plus faible d’investissement dans l’avenir, qu’il s’agisse d’efforts pour l’éducation des enfants ou le soin de sa santé10. Traiter ce mal-être n’est donc pas seulement une question de sortir de la crise actuelle, mais d’éviter qu’un tel fond d’insatisfaction ne se perpétue à l’échelle d’une génération.

Figure 9
Lecture : En décembre 2018, les personnes malheureuses attribuaient un score moyen de 3 à l’avenir de la prochaine génération en France (sur une échelle de 0 à 10) contre 3,8 pour l’ensemble de la population enquêtée.

En forme de conclusion provisoire de ce rapide portrait socio-économique de la France malheureuse, nous pouvons dire que le malheur, en France, touche non seulement les personnes les plus précaires, mais une vaste frange — pensons au grand nombre de personnes dont le diplôme est inférieur au baccalauréat, dont un tiers se déclarent malheureuses — que l’on associe habituellement aux classes populaires et moyennes.

Le mal-être des villes moyennes

Dans une récente note11, nous avions relevé que les unités urbaines de 20 000 à 100 000 habitants (que nous appellerons ici les villes moyennes) déclarent en moyenne un bien-être nettement inférieur à celui déclaré par les autres types d’agglomérations12, et aussi très nettement inférieur à ce que voudraient leur composition en termes d’âge et de revenus.

Figure 10
Lecture : La satisfaction de vie moyenne déclarée par les habitants des unités urbaines de 20 000 à 99 000 habitants est de 6,95. Sur la base des revenus et de l’âge de ces personnes, elle devrait être proche de 7,25.

Nous retrouvons cette spécificité si nous considérons plutôt que la moyenne la part des plus malheureux dans chaque type d’unité urbaine. Les plus malheureux représentent 31 % des habitants des villes moyennes, soit presque une personne sur trois, contre une moyenne nationale de 27 % (un peu plus d’un Français sur quatre). La plus faible moyenne de la satisfaction de vie dans ces agglomération repose non seulement sur un plus faible nombre de personnes très heureuses, mais surtout sur un poids nettement plus important de malheureux.

Figure 11
Lecture  : En moyenne, les répondants sont 27% à se déclarer malheureux selon notre définition. Dans les villes moyennes, ils sont presque 3,5 points de pourcentage plus nombreux (30,5%).

Nous allons ici dresser un portrait de ces villes, afin de mieux comprendre les raisons de ce mal-être.

Caractérisation

Pour commencer, rappelons que le groupe que nous étudions comporte 1 380 communes, réparties en 200 unités urbaines. Elles représentent 13 % de la population française métropolitaine.

Figure 12

En termes de structure urbaine, les modèles sont variés. Ils vont ainsi de cas où l’unité urbaine est formée d’une unique commune (Narbonne, Ajaccio, Agde, Beaune, en sont des exemples) à des réseaux où la commune la plus peuplée de l’unité urbaine représente à peine 20 % de la population totale de l’unité (Ballancourt-sur-Essone, Cluses, Dives-sur-mer, Esbly, etc.). Nous ne sous-estimerons donc pas ici la diversité des situations que recouvre cette grande catégorie. Leur diversité même indique que certaines d’entre elles doivent se distinguer par un niveau de bien-être élevé. Toutefois, l’ampleur de l’écart moyen avec les autres agglomérations, mesuré sur plusieurs années dans le cadre d’enquête larges, indique qu’il ne s’agit pas là du cas général, mais au contraire que la grande masse de ces villes connaissent de véritables difficultés.

Un tissu social fragilisé

Nous avions relevé dans notre note que les villes moyennes, si elles sont moins heureuses en moyenne, ne se distinguent pas des autres types d’agglomération quant à la satisfaction vis-à-vis de la vie locale : logement, cadre de vie, sécurité, etc. Le seul autre point d’insatisfaction notable réside dans le degré de satisfaction moyen vis-à-vis des relations avec les amis et la famille (figure 13).

Figure 13

Face à ce constat, nous avons émis l’hypothèse que l’emprise du mal-être dans ces villes était lié à une forme de délitement du tissu social, soit par des effets de contagion — le fait d’être en contact avec beaucoup de gens malheureux n’est pas propice au bien-être, sauf se réjouir du malheur des autres — soit par des effets de composition, les personnes heureuses (et nous avons vu que cela recouvrait souvent les personnes diplômées, avec des revenus élevés ou de bonnes perspectives de revenu) étant absentes de ces agglomérations.

Revenus

Dans notre précédente note ainsi que dans la figure 10 (points rouges), nous avions neutralisé l’effet de l’âge et du revenu afin de montrer que la plus faible satisfaction de vie des villes moyennes n’est pas uniquement due à ces facteurs. Dans ce portrait du malheur dans les villes moyennes, nous allons donc débuter par ces deux éléments, en gardant à l’esprit que ce qui nous intéresse le plus sont les facteurs qui viendront s’ajouter ensuite, et dans lesquels réside l’écart entre ce que le bien-être de ces villes devrait être en théorie et ce qu’il est effectivement.

Au-delà de l’effet direct des revenus sur le bien-être des individus, le niveau de richesse des collectivités conditionne en partie leurs ressources, et donc leur capacité à agir sur pour le bien-être de leurs habitants, qu’il s’agisse des capacités d’action sociale qui leurs sont dévolus, des services public locaux ou de leurs fonctions de soutien et d’animation de la vie locale.

Les villes moyennes ont ainsi un revenu médian inférieur à la médiane nationale. En particulier celles entre 50 000 et 99 999 habitants affichent un écart à la médiane de 276 € par mois (figure 14). Si on compare à l’unité urbaine de Paris, l’écart des médianes est de l’ordre de 800 € mensuels par ménage.

Figure 14
Lecture : le revenu médian mensuel dans les communes de 50 000 à 99 999 habitants est inférieur de 276 € à la moyenne nationale.

Si on regarde la répartition des revenus plutôt que la seule médiane (figure 15), les ménages qui font partie des 50% les plus pauvres en France (les déciles de revenu de 1 à 513) sont sur-représentés dans les villes moyennes, tandis que les revenus élevés (déciles 8 à 10) sont largement sous-représentés. Si les plus hauts revenus sont concentrés sur Paris, les communes plus petites (communes rurales et unités urbaines de moins de 20 000 habitants) accueillent en proportion plus de ménages aisés (sixième, septième et huitième déciles) que les villes moyennes.

Figure 15
Lecture : dans les villes moyennes, les ménages se classant dans les 10% les plus pauvres au niveau national représentent 10,5% de la population, soit un écart de 0,5 points de pourcentage.

En termes de revenu, les villes moyennes sont ainsi prises en étau entre des taux de pauvreté qui sont similaires à ceux des plus grandes villes et une sous-représentation des classes moyennes supérieures et aisées.

Ce positionnement défavorable des villes moyennes se retrouve si on considère le taux de chômage. Elles partagent avec les villes plus grandes un niveau de chômage (au sens du recensement) plus élevé que la moyenne nationale.

Figure 16
Lecture : le taux de chômage dans les unités urbaines de 20 000 à 99 999 habitants était en 2015 supérieur de 2,6 point de pourcentage à la moyenne nationale (16,3 % contre 13,7 %). Le taux de chômage employé ici est celui au sens du recensement.

Des villes moyennes âgées, et en perte de vitesse démographique

La croissance démographique n’est aujourd’hui évidemment pas une fin en soi. Dans le cas des unités urbaines toutefois, le dynamisme démographique — ou son absence — peut jouer un rôle essentiel dans les décisions d’investissement privé et public, à commencer par le maintien de services publics locaux. Or, les villes moyennes ont connu entre 2010 et 201514 une croissance de leur population inférieure à la moitié de la moyenne nationale (1,3% contre 2,6% nationalement). Ce phénomène affecte particulièrement les unités urbaines entre 50 000 et 100 000 habitants.

Figure 17
Lecture : la croissance démographique moyenne des unités urbaines de 20 000 à 99 999 habitants est de 1,3%, soit 1,1 point de pourcentage de moins que la moyenne nationale.

Les situations sont évidemment contrastées au sein de chaque type d’unités urbaines : ainsi, quelques villes moyennes ont connu entre 2010 et 2015 une croissance démographique de l’ordre de 12%. Cependant, ces villes font plutôt figure d’exception : l’immense majorité des villes moyennes montre une croissance fiable. Parmi les plus petites, un part significative présente même un net recul démographique. Cette faible dynamique démographique est en outre présente dans toutes les régions, à l’exception de l’Île-de-France et de la région Provence-Alpes-Côtes-d’Azur.

Cette faiblesse démographique se double d’une vulnérabilité supplémentaire dans la composition par âge des habitants. Par rapport à la moyenne nationale, les villes moyennes présentent un déficit pour toutes les classes d’âge en-dessous de 50 ans, et un excédent pour les classes d’âge supérieures à 50 ans, excédent particulièrement marqué chez les plus de 70 ans. Cette structure démographique va continuer à peser sur le dynamisme de ces territoires, du fait de l’effacement des générations les plus anciennes et de la faiblesse des groupes en âge d’avoir des enfants.

Figure 18
Lecture : la part des 34 – 40 ans parmi les habitants des villes moyennes est inférieure de pratiquement un point de pourcentage à la moyenne nationale (6,8 % contre 7,9 %).

Reflet sans doute de ce déficit de ménages comprenant des jeunes l’essentiel de actifs de moins de 50 ans, les villes moyennes sont la catégorie affichant le taux de logements vacants le plus élevé, entre 0,5 et un point de pourcentage plus élevé que la moyenne nationale (figure 19).

Figure 19
Lecture : Les villes moyennes connaissent un taux de vacance des logements supérieur de 0,8 points à la moyenne nationale (8,7% contre 7,9%).

Pour aller plus loin, il faudrait réaliser une analyse détaillée des flux de population entrants et sortants de ces agglomération, ainsi qu’une analyse plus proprement géographique sur l’insertion de ces unités dans l’espace environnant. Ces deux éléments dépassant largement le cadre de cette note, nous nous en tiendrons à l’idée que le faible dynamisme démographique et la structure d’âge de ces villes moyenne contribuent potentiellement à leur mal-être.

Un niveau de qualification en retrait

Les villes moyennes se caractérisent pas une proportion plus élevée que la moyenne nationale de titulaires d’une qualification inférieure au baccalauréat, et, inversement, par un déficit de toutes les qualifications supérieures (figure 20). C’est pour partie un reflet de leur structure démographique, les populations plus âgées étant en moyenne moins diplômées, mais reflète aussi une faiblesse locale de l’offre d’emplois qualifiés.

Figure 20
Lecture : dans les villes moyennes, la part de titulaires d’un CAP ou BEP est de 2 points de pourcentage supérieure à la moyenne nationale (30 % contre 28 %).

Les unités urbaines de plus petite taille partagent avec les villes moyennes la sur-représentation des qualifications faibles (Brevet des collèges, CAP, BEP), mais pas une part des sans diplômes aussi importante que dans les villes moyennes.

Composition socio-professionnelle

En cohérence avec leur profil démographique et de qualification, les villes moyennes accueillent une proportion plus élevée de retraités,plus âgés et en moyenne moins diplômés, et moins de catégories socio-professionnelles aisées et qualifiées, en particulier les cadres.

Figure 21
Lecture : les Cadres et professions libérales représentent 9 % de la population d’ensemble, et 6,1 % de la population des villes moyennes, soit un écart de -2,9 %.

Qui sont les malheureux des villes moyennes ?

Afin de jeter un éclairage supplémentaire sur ce malheur des villes moyennes, nous comparons maintenant la composition des plus malheureux au sein de ces unités urbaines avec celle des plus malheureux au niveau national. Cette comparaison nous permet de mettre en évidence un effet local qui viendrait s’ajouter à la sur-représentation des classes malheureuses dans ces villes.

Un effet atténué du revenu

Un revenu élevé protège dans une certaine mesure du mal-être, ce qu’illustre la figure 3. Dans les villes moyennes, cet effet semble moins puissant (figure 22) : à une exception près (le quatrième décile), les habitants des villes moyennes se déclarent plus souvent malheureux que la moyenne des personnes d’un niveau de revenu comparable. L’effet s’amenuise avec le revenu, mais les proportions restent supérieures – alors qu’on s’attendrait à ce que, par comparaison avec leurs voisins, les ménages des déciles supérieurs se sentent plutôt mieux lotis que s’ils habitaient dans des agglomérations où la comparaison leur serait plus défavorable.

Figure 22
Lecture : Sur l’ensemble du territoire, les 10 % les plus pauvres (D01) sont 49 % à se déclarer malheureux. Dans les villes moyennes, les ménages dont les revenus relèvent de ce décile sont 56 % à se déclarer malheureux.

Un mal-être partagé par tous les niveaux de qualification

Nous avons vu dans la section précédente que les faiblement diplômés sont sur-représentés parmi plus malheureux. En comparant les malheureux habitant dans les villes moyennes à l’ensemble des personnes se déclarant malheureuses, nous constatons que les faiblement diplômés habitant dans les villes moyennes sont plus nombreux en proportion à se déclarer malheureux (figure 23).

Figure 23
Lecture : Les sans diplôme sont 39,5% à se déclarer malheureux au niveau national. Au sein de la population des villes moyennes, les sans diplôme sont 45,5% à se déclarer malheureux.

On peut donc penser que le mal-être des villes moyennes ne procède pas seulement d’une composition socio-démographique moins favorable, que nous avons illustrée précédemment, mais aussi de facteurs propres à ce type d’agglomération, qui diminuent encore la satisfaction de vie des plus faiblement diplômés. Nous voyons à cette occasion se fissurer la charnière du baccalauréat. Au niveau national, il existe un écart significatif entre les titulaires d’un baccalauréat professionnel et les titulaires d’un CAP ou d’un BEP. Cet écart disparaît dans les villes moyennes, pour se reporter entre les titulaires d’un bac pro et les titulaires d’un autre bac.

Par contraste, les titulaires d’un baccalauréat général ou technologique, ainsi que les titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur court sont en proportion moins nombreux à se déclarer malheureux dans les villes moyennes (les diplômés du supérieur long — Master et doctorat — sont eux nettement plus malheureux). Nous y lisons dans ce positionnement relativement plus favorable des qualifications intermédiaires un effet de comparaison. Les personnes moyennement qualifiées occupent une position sociale relativement plus élevée dans ces villes où la classe moyenne supérieure est plus faiblement représentée.

Effet sur les CSP

Quand on répartit la population en fonction des catégories socio-professionnelle (figure 24), on observe qu’au sein des villes moyennes, pratiquement toutes les catégories présentent une part de malheureux plus élevée. Font exception les agriculteurs exploitants et les indépendants. Concernant les premiers, il s’agit d’agriculteurs résidant dans un environnement urbain, donc un profil assez spécifiques, par exemple des vignerons habitant à Beaune.

Figure 24

Classes d’âge

De manière plus frappante encore, la proportion des plus malheureux est plus forte dans l’ensemble des classes d’âge (figure 25).

Figure 25

La prévalence du mal-être traverse donc les multiples effets de composition, pour toucher l’ensemble des habitants de ces villes.

La satisfaction vis-à-vis des amis et de la famille

Nous avons vu qu’un autre point caractéristique des villes moyennes était la plus faible satisfaction à l’égard des relations avec les amis et la famille. Est-ce que nous observons sur cette variable le même genre d’effet uniforme que sur la satisfaction de vie ?

La vie sociale étant un élément important du bien-être, l’évaluation de la satisfaction de vie est fortement corrélée avec la satisfaction vis-à-vis des relations sociales. Au regard de la distribution des réponses relatives aux relations avec les amis, nous considérons qu’une personne est peu satisfaite de ses relations avec ses amis quand elle répond 7 ou moins à cette question, ce qui représente 26% de notre échantillon.

Figure 26

L’image est sensiblement la même que pour la satisfaction de vie : les insatisfaits de leurs relations avec leurs amis sont proportionnellement plus nombreux dans les villes moyennes. Cette insatisfaction est toutefois plus prononcée parmi les retraités, ouvriers et employés que parmi les autres catégories (figure 26).

De même, l’insatisfaction quant aux relation amicales est plus prononcée dans les villes moyennes pour la quasi-totalité des classes d’âge (figure 27).

Figure 27

En guise de conclusion

Ce rapide portrait du malheur en France a mis en évidence qu’au-delà de l’extrême détresse, le mal-être concerne une part substantielle de la population. Très largement, les facteurs de ce mal-être sont connus : un faible niveau de qualification, qui pèse sur le revenu, expose plus au chômage et limite les perspectives professionnelles. Nous avons toutefois mis en évidence que ce mal-être traverse aujourd’hui certaines catégories professionnelles, pointant vers un effet différencié de l’évolution des conditions de travail, qui pèse par exemple sur les employés des services à la personne ou ceux du secteur public.

Nous avons également montré que le mal-être des villes moyennes s’enracine dans la sur-représentation dans ces agglomérations des populations malheureuses, mais que la situation locale pèse sur le bien-être de l’ensemble des habitants. Ce constat doit maintenant nourrir de nouveaux travaux d’identification de ces facteurs locaux. Dans ce cadre, la faiblesse du dynamisme démographique est un indicateur qui doit conduire à se pencher sur l’évolution des équipements et des niveaux de vie dans ces agglomérations.

Références

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  • François Gleizes et Sébastien Grobon, « Le niveau de satisfaction dans la vie dépend peu du type de territoire de résidence », INSEE Focus, no139, 14-01-2019
  • C. Graham, dans Happiness for All?, Princeton University Press, 2017.
  • Laura Leker, « Confiance et bien-être », Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2016-02, 02/05/2016
  • Madeleine Péron, Mathieu Perona, « Bonheur rural, malheur urbain », Note de l’Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2018-07, 08 Novembre 2018
  • Esther Raineau-Rispal et Mathieu Perona, « Les Femmes et le sentiment d’(in)sécurité », Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2018-04, 06 juin 2018
  • « « Gilets jaunes » : une enquête pionnière sur la « révolte des revenus modestes », Le Monde, Idées, 11 décembre 2018

Données

Enquête SRCV

Cette enquête statistique sur les Ressources et Conditions de Vie des ménages est menée annuellement par l’INSEE. 16 000 logements sont concernés, avec une enquête en face-face sur les revenus, la situation financière et les conditions de vie des ménages. En raison de l’important travail statistique requis pour sa mise en forme et la détermination des pondérations, elle est habituellement disponible dans l’année suivant celle de la collecte. Ainsi, la vague la plus récente exploitée dans cette note est la vague de 2016. Présentation du dispositif par l’INSEE et Accès aux données via Progedo – Adisp.

Enquête CAMME / OBE

Depuis Juin 2016, l’Observatoire du Bien-être du CEPREMAP finance une plate-forme de 20 questions sur le bien-être des Français. Adossée à l’Enquête mensuelle de conjoncture auprès des ménages (CAMME) de l’INSEE, cette plate-forme est proposée chaque trimestre à un échantillon représentatif d’environ 1800 personnes. C’est à notre connaissance la première fois que le bien-être subjectif des Français est mesuré de manière à la fois aussi riche et aussi fréquente.

Données communales

Les données sur les unités urbaines métropolitaines proviennent de la Base INSEE des unités urbaines, et les données de population sont les Populations légales 2016 issues du recensement 2015.

Pour les évolutions de la population et les taux de chômage, nous avons mobilisé la Base Comparateur des Territoires de l’INSEE.

Annexes

Déciles de revenu

Pour déterminer les seuils des déciles de revenu, nous avons utilisés les valeurs données par l’INSEE pour 2018.

En euros

Tranche de revenu annuel disponibleLimite supérieure Revenu annuel moyen
D113 630 10 030
D217 47015 630
D321 12019 280
D425 39023 210
D530 04027 680
D635 06032 470
D741 29038 080
D849 35045 070
D963 21055 300
D10///96 240

Erratum

2019-02-18 : Nous avons mis à jour la Figure 10. La prise en compte dans nos prédiction d’observations pour lesquelles l’unité urbaine n’était pas renseignée conduisait à une prédiction de satisfaction de vie systématiquement supérieure à la valeur observée dans chaque unité urbaine.

Annexe méthodologique

Nous remercions l’Insee de nous avoir interpellés sur les limites et précautions à avoir sur l’examen d’écarts de bien-être moyens entre unités urbaines. Dans leur récente note, l’équipe Condition de vie des ménages estime en effet que l’écart entre le différents types d’unités urbaines n’est pas suffisamment prononcée pour être signifiante. Nous faisons ici état plus en détail des précautions méthodologiques à avoir et des éléments de preuves qui nous ont conduits dans la rédaction de cette note. Nous distinguons deux questions :

  • L’écart de bien-être moyen observé dans les villes moyennes est-il statistiquement significatif ?
  • Ce écart est-il signifiant au regard des facteurs liés au bien-être, au-delà des effets liés à la composition socio-démographique de ces agglomérations ?

Préambule : limites des intervalles de confiance

Le dispositif SRCV, que nous mobilisons pour la plupart des analyses présentées dans cette note, repose sur un échantillon tournant, stratifié afin d’être représentatif au niveau national et à certains niveaux d’agrégation. Par conséquent, la dérivation d’intervalles de confiance robustes est extrêmement complexe. Nous avons par conséquent supprimé ceux qui figuraient dans la version initiale de la Figure 10. Ceux que nous présentons ci-dessous incluent les pondérations individuelles, mais pas les effets de stratification. Ils sont donc à considérer avec prudence, et comme des éléments indicatifs plus que des preuves statistiques formelles.

Écart brut de bien-être moyen

Nous posons ici la question de savoir si nous disposons d’assez d’éléments pour penser que l’écart de bien-être moyen entre les villes moyennes et les autres unités urbaines est statistiquement significatif.

Pour ce faire, nous avons régressé au niveau individuel le bien-être déclaré sur des indicatrices de types d’unités urbaines ainsi que des indicatrices d’années. Nous employons un modèle linéaire généralisé afin d’intégrer les pondérations dans le calcul des coefficients et des écarts-types. Les résultats de ces régressions sont présentés dans le Tableau 1.

Coefficient
(Écart-t)
(1)(2)(3)(4)(5)(6)
20 000 à 99 999-0,19***
(0,021)
-0,20***
(0,022)
-0,17***
(0,022)
-0,19***
(0,022)
-017***
(0,025)
Référence
Paris
-0,08***
(0,022)

-0,06**
(0,023)
-0,04
(0,025)
0,13***
(0,029)
Communes rurales

0,06***
(0,016)
0,04*
(0,017)
0,06**
(0,020)
0,23***
(0,024)
2 000 à 19 999



0,05*
(0,023)
0,21***
(0,026)
100 000 à 199 999



0,19
(0,037)
0,19***
(0,039)
200 000 à 2 millions



Référence0,17***
(0,027)
Dummies AnnéeOui
Années2011 – 2016
Observations91 720

Tableau 1: Régressions du bien-être déclaré en fonction du type d’unité urbaine
Légende : *** p-valeur < 0,001, ** p-valeur < 0,01, * p-valeur < 0,05

Sur l’ensemble des années pour lesquelles on dispose de l’information sur les unités urbaines, habiter dans une ville moyenne conduit à une évaluation de la satisfaction de vie inférieure de -0,19 points. Cet ordre de grandeur est robuste à l’introduction de contrôles pour les autres types d’unités urbaines. Inversement, la colonne (6) indique que l’écart est significatif (avec les limites explicitées plus haut) avec chacun des autres types d’unités urbaines.

Un écart de cet ordre est-il significatif en pratique ? Sur la base de l’enquête SRCV elle-même, cette différence correspond à à celle existant en moyenne entre le quatrième et le cinquième décile de revenu (4 470 € annuels de différence moyenne dans le revenu d’un ménage). S’il ne s’agit pas là d’une différence absolument majeure, il nous semble qu’un tel équivalent monétaire correspond à une différence qui serait jugée notable entre deux ménages.

Effets de composition et effet fixe

Ainsi que nous le documentons dans cette note, une partie de la moindre satisfaction de vie dans les villes moyenne s’explique par leur composition socio-démographique : elles accueillent une part plus élevée des classes d’âges et classes sociales en moyenne moins satisfaites de leur vie. Nous suggérons en dernière partie de la note qu’à cet effet de composition s’ajoute un effet fixe, conséquence d’éléments non pris en compte par les corrélats usuels du bien-être (par exemple un sentiment de déclin, peut-être alimenté par la dynamique économique ou la fermeture de services publics ou de commerces de proximité).

Afin de prendre une meilleure mesure de ces effets que la simple approche graphique, nous effectuons la régression (1) du Tableau 1 (indicatrice de ville moyenne), mais en incluant, en supplément et au niveau individuel, les variables de contrôle pour l’âge (indicatrices décennales), le sexe, le statut marital, la situation d’activité, le diplôme, la catégorie socio-professionnelle et le revenu disponible du ménage (en log). Les résultats sont présentés dans le Tableau 2.

Coefficient
(Écart-type)
(1)(2)(3)(4)(5)(6)







Ville moyenne-0,19***
(0,021)
-0,17***
(0,021)
-0,13***
(0,021)
-0,13***
(0,021)
-0,11***
(0,020)
-0,11***
(0,020)
Situation personnelle





Âge
X


X
Genre
X


X
Situation matrimoniale
X


X
Situation socio-professionnelle





Situation d’activité

X
XX
Diplôme

X
XX
CSP

X
XX
Revenus





Revenu disp. du ménage (log)


XXX







Dummies AnnéesOui
Années2011 – 2016
Observations91 720

Tableau 2: Régressions du bien-être subjectif en fonction du type d’unité urbaine, avec contrôles
Légende : *** p-valeur < 0,001, ** p-valeur < 0,01, * p-valeur < 0,05

D’après ces éléments, approximativement la moitié de l’écart de satisfaction de vie moyenne entre les unités urbaines de 20 000 à 99 999 habitants est lié à leur composition socio-démographique, et l’autre moitié à d’autres facteurs.

Robustesse et discussion

Dans l’ensemble de nos régressions, les indicatrices d’année portent des coefficients significatifs. Afin d’évaluer la robustesse de nos résultats aux variations annuelles, nous avons réalisé la régression (6) du Tableau 2 (ensemble des contrôles) année par année (Figure 28, approximativement 15 000 observations par année).


Figure 28 : Coefficients de l’indicatrice Villes Moyennes

L’effet inexpliqué des villes moyennes après contrôles est de l’ordre de -0,10, en ligne avec le -0,11 du Tableau 2 (6). L’année 2015 semble présenter un comportement particulier, et l’intervalle de confiance contient zéro sur trois des six années disponibles. Toutefois, les variations d’une année sur l’autre sont assez faibles, et l’image d’ensemble cohérente avec ce qui est observé sur l’ensemble de l’échantillon.

Pour des raisons de simplicité de la présentation, notre catégorie des villes moyennes regroupe deux modalités des types d’unités urbaines. En utilisant les modalités de départ, nous observons que l’essentiel de l’effet provient des unités urbaines de 50 000 à 99 999 habitants pour lesquels l’effet estimé est de -0,23 (sans contrôles) à -0,14 (ensemble des contrôles)

D’autres commentateurs ont attiré notre attention sur le fait que l’effet du revenu que nous mesurons pouvait être affecté par les différences de pouvoir d’achat entre les types d’unités urbaines, en particulier le prix de l’immobilier, qui pèse lourd dans le budget des ménages. Ainsi, le prix très élevé de l’immobilier conduit probablement à sur-estimer l’effet du revenu à Paris, et contribue vraisemblablement à l’effet fixe négatif dans les régression (2) et (4) du Tableau 1. Inversement, le marché immobilier est particulièrement peu tendu dans les villes moyennes (Figure 19). Nous y sous-estimons probablement le pouvoir d’achat du revenu, ce qui renforce nos résultats.

  1. Madeleine Péron, Mathieu Perona, « Bonheur rural, malheur urbain », Note de l’Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2018-07, 08 Novembre 2018
  2. Nous désignons sous ce terme les unités urbaines comprises entre 20 000 et 99 999 habitants.
  3. Esther Raineau-Rispal et Mathieu Perona, « Les Femmes et le sentiment d’(in)sécurité », Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2018-04, 06 juin 2018
  4. Elizabeth Beasley, Esther Raineau-Rispal, Mathieu Perona, « Le Tournant de la quarantaine », Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2018-01, 2018-02-12
  5. Y. Algan, E. Beasley, C. Senik, Les Français, le bonheur et l’argent, Éditions Rue d’Ulm / Cepremap, coll. Opuscules du Cepremap, no46, Paris, 2018.
  6. Elizabeth Beasley, Madeleine Péron, Mathieu Perona, « Diplôme, revenu et confiance », Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2018-06, 05 Octobre 2018
  7. Léa Flamand, Christel Gilles et Alain Trannoy, « Les salaires augmentent-ils vraiment avec l’âge ? », Note d’Analyse no72, France Stratégie, Novembre 2018.
  8. Laura Leker, « Confiance et bien-être », Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2016-02, 02/05/2016.
  9. On peut se référer par exemple aux premiers résultats d’une équipe de chercheurs, ainsi qu’aux enquêtes de F. Aubenas ou de Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts, Camille Polloni et Maïté Darnault.
  10. Cet effet a été documenté dans le cas des États-Unis par C. Graham, dans Happiness for All?, Princeton University Press, 2017.
  11. Madeleine Péron, Mathieu Perona, « Bonheur rural, malheur urbain », op. cit.
  12. Cet écart de 0,25 points sur une échelle de 0 à 10 peut paraître faible en valeur absolue (c’est ainsi que l’a considérée une récente note de l’Insee). Elle est certes plus faible que l’écart, par exemple, qui correspond pour un individu à perdre son emploi. Mais à l’échelle de grandes catégories la différence est importante. Elle correspond par exemple à celle existant en moyenne entre le quatrième et le cinquième décile de revenu (4 470 € annuels de différence moyenne dans le revenu d’un ménage). À cette aune, être dans une ville de taille intermédiaire correspond bien à un changement important.
  13. Nous avons utilisé par simplicité les déciles de revenu disponible des ménages calculés par l’INSEE pour l’année 2018. Ces seuils sont précisés en annexe.
  14. Les bornes de 2010 et 2015 correspondent aux deux dernières dates de recensement disponibles.