Note de l’Observatoire du Bien-être n°2018-06 : Diplôme, revenus et confiance

Faire des études contribue-t-il au bien-être des individus ? En croisant plusieurs sources de données françaises, nous mettons en évidence une relation claire entre niveau de diplôme et bien-être, que ce dernier s’exprime par la satisfaction de vie ou la confiance envers les autres.

L’augmentation de la satisfaction de vie avec le niveau du diplôme transite largement par un effet de revenu : un diplôme plus élevé permet de mieux gagner sa vie, ce qui augmente la satisfaction de vie.

Par contraste, le fait que les plus diplômés soient plus enclins à faire confiance aux autres ou à avoir confiance en l’avenir ne semble pas lié à leurs revenus : à revenus égaux, les plus diplômés sont plus confiants et optimistes que les moins diplômés.

Auteurs :

Elizabeth Beasley, chercheuse à l’Observatoire du Bien-être du Cepremap

Madeleine Péron, assistante de recherche l’Observatoire du Bien-être du Cepremap

Mathieu Perona, directeur exécutif de l’Observatoire du Bien-être du Cepremap

Les études rendent-elles heureux ?

Alors que collégiens, lycéens et étudiants sont rentrés depuis quelques semaines, nous posons ici la question de savoir si les études contribuent au bien-être des individus. Au cours du xxe siècle et en particulier depuis l’après-guerre, on a assisté en France à une massification et à une démocratisation de l’éducation. De plus en plus de gens ont accédé à des niveaux d’éducation de plus en plus élevés. Aujourd’hui, plus de 85 % de la population adulte détient un diplôme et plus d’un tiers est diplômé de l’enseignement supérieur 1. Les plus jeunes en particulier ont un accès aux études post-bac bien meilleur que celui de leurs aînés. Cela nous rend-il plus heureux ? Dans quelle mesure le niveau de diplôme d’une personne permet-elle de prédire son niveau de bien-être ?

Figure 1 : Répartition de la population adulte (25-64 ans) selon le diplôme

À ce sujet, la littérature est relativement consensuelle et conclut à une relation positive entre bien-être et éducation 2. Comme nous allons le voir, ce que nous observons dans les données à notre disposition est plus nuancé : le niveau de diplôme n’a pas le même effet selon la dimension du bien-être subjectif que l’on considère. Nous allons nous intéresser ici aux trois dimensions suivantes 3 :

  1. Le bonheur ressenti (dimension hédonique)
  2. La satisfaction de vie (dimension évaluative)
  3. Le sentiment d’un sens de la vie (dimension eudémonique).

Plus diplômés et plus heureux

Pour chacune de ces trois dimensions du bien-être subjectif, la relation avec le niveau d’éducation est positive : plus les individus ont un diplôme élevé, plus ils sont en moyenne heureux. Ainsi, l’analyse des données de notre plate-forme Bien-être adossée à l’enquête mensuelle de Conjoncture Auprès des Ménages 4 montre que les gens plus éduqués se déclarent plus satisfaits de leur vie, plus heureux, et trouvent davantage de sens à leur vie (Figure 2) 5. Le baccalauréat marque une rupture par rapport aux niveaux inférieurs, en particulier concernant la satisfaction générale vis-à-vis de sa vie.

Figure 2 : Niveau d’éducation et composantes du bien-être, contrôlés pour l’âge

Plus diplômés et plus confiants

Dans une de nos premières notes 6, nous avons relevé à quel point la confiance, envers les autres ou l’avenir, était liée au niveau de bien-être subjectif. Elle constitue également une des composantes du capital social des personnes interrogées, entendu comme leur capacité à bénéficier d’un tissu riche et solide de relations sociales 7. Comme précédemment, nous observons une relation croissante entre niveau de diplôme et degré de confiance vis-à-vis des autres personnes ((Voir Annexe 1 pour le détail de la question.[/note] (Figure 3). La charnière du baccalauréat apparaît à nouveau, mais sépare les baccalauréats professionnels et technologique d’un côté, et les diplômés du baccalauréat général et de l’enseignement supérieur court de l’autre.

Figure 3 : Niveau de diplôme et degré de confiance envers autrui, contrôlé pour l’âge

Le rôle du revenu

Un meilleur diplôme apporte un revenu plus élevé (Figure 4), et le revenu est à son tour un déterminant important du bien-être en France 8. La relation entre revenu et diplôme transite donc en partie par le revenu.

Figure 4 : Revenu moyen annuel du ménage selon le niveau de diplôme, contrôlé pour l’age

Une fois que l’on neutralise cet effet revenu, les relations exposées précédemment s’affaiblissent voire disparaissent. C’est particulièrement vrai pour les deux dimensions du bien-être que sont le bonheur et le sens donné à sa vie. Concernant la satisfaction vis-à-vis de sa vie (Figure 5), le fort échelonnement du panneau de gauche s’amoindrit, pour ne plus laisser apparaître que la charnière du bac.

Figure 5 : Bonheur, sens et valeur de sa vie et satisfaction de vie, avant et après neutralisation de l’effet revenu, contrôlé pour l’âge

Ce rôle médiateur du revenu entre le diplôme et le bien-être ne s’applique cependant pas à la relation entre diplôme et confiance (Figure 6) : neutraliser le revenu ne change pratiquement pas les positions.

Figure 6 : Diplôme et confiance, sans et avec neutralisation de l’effet revenu, contrôlé pour l’âge

Cet effet positif de l’éducation sur la confiance 9 – indépendamment du revenu, donc – s’étend au-delà du seul champ de la confiance interpersonnelle. Nous avions déjà relevé que les plus diplômés sont aussi les plus optimistes quant aux perspectives de la prochaine génération, en Europe comme en France 10. La Figure 7 montre que neutraliser le revenu (panneau de droite) ne réduit que marginalement les écarts – avec ici aussi une charnière forte au niveau du baccalauréat.

Figure 7 : Évaluation de la situation de la prochaine génération en France, sans et avec neutralisation de l’effet revenu, contrôlé pour l’âge

Ces éléments suggèrent donc que si l’effet d’un diplôme plus élevé sur le bien-être transite majoritairement par des revenus supérieurs, le fait de poursuivre des études a un effet indépendant sur la confiance envers les autres et sur l’optimisme quant à l’avenir 11.

Conclusion

Dans les deux enquêtes que nous analysons ici, plus les Français sont diplômés, plus ils sont heureux, satisfaits de leur vie, et ont confiance dans les autres et dans l’avenir. Si le niveau de satisfaction plus élevé des diplômés s’explique largement par de meilleurs revenus, l’effet sur les autres dimensions ne semble pas dépendre du revenu de la personne. Des études plus longues semblent ainsi offrir d’importants bénéfices non-financiers, mesurés ici dans la capacité à faire confiance à autrui et dans la confiance dans l’avenir. Dans la plupart des cas, le baccalauréat constitue une charnière forte, doublée dans le cas de la confiance d’une deuxième rupture à partir du niveau Licence.

Comme l’ont montré des travaux récents, ces écarts de perception de soi, des autres et de l’avenir selon les diplômes se reflètent fortement dans les choix électoraux, contribuant mieux que l’axe gauche – droite traditionnel à expliquer la composition et la polarisation des électorats du Rassemblement National et de La République en Marche.

Repères bibliographiques

Y. Algan, E. Beasley, D. Cohen and M Foucault (2018) , “The rise of populism and the collapse of the left-right paradigm: Lessons from the 2017 French presidential election”, CEPR Discussion Paper 13103

Y. Algan, E. Beasley et C. Senik, Les Français, le Bonheur et l’argent, Éditions Rue d’Ulm, Opuscule du Cepremap n°46, 2018.

Y. Algan et P. Cahuc, La Société de défiance : Comment le modèle social français s’autodétruit, Opuscule du Cepremap n°9, Éditions Rue d’Ulm, 2007

Andrew E. Clark, Sarah Flèche, Richard Layard, Nattavudh Powdthavee et George Ward, The Origins of Happiness, Princeton Universiy Press, 2018

Laura Leker, Confiance et bien-être, Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2016-02, 2016-05-02

OECD, Education at a Glance, OECD Publishing, Paris, 2015, DOI:http://dx.doi.org/10.1787/eag-2015-en

P. Oreopoulos et K. G. Salavnes, “Priceless: The Nonpecuniary Benefits of Schooling”, Journal of Economic Perspectives, Volume 25, Number 1, Winter 2011, pages 159–184

Mathieu Perona, Optimisme et inquiétudes, Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2017-12, 2017-11-14

R.Putnam, Bowling alone: The Collapse and Revival of American Community, ed. Simon & Schuster, New York, 2000)

Annexe 1

Pour notre enquête, nous utilisons les formulations suivantes :

  • Bonheur ressenti (dimension hédonique) : Vous êtes-vous senti heureux hier ?
  • Satisfaction de vie (dimension évaluative) : Dans l’ensemble, dans quelle mesure êtes-vous satisfait de la vie que vous menez actuellement ?
  • Sentiment d’un sens de la vie (dimension eudémonique) : Avez-vous le sentiment que ce que vous faites dans votre vie a du sens, de la valeur ?

L’ensemble des questions ainsi qu’une spécification plus complète de l’enquête est disponible sur notre Tableau de Bord du bien-être en France.

Sur la question de la confiance, le dispositif SRCV utilisa la question : «  D’une manière générale, sur une échelle de 0 à 10, diriez-vous que l’on peut faire confiance à la plupart des gens ou que l’on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres », 0 étant la réponse ‘Jamais trop prudent’ et 10 ‘très confiant’.

Annexe 2

Pour l’analyse statistique de la relation entre diplôme et bien-être, nous avons créé à partir des différentes sources de données des catégories, les plus homogènes possible. Nous décrivons ici le descriptif détaillé de ce qu’elles contiennent.

Pas de diplôme
CEP/BEPC/DNB Certificat d’études primaires, diplômes équivalents au Brevet des Collèges
CAP/BEP Certificat d’aptitudes professionnelles, brevet d’étude professionnel et autres diplômes équivalents
Baccalauréat Baccalauréat professionnel, baccalauréat technologique, baccalauréat général, capacité en droit, DAEU, ESEU et autres diplômes équivalents
Bac +2 DUT, BTS, Deust, diplômes paramédicaux et sociaux, Deug et autres diplômes équivalents
Bac +3 Licence, licence professionnelle, licence IUP
Bac +5 et plus Master, DEA, Magistère, école d’ingénieur, école de commerce, Grandes Écoles (GE), doctorats

Notes

  1. La forte proportion de diplômés du CAP ou du BEP vient en partie du fait que ces diplômes étaient largement accessibles avant la massification de l’enseignement supérieur.
  2. Tout au long de cette note, nous allons employer le terme « éducation » pour désigner le dernier diplôme obtenu par la personne. Nous sommes conscients que cette métrique n’épuise pas le contenu de l’éducation entendue dans son sens usuel, en particulier les compétences sociales ainsi que les connaissances acquises par l’expérience mais non validées par un diplôme formel.
  3. L’Annexe 1 précise le libellé exact des questions posées.
  4. Nous publions un descriptif de cette enquête ainsi qu’un tableau de bord de ses résultats à l’adresse https://www.cepremap.fr/Tableau_de_Bord_Bien-Etre.html.
  5. Avec la massification de l’enseignement supérieur, la valeur des diplômes a varié dans le temps. Afin de neutraliser cet effet, nous contrôlons par l’âge des personnes, ce qui nous permet de faire des comparaisons au sein de chaque classe d’âge. Ceci concerne l’ensemble des analyses présentées dans cette note.
  6. Laura Leker, Confiance et bien-être, Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2016-02, 02/05/2016.
  7. Au sens du politologue R. Putnam (Bowling alone: America’s declining social capital. In Culture and politics (pp. 223-234), Palgrave Macmillan, New York, 2000)
  8. La compréhension de cette relation particulière des Français à l’argent dans la construction de leur bien-être subjectif constitue le fil rouge du récent ouvrage de Y. Algan, E. Beasley et C. Senik, Les Français, le Bonheur et l’argent.
  9. Pour une étude plus systématique sur le rendement de l’éducation en termes de revenu et en termes d’effets non-monétaires, on peut se référer à l’article de P. Oreopoulos (2011).
  10. Mathieu Perona, Optimisme et inquiétudes, Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2017-12, 2017-11-14
  11. La relation croissante entre niveau de diplôme et confiance interpersonnelle se vérifie dans un grand nombre de pays. Voir par exemple l’édition 2015 de Education at a Glance de l’OCDE, p. 159. Sur la question de la confiance en général, on peut consulter Esteban Ortiz-Ospina and Max Roser (2017) – « Trust« . Published online at OurWorldInData.org.