Pris au cœur des mouvements sociaux de juin 2018, ce portrait du bien-être en France diffère relativement peu de celui que nous pouvions établir en mars. La plupart des dimensions de notre enquête sont en légère amélioration, montrant que la tension du climat social en juin a eu un effet limité sur le ressenti d’ensemble de nos enquêtés.
Après avoir un atteint un étiage en décembre 2017, le niveau des réponses moyennes à notre question « Avez-vous été heureux hier » poursuit la reprise amorcée en mars. Toutefois, ce mieux-être est le fait des hommes dans notre enquêtes, les femmes ne partageant en moyenne pas cette embellie.
Il en va de même pour l’optimisme : le pessimisme moyen des femmes quant aux perspectives de la prochaine génération en France et en Europe s’accentue. Les hommes, eux, semblent retrouver de la confiance dans l’avenir national, mais partagent dans une certaine mesure une opinion assombrie des perspectives européennes.
Auteurs :
Mathieu Perona, directeur exécutif de l’Observatoire du Bien-être du Cepremap
Hasard du calendrier, notre enquête s’est déroulée aux alentours de la mi-juin. On y lira donc la température d’une France prise dans un long conflit social, marqué par la grève intermittente des cheminots, et pas encore prise dans l’enthousiasme national qu’a suscité la coupe du monde de football. Il faut donc lire la présente note en se replaçant dans ce contexte particulier.
Tableau de bord
Dimension | Moyenne de 0 à 10 | ||
Grandes dimensions | Mars | Juin | |
Satisfaction de vie | ↗* | 6,5 | 6,6 |
Sens de la vie | → | 7,0 | 7,1 |
Bonheur | → | 6,8 | 6,9 |
Anxiété et dépression | → | 2,0 | 2,1 |
Santé | → | 6,8 | 6,9 |
Niveau de vie | → | 6,4 | 6,5 |
Comparaison avec les autres Français | → | 6,5 | 6,6 |
Perception de l’avenir | |||
Vie future (personnelle) | → | 5,9 | 6,0 |
Prochaine génération France | → | 4,2 | 4,2 |
Prochaine génération Europe | ↘ | 4,5 | 4,3 |
Proches et environnement | |||
Relations avec les proches | → | 8,0 | 8,1 |
Gens sur qui compter | ↗ | 7,4 | 7,7 |
Sentiment de sécurité | → | 7,1 | 7,2 |
Agression ressentie | ↘* | 1,5 | 1,7 |
Travail et temps de vie | |||
Satisfaction au travail | → | 7,0 | 7,0 |
Relations de travail | → | 6,9 | 7,0 |
Équilibre des temps de vie | → | 5,9 | 5,9 |
Temps libre | → | 6,5 | 6,6 |
Tableau 1 : Tableau de bord. Les flèches indiquent les variations d’un trimestre à l’autre.
* Variation significative uniquement pour les hommes
Comme pour notre précédente note de conjoncture1, nous vous livrons ici un rapide tableau de bord du bien-être des Français, en complément de notre page dédiée.
Les variations entre mars, date de notre précédente enquête, et juin sont généralement de faible ampleur, et, pour beaucoup d’entre eux, ont une puissance statistique limitée. Si nous n’observons pas de grand mouvement d’ensemble des différentes dimensions du bien-être, nous constatons sur plusieurs d’entre elles des divergences entre genres qui suggèrent une appréhension différenciée de l’état et de l’avenir de la France.
Les grands indicateurs de bien-être
Lorsque nous avons lancé cette enquête en juin 2016, nous avions encore peu de choses sur l’évolution à court terme des grandes dimensions du bien-être. Les enquêtes existantes en France étaient en effet pour la plupart annuelles. De ces enquêtes, nous savions qu’il s’agissait de grandeurs qui évoluent dans l’ensemble lentement, et avec des évolutions d’ampleur limitée, hors événements majeurs (crise en Grèce, guerre en Syrie), ainsi que l’illustre la Figure 1 sur quelques pays européens2. Hors de tels événements, les variations d’une année sur l’autre sont de l’ordre de 0,2 points (sur une échelle de 0 à 10), avec dans le cas des données ici une incertitude assez large (1 000 personnes interrogées par pays).
Cela semble assez naturel dans la mesure où certaines de ces questions, comme celle illustrée ici sur l’évaluation de la satisfaction de vie, demande de prendre une perspective de long terme sur sa propre vie, sur ce qu’on aurait voulu qu’elle soit et sur ce qu’elle aurait pu être. Inversement, les questions sur les affects immédiats, comme celle sur le bonheur (« Avez-vous été heureux hier ? ») sont influencées par un contexte très immédiat à la fois dans le temps et dans l’espace, ce qui peut lisser les variations d’une moyenne à l’échelle de l’année ou du trimestre.
Avec maintenant deux ans de recul, nous découvrons des mouvements d’un trimestre à l’autre qui sont du même ordre de grandeur que les mouvements d’une année sur l’autre (Figure 2). Pour autant, la relative inertie de ces réponses moyennes démontre que la conjoncture, fût-elle marquée comme cela a été le cas en France sur ces deux ans par une actualité nationale agitée, n’a qu’un impact somme toute limité sur ces évaluations moyennes.
Toutefois, cette stabilité des réponses moyennes dans ces grandes dimensions cache des disparités notables. Ainsi, tant sur le bonheur que sur la satisfaction de vie, l’amélioration d’ensemble sur le dernier trimestre est exclusivement liée aux hommes (Figure 3), et plus précisément à l’augmentation du nombre de ceux qui se déclarent très heureux ou très satisfaits (réponses de 7 à 10), avec une diminution correspondante de la part des moyennement heureux ou satisfaits (réponses 4 à 6).
C’est d’ailleurs la première fois sur nos deux ans d’observations qu’apparaît une différence significative entre hommes et femmes en ce qui concerne le sentiment de bonheur.
Perceptions de l’avenir : quand la France et l’Europe divergent
Comment cela se compare-t-il à la mesure de l’optimisme, à laquelle nous nous sommes particulièrement intéressés depuis le début de cette enquête ? Nous mesurons ce sentiment par deux questions, portant sur les perspectives de la prochaine génération, en France d’une part et dans le monde d’autre part. Nous avions déjà remarqué que nos enquêtés étaient en moyenne plus optimistes sur l’avenir de l’Europe que sur celui de la France, mais que ce pessimisme national s’était réduit à l’été 2017, au moment des élections présidentielles. De juillet à décembre 2017, les deux courbes ont évolué parallèlement, comme si la représentation du destin national était devenue indissociable du celle du destin européen.
En mars cependant est apparue une première divergence : l’optimiste quant à l’avenir de la France a chuté, alors que celui relatif à l’Europe s’est maintenu. Reflet sans doute du début des difficultés du gouvernement Macron, cette chute ne s’est pas poursuivie en juin, malgré un climat social particulièrement tendu. Rétrospectivement, on peut être tenté de voir dans la chute de mars une anticipation des conséquences du conflit qui s’est déroulée du printemps au début de l’été. Il n’en reste pas moins que le niveau d’optimisme moyen de nos enquêtés demeure supérieur aux niveaux enregistrés avant la campagne présidentielle, comme si un cap avait été franchi avec celle-ci.
L’optimisme quant à l’avenir européen a lui fortement chuté au dernier trimestre, au point d’être à nouveau très proche du point concernant la France. Il est difficile ici de ne pas faire le lien avec les dissensions qui sont apparues entre pays Européens sur la question des migrants, qu’il s’agisse de la contestation d’Angela Merkel en Allemagne ou de l’élection italienne, qui a partiellement porté au pouvoir des partis au discours anti-immigration virulent.
On retrouve sur ces questions (Figure 5) le contraste entre genres que nous avions relevé sur les grandes questions personnelles. Ainsi, le regain d’optimisme de décembre était essentiellement le seul faut des hommes. Si les deux sexes ont revu à la baisse leurs anticipations quant à l’avenir de l’Europe, l’effet est nettement plus marqué chez les femmes. Quant au destin national, on assiste à nouveau en juin à une divergence marquée : les hommes voient la situation à long terme du pays s’améliorer, alors que les femmes renforcent leur pessimisme.
Nous observions jusqu’ici des contrastes assez forts entre générations dans notre échantillon. Si les plus jeunes sont généralement plus optimistes sur l’avenir de l’Europe, ils sont aussi ceux dont l’opinion moyenne est la plus volatile (Figure 6). Dès décembre 2017, nous observions des dynamiques divergentes sur ce point, le regain d’optimisme étant le fait des moins de 65 ans. En juin, les opinions moyennes ont remarquablement convergé entre générations, au point de devenir statistiquement indistinguables les unes des autres. Dit autrement, nous n’avons plus en juin de différence entre générations dans l’appréciation de l’avenir de la France et de l’Europe. Cette convergence est d’autant plus remarquable qu’elle annule les différences marquées de composition entre générations, en particulier le niveau de diplôme (les plus diplômés restent significativement plus optimistes) ou de revenu (les plus aisés restent significativement plus optimistes).
Un environnement plus agressif ?
Pour notre précédente note de fond3, nous avions traité plus en détail du sentiment de sécurité subjective. Sur le dernier trimestre, nous constatons une diminution modérée du sentiment de sécurité dans son quartier, quoique cette mesure demeure à un niveau élevé. Le sentiment d’agression dans l’environnement proche mais hors de la famille a en revanche connu une augmentation marquée, qui contraste avec la grande stabilité observée depuis mars 2017 (Figure 7).
Si la dimension du genre ne joue pas dans le sentiment de sécurité – les évolutions sont parallèles, avec l’écart très important que nous avions relevé dans notre dernière note – l’augmentation du sentiment d’agression au dernier semestre est essentiellement le fait des hommes. Le sentiment moyen d’agression des hommes atteint ainsi un niveau que nous n’avions pas encore observé, équivalent à celui des femmes avant la rupture de mars 2017. Comme nous le faisions déjà remarquer dans notre note précédente, la majorité des répondants répondent toujours ne pas s’être sentis agressés la veille (réponse 0). L’augmentation que nous observons ici correspond à une augmentation du sentiment d’agressions mineures, avec une baisse de la proportion de personnes répondants peu ou pas de sentiment d’agression (réponses 0 à 3) au profit d’un sentiment d’agression modéré (réponses 4 à 6). Il faudra donc suivre avec attention cet indicateur au cours des trimestres à venir, afin de départager la dimension purement conjoncturelle d’une éventuelle tension des rapports dans la société.
- Mathieu Perona, « Le Bien-être des Français – Mars 2018 », Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2018-03, 15 mai 2018.
- Les données proviennent ici du World Happiness Report, lui-même fondé sur le panel international Gallup World Poll. La satisfaction de vie est mesurée comme dans notre étude par un positionnement sur une échelle allant de 0 à 10.
- Esther Raineau-Rispal et Mathieu Perona, « Les Femmes et le sentiment d’(in)sécurité », Observatoire du Bien-être du Cepremap, n°2018-04, 06 Juin 2018.