Note de l’Observatoire du Bien-être n°2018-02 : Valoriser les espaces verts en milieu urbain par le bien-être des résidents

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Article original :  Christian Krekel, Jens Kolbe, Henry Wüstemann, « The greener, the happier? The effect of urban land use on residential well-being », Ecological Economics, Volume 121,2016, Pages 117-127, ISSN 0921-8009, https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2015.11.005

Adaptation : Christian Krekel et Esther Raineau-Rispal

Le processus d’urbanisation rend difficile le maintien de zones pourtant essentielles à l’équilibre des écosystèmes urbains, et l’espace est devenu une ressource rare dans les grandes villes. Les espaces verts et les parcs urbains étant primordiaux pour atteindre les objectifs fixés par la Commission Européenne en termes de climat et d’environnement, celle-ci a promu leur préservation en les intégrant aux politiques nationales et régionales au sein de l’Union Européenne (Commission Européenne, 2013). Certains gouvernements nationaux ont mis place des stratégies similaires : l’Allemagne a par exemple encouragé la sauvegarde des parcs urbains en les incluant dans son programme national de protection de la biodiversité (Ministère Fédéral de l’Environnement, de la Protection de la Nature et de la Sécurité Nucléaire, 2007).

Ces politiques publiques innovantes, qui ciblent la protection des espaces verts, sont soutenues par un nombre grandissant d’études insistant sur leur valeur d’agrément pour les résidents dans leurs alentours (Bell et al., 2008; Croucher et al., 2008). L’absence de prix de marché pour les parcs en tant que bien public reste cependant un problème inhérent à leur valorisation, leur valeur étant donc généralement déterminée par des approches reposant sur les préférences déclarées. Ces stratégies sont souvent basées sur une valuation contingente ou des expériences avec des choix discrets, dans lesquelles la disposition à payer pour les espaces verts est calculée à partir de questions directes posées aux résidents. Des démarches dites de « préférences révélées » peuvent alternativement être mises en œuvre, comme la tarification hédonique, qui repose sur les variations des prix immobiliers aux alentours des espaces verts pour déduire leur valeur de façon indirecte.

Nous adoptons une approche différente : les espaces verts sont valorisés à partir de données sur le bien-être, en comparant l’impact de la présence de ces espaces à celui du revenu sur la satisfaction de vie. Cela permet d’inférer la disposition des riverains à payer un accès aux espaces verts, mais aussi de déterminer la quantité de parcs publics maximisant la satisfaction des résidents. Nous avons donc associé les données de panel du German Socio-Economic Panel Study sur la période 2000-2012 et les données transversales du European Urban Atlas pour l’année 2006 afin d’étudier l’environnement de grandes villes allemandes, regroupant 100 000 habitants ou plus. Notre stratégie empirique repose sur l’exploitation de variations parmi les individus déménageant d’une ville à l’autre, en contrôlant pour un grand nombre de caractéristiques observables. Puisque nous pouvons montrer que la plupart de ces déménagements ne sont pas motivés par des raisons liées à l’environnement de vie, cette démarche permet d’isoler les effets causaux plus finement que dans la plupart des études sur ce sujet dans la littérature scientifique.

Nos résultats indiquent que la présence d’espaces verts dans un rayon d’un kilomètre autour de la résidence a un effet positif significatif sur la satisfaction des membres du ménages. L’ampleur de cet effet à l’échelle individuelle est faible : une augmentation de la taille des parcs urbains d’un hectare (il y a en moyenne 23 hectares d’espaces verts dans un rayon d’un kilomètre autour du lieu de résidence) induit une hausse de satisfaction de seulement 0,0066 sur une échelle de 0 à 10. Ces faibles effets à l’échelle individuelle impliquent néanmoins de plus larges incidences au niveau communautaire du fait de la densité de population dans les grandes villes : en moyenne, plus de 6 000 riverains bénéficieraient d’un agrandissement de la taille des espaces verts d’un hectare – engendrant ainsi un impact total non négligeable. Par ailleurs, les riverains plus âgés, qui sont probablement moins mobiles, tirent trois fois plus parti des espaces verts autour d’eux par rapport au résident moyen. Nos résultats montrent que les résidents sont en moyenne disposés à payer 276 euros tirés de leur revenu annuel net afin d’augmenter d’un hectare la taille des espaces verts dans un rayon d’un kilomètres autour de leurs domiciles.

Quelles sont les implications en matière de planification et de développement urbains ? Il est possible de calculer l’équivalent monétaire du bénéfice net de bien-être tiré d’une augmentation de la taille des espaces verts d’un hectare dans un rayon d’un kilomètre autour du lieu de résidence. C’est d’autant plus intéressant qu’il y a en moyenne un déficit d’offre d’espaces verts dans les villes allemandes : la quantité d’espaces verts qui maximiserait la satisfaction des résidents est de 33 hectares mais il n’y a en moyenne que 23 hectares disponibles. En agrégeant la disposition à payer individuelle de 276 euros pour tous les résidents affecté, on obtient un bénéfice brut de bien-être en termes monétaires de 933 647 euros. Si l’on prend en considération le coût de provision d’un hectare d’espaces verts, qui varie entre 23 333 et 204 400 euros annuellement selon la localisation et les infrastructures, on obtient ainsi un bénéfice net de bien-être compris entre 729 647 et 910 314 euros annuellement en termes monétaires.

Cette analyse coût-bénéfice n’est bien sûre fondée que sur une approche en équilibre partiel et ne prend pas en considération les effets qu’aurait une augmentation de la taille des espaces verts sur les prix immobiliers et les loyers, ainsi que d’autres externalités. Elle montre néanmoins que la réduction de la sous-provision d’espaces verts dans les grandes ville pourrait générer un important bénéfice net de bien-être en termes monétaires. L’analyse de l’hétérogénéité suggère également que les zones urbaines regroupant une grande proportion de résidents âgés tireraient le plus profit de cette augmentation des espaces verts. Une façon simple, et ayant potentiellement un bon rapport coût-efficacité, d’offrir plus d’espaces verts serait de transformer les terrains vagues inoccupés. Nos résultats offrent de solides arguments en faveur de la sauvegarde des espaces vertes en centre-ville.