La montée du populisme et l’échec des partis traditionnels à l’élection présidentielle de 2017 remettent en question la pertinence des déterminants traditionnels du vote. Dans le contexte économique difficile du quinquennat Hollande, dans quelle mesure la montée du pessimisme en France a-t-elle nourri le vote contestataire ?
Les enquêtes disponibles révèlent deux phénomènes marquants : d’une part, les extrêmes du spectre politique, et surtout l’extrême-droite, se distinguent par un niveau de mal-être et de pessimisme particulièrement fort, et qui ne s’explique pas entièrement par les caractéristiques sociales de cet électorat ; d’autre part, la différence de bonheur entre électeurs d’extrême gauche et électeurs d’extrême droite a évolué, surtout depuis le début des années 2010 : les électeurs les plus malheureux se situent désormais plus souvent à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche.
Auteurs :
Amory Gethin, assistant de recherche à l’Observatoire du Bien-être du Cepremap
Thanasak Mark Jenmana, assistant de recherche à l’Observatoire du Bien-être du Cepremap
Introduction
Face à la montée récente des partis populistes et de l’extrême droite en Europe – et en particulier en France –, se pose la question d’un lien potentiel entre perceptions individuelles du bien-être, comportements de vote et campagnes électorales. A partir de données d’enquêtes, et en particulier des Eurobaromètres disponibles de 1973 à 2016, cet article se propose d’étudier la coévolution entre satisfaction dans la vie et orientation politique auto-déclarée. La littérature scientifique suggère l’existence de deux phénomènes : 1) les individus se déclarant conservateurs sont généralement plus heureux que les individus se déclarant « de gauche » et 2) les enquêtés aux extrêmes du spectre politique sont relativement moins satisfaits de leur vie. Au regard de la percée du Front National en France, nous pouvons donc nous demander dans quelle mesure cette dynamique électorale va de pair avec une insatisfaction plus profonde des Français.
Le bien-être et l’optimisme ne conditionnent pas seulement le processus électoral. Ils participent de manière fondamentale à toutes les échelles de la vie sociale et politique, que ce soit au niveau de la participation à la vie publique, de la satisfaction avec la démocratie ou encore de la propension à s’engager dans des activités associatives et bénévoles. Dans un contexte difficile, où la crise des réfugiés et le terrorisme alimentent une multitude de discours, étudier la politique sous l’angle du bien-être paraît fondamental pour comprendre l’élection française de 2017.
La section suivante relie directement bien-être, orientation politique et intentions de vote en France avant l’élection présidentielle de 2017. La deuxième section réinscrit cette relation dans une dynamique de plus long-terme qui s’est intensifiée depuis la crise et se généralise progressivement à un ensemble de pays Européens.
Mal-être et vote extrême
La relation entre bonheur et positionnement politique est claire : le mal-être est à son comble aux extrémités du spectre politique.
De nombreuses enquêtes régulières auprès de la population contiennent une question classique sur le positionnement politique des individus, qui consiste à leur demander de se situer sur une échelle « gauche-droite », où l’extrême gauche est naturellement représentée par l’extrémité gauche de l’échelle, correspondant à la graduation 1, et l’extrême droite correspond à la graduation 10.
Le Figure 1 montre le pourcentage d’individus se déclarant « pas du tout satisfait » de leur vie selon leur orientation politique sur la période 1973-2016. On peut immédiatement voir que les individus se situant aux extrêmes sont beaucoup plus nombreux à déclarer un niveau d’insatisfaction élevé – près de 14% des enquêtés d’extrême gauche et 11% d’extrême droite contre 5% des autres enquêtés en moyenne.
Or, la polarisation progressive vers les votes extrêmes est un trait marquant des dynamiques politiques à l’œuvre en France depuis le début des années 2000. La figure 2 illustre de manière remarquable cette lente évolution qui a abouti aux résultats de l’élection présidentielle de 2017. Entre les périodes 2005-2009 et 2010-2016, le nombre d’individus se déclarant aux extrêmes a significativement augmenté : entre 2010 et 2016, le taux d’enquêtés à l’extrême droite était de 2,4 points de pourcentage plus élevé qu’entre 2005 et 2009.
Parallèlement, les partis traditionnels s’effondrent, avec une baisse notable de 2,7 points de pourcentage pour le « centre-gauche ». Aussi ces transformations dans les déclarations individuelles reflètent-elles la tripolarisation de l’espace politique français depuis la crise. (Notons également l’augmentation des personnes choisissant la graduation focale 5 qui, située exactement au milieu de l’échelle, exprime certainement une indétermination).
Pour l’expliquer, une attention particulière est généralement portée aux déterminants économiques, historiques, géographiques et sociodémographiques du vote extrême. Pourtant ces déterminants traditionnels du vote s’avèrent bien insuffisants pour expliquer la forte pénétration du vote frontiste à des couches de la population aussi disparates que les jeunes, la classe moyenne ou la France périphérique et péri-urbaine. Leur point commun : le mal-être et le pessimisme.
Les dernières élections présidentielles de 2017 sont l’occasion de vérifier cette conjecture. Considérons les données d’enquête électorale du CEVIPOF. En juillet 2016, plusieurs questions sur le bien-être ont été ajoutées à cette enquête qui a interrogé plus de 17 000 personnes tous les mois jusqu’en mars 2017. Les sondés étaient invités à indiquer leur niveau de satisfaction sur une échelle croissante de 0 à 10. Les graphiques de la figure 3 comparent le niveau de satisfaction des personnes selon leur intention de vote à l’élection présidentielle de 2017.
Les individus les moins satisfaits de leur vie actuelle et les plus pessimistes pour leur avenir ont majoritairement pour intention de voter en faveur de Marine Le Pen, et dans une moindre mesure pour Jean Luc Mélenchon. Les plus satisfaits de leur vie actuelle et les plus optimistes déclarent vouloir voter pour Emmanuel Macron prioritairement, suivi de François Fillon et Benoît Hamon. On découvre ainsi un véritable clivage entre une France pessimiste, qui vote M. Le Pen, et une France optimiste, incarnée par le vote E. Macron.
Il est important de souligner que le rôle du bien-être et de l’optimisme dans le comportement électoral ne se réduit pas aux conditions de vie objectives des personnes.
La figure 4 représente la relation entre la probabilité subjective de voter, sur une échelle de 0 à 10, en faveur du Front National et le revenu des personnes interrogées. Il s’agit de probabilités déclarées par les personnes interrogées. La probabilité de voter en faveur du Front National est très élevée, de l’ordre de 45%, parmi les Français les plus pessimistes, et ce quel que soit leur niveau de revenu. Plus généralement, que l’on dispose d’un revenu élevé ou faible, que l’on soit employé, chômeur ou retraité, que l’on soit ouvrier, employé ou cadre moyen, la probabilité de voter en faveur de Marine Le Pen est de même ordre de grandeur et augmente avec le niveau de pessimisme.
Cette découverte n’est pas tout à fait nouvelle. Ainsi, une étude précédente avait permis de montrer que, lors des élections présidentielles de 2012, si les habitants d’une commune, toutes classes sociales confondues, exprimaient un point de bien-être subjectif en plus, sur une échelle de 0 à 10, cela se traduisait par 10 points de pourcentage en moins pour le vote FN. Ce résultat était établi en appariant les données annuelles françaises de l’enquête Gallup et les données de l’Insee sur la composition socio-démographique des communes (de manière à estimer le bien-être typique par commune). L’évolution du bien-être subjectif sur la période 2009-2012 exerçait également un impact sur les résultats électoraux : dans les villes dont le bien-être avait baissé par rapport à la moyenne nationale, le vote FN s’était élevé. A titre d’exemple, des villes comme Brignoles, Béziers ou Hénin-Beaumont étaient marquées par un niveau élevé de vote FN, un niveau de bien-être faible, et un décrochage en termes de bien-être par rapport aux autres villes de France.
La relation entre mal-être et vote frontiste s’explique principalement par la crise des aspirations. Après dix ans de croissance en berne, l’électorat du Front National est celui qui a perdu espoir dans son avenir et dans celui de ses enfants. Or, le pessimisme des Français se rattachant principalement aux perspectives économiques du pays, la crise des aspirations gagne des électorats très divers, bien au-delà des classes populaires et des classes moyennes. Le vote FN n’est plus celui des classes populaires, mais des classes malheureuses et pessimistes.
Divergence entre extrême gauche et extrême droite
Alors que le spectre politique français se déforme au profit des extrêmes, notamment l’extrême-droite, une restructuration politique du bien-être s’opère depuis le début des années 2000.
Traditionnellement, les électeurs de gauche déclarent un niveau de bonheur et de satisfaction dans la vie plus faible que les électeurs de droite. Cette différence s’observe bien dans les années 1970, comme le montre la figure 5 : sur une échelle de 1 à 4, les individus se déclarant à droite (7-8) déclarent en moyenne près d’un demi-point de bonheur de plus que les individus d’extrême gauche (1-2).
Il n’y a là rien d’étonnant si l’on admet que la droite est globalement plus conservatrice et la gauche transformatrice ou révolutionnaire: les électeurs de droite, socialement plus favorisés, sont plus satisfaits du monde tel qu’il est, et, partant, plus attachés à le conserver en l’état, tandis que les électeurs de gauche, qui en sont moins heureux, ont davantage la volonté de le transformer. Une précédente étude a ainsi montré, au niveau mondial, que les individus heureux ont davantage tendance à s’identifier à des partis conservateurs (Flavin & Pacek 2014).
Si cet écart existe bien en France, il s’est pourtant considérablement réduit au cours des dernières décennies. Une première convergence s’opère dès l’élection de François Mitterrand au début des années 1980, puis le processus s’accélère fortement à partir de la crise de 2008, avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy, puis de François Hollande au pouvoir. Alors même que le niveau de satisfaction dans la vie augmente en moyenne au France, il stagne pour les individus se déclarant à l’extrême droite, tandis que l’extrême-gauche se compose de plus en plus d’individus heureux relativement au reste de la société, tout au long de la période.
Soulignons ici que les individus étudiés varient d’une période à l’autre, ces changements dans la structure du bien-être mettant donc en évidence l’existence d’une double recomposition électorale. D’une part, l’extrême gauche capte de plus en plus d’individus satisfaits de leur vie, à tel point qu’en 2015-2016, elle comble l’écart qui la sépare de la droite traditionnelle pour atteindre le même niveau de bonheur. D’autre part, l’extrême droite décroche au début des années 2010, de telle sorte qu’elle affiche une satisfaction moyenne inférieure aux autres partis de 0,2 points sur les deux dernières années.
Les deux représentations graphiques de la figure 6 permettent d’avoir une vision un peu plus précise de ce phénomène. Entre les deux périodes allant de 2000 à 2008 et de 2009 et 2016, le bien-être en France augmente de manière relativement homogène pour les individus se déclarant près du centre de l’échelle politique. Mais en ce qui concerne les extrêmes, on observe une forte hausse du bien-être de l’extrême gauche (+0.25 points) alors que le niveau de satisfaction de l’extrême droite reste le même entre les deux périodes.
Un processus analogue est visible au niveau de la satisfaction avec la démocratie. De manière générale, les Français sont moins satisfaits avec la démocratie aujourd’hui qu’ils ne l’étaient avant la crise, mais ce changement est biaisé vers la droite du spectre politique et particulièrement marqué pour l’extrême droite (-0,45 points sur une échelle de 4). Paradoxalement, les électeurs d’extrême gauche ne sont pas plus insatisfaits de la démocratie qu’ils ne l’étaient avant la crise, alors même que Jean-Luc Mélenchon a construit sa campagne électorale de 2017 sur le « renouvellement du système » et la nécessité d’une transformation démocratique radicale en France.
Le décrochage de l’extrême droite peut potentiellement s’interpréter au regard des transformations qu’a subi le Front National au cours des dix dernières années. En effet, le succès des partis d’extrême droite en Europe dans les années 2000 a souvent été associé à deux facteurs principaux : l’immigration et le chômage. En France, l’opposition Français / Immigrés a joué un rôle important dans la montée du Front National depuis les années 1980 (Golder 2003, Arzheimer 2009). Cependant, l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti a restructuré son identité au cours des dernières années, qui combine désormais un discours nationaliste à une critique ouverte du système capitaliste. Ce changement a ainsi permis au Front National d’élargir son électorat en attirant chômeurs, travailleurs précaires et « insatisfaits du système » (Benveniste & Pingaud 2016).
Cette différenciation progressive de la base électorale de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche se retrouve dans toute une série d’attitudes et d’anticipations (figure 7).
Avant la crise, les individus se déclarant d’extrême gauche étaient beaucoup plus pessimistes quant à l’avenir, et une majorité d’entre eux anticipait une dégradation de la situation économique en France.
Aujourd’hui, bien que les anticipations économiques soient plus positives en moyenne, ce sont les électeurs d’extrême droite qui sont les plus inquiets pour l’avenir : 36% d’entre eux anticipent une dégradation de la situation économique et 38% de la situation de l’emploi.
Cette évolution est associée à une modification de la composition des électorats extrêmes (figure 8). Ainsi, au cours de la période 2009-2016, par rapport à la période 2000-2008, les jeunes de 15 à 25 ans se déclarent de plus en plus à l’extrême droite (passant de 2% à 6% entre les deux périodes) et de moins en moins à l’extrême gauche (passant de 12% à 9%).
Par ailleurs, les différences de niveau d’éducation entre électorats s’exacerbent. Si les individus moins éduqués tendent en général à se déclarer davantage à droite, ils sont de plus en plus à se situer à l’extrême droite – 8% en 2009-2016 contre 5% en 2000-2008. Le décrochage de l’extrême droite en termes de bien-être est donc en partie associé à cet effet de structure.
Malheureusement, les enquêtes Eurobaromètres ne disposant pas de question sur le revenu individuel, nous ne pouvons procéder à une analyse aussi complète que les précédentes pour cette composante. Cependant l’European Social Survey contient une variable qui indique la position de l’enquêté dans la distribution du revenu de son pays, ce qui permet d’avoir un aperçu du lien entre orientation politique et revenu et de ses dynamiques de court terme.
Les individus se déclarant à l’un ou l’autre extrême sont généralement plus pauvres que le reste des individus dans leur pays : sur la période 2008-2010, par exemple, 24% des enquêtés d’extrême droite faisaient partie des 20% les plus pauvres en France, et seuls 14% faisaient partie du quintile le plus aisé financièrement (figure 9).
Après la crise, cependant, cette polarisation s’exacerbe pour l’extrême droite, 25% des enquêtés d’extrême droite se situant parmi les ménages les plus pauvres et 27% parmi les classes moyennes inférieures (ménages appartenant aux troisième et quatrième déciles de revenu). On observe aussi un changement au niveau de l’extrême gauche, les individus les plus riches (quintile supérieur) étant moins nombreux, tandis que les classes moyennes (cinquième et sixième quintile) représentent une part bien plus importante de cet électorat.
La divergence de bien-être entre extrêmes tient ainsi, en partie, à un autre changement de composition : la gentrification (ou « boboïsation ») de l’électorat d’extrême gauche et son lien avec l’effondrement progressif du Parti Socialiste au cours du quinquennat Hollande.
En effet, comme nous avons pu le constater ci-dessus, le pourcentage d’individus se déclarant au centre-gauche a considérablement diminué au cours des 5 dernières années, allant de pair avec une baisse de la satisfaction moyenne vis-à-vis de la démocratie. Parallèlement, la campagne de La France Insoumise à l’élection présidentielle de 2017 s’est en partie développée autour de questions sociétales, environnementales habituellement défendues par le PS et le Parti Écologiste. Ainsi a-t-on pu voir une partie des électeurs de centre-gauche, notamment au sein des classes moyennes, se diriger vers le parti de Jean-Luc Mélenchon.
Cette transformation structurelle est visible sur le graphique ci-contre, qui permet de décomposer l’évolution de l’électorat d’extrême gauche depuis 2005. Les couleurs représentent différents statut d’emploi, tandis que les valeurs de couleur correspondent à différents niveaux d’éducation.
Or, on observe que la montée de l’extrême gauche au cours des dix dernières années est fortement liée à l’arrivée d’individus très éduqués (teintes foncées). Ce phénomène est particulièrement visible au niveau des actifs et des retraités : entre 2005 et 2016, la part des retraités ayant arrêtés d’étudier après 21 ans au sein de l’extrême gauche passe de 3% à 8,6% (jaune foncé), tandis que la part d’actifs très éduqués augmente de plus de dix points de pourcentage, passant de 14,7% à 24,8%.
Cette diversification de l’électorat est observable au niveau de la structure du bien-être. En effet, l’extrême gauche présente une importante hétérogénéité en termes de bonheur (figure 11). D’une part, elle rassemble la part d’individus très satisfaits de leur vie la plus importante relativement aux autres orientations politiques (23,5%). Mais d’un autre côté, plus de 19% des enquêtés se situant à l’extrême gauche se déclarent « Plutôt pas satisfait » ou « Pas du tout satisfait » de leur vie, soit près 5 points de pourcentage de plus que les individus de gauche, de droite ou du centre.
Notre analyse nous permet donc d’observer une double évolution qui a amené le décrochage de l’extrême droite en termes de bien-être : le déplacement d’individus heureux vers l’extrême gauche, et le déplacement d’individus malheureux vers l’extrême droite. Ici encore, il est important de souligner que ce phénomène ne se réduit pas à un effet de composition sociodémographique.
Les graphiques ci-dessous (figure 12) représentent l’évolution du niveau de bonheur subjectif moyen des enquêtés se situant aux extrêmes. Le graphique de gauche représente le coefficient de corrélation brut entre positionnement politique et bonheur ; celui de droite représente la même association après introduction de variables de contrôle dans la régression économétrique. Autrement dit, le deuxième graphique compare le bien-être des extrêmes, après avoir pris en compte l’effet de variables sociodémographiques – âge, éducation, statut d’emploi, et sexe.
Or, on constate que la forme des courbes est sensiblement identique entre les deux graphiques, ce qui signifie que le processus de divergence ne tient pas uniquement à la modification de la composition sociale de l’électorat des extrêmes. En 2015-2016, à âge, sexe, niveau d’éducation et statut d’emploi donnés, un individu se déclarant d’extrême droite affiche un niveau de satisfaction dans la vie inférieur à celui des autres enquêtés.
Notons enfin que la modification de l’électorat des partis extrêmes est un phénomène qui dépasse l’échelle de la France. La même convergence s’observe sur le long terme dans un ensemble de pays européens. Le graphique ci-dessous illustre l’évolution du bien-être par orientation politique en Europe. La décomposition est d’abord opérée pour chaque pays inclus dans l’analyse – Allemagne, Belgique, Danemark, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni –, puis la valeur moyenne sur l’ensemble de ces pays est calculée afin d’obtenir une décomposition au niveau européen.
En 1973-1974, les individus se déclarant à l’extrême droite étaient en moyenne les plus heureux, accusant une différence de 0,35 points avec l’extrême gauche. À partir des années 1995-2000, cependant, l’extrême droite affiche une baisse importante de satisfaction dans la vie, et stagne jusqu’en 2015-2016 alors que l’ensemble de la société devient progressivement plus heureuse.
Parallèlement, la gauche voit son bien-être augmenter de manière progressive, d’abord dans les années 1990, puis plus brusquement dans les années 2010-2015. En conséquence, les individus de gauche sont aujourd’hui aussi heureux que ceux du centre, et les individus d’extrême gauche aussi heureux que ceux d’extrême droite.
Conclusion
Notre analyse a montré que les individus se déclarant à un extrême ou l’autre du spectre politique se déclarent généralement moins heureux que le reste de la population, tandis que les individus de la droite modérée sont légèrement plus satisfaits de leur vie que ceux de gauche.
Les dynamiques politiques à l’œuvre en France depuis le début des années 2000 révèlent la montée de l’extrême gauche et de l’extrême droite, mais pour des raisons qui semblent radicalement différentes. Alors que l’extrême droite se caractérise par un niveau de mal-être croissant, l’extrême gauche a vu au contraire son niveau de satisfaction dans la vie augmenter rapidement au cours des dix dernières années. Dans la mesure où ces évolutions sont concomitantes d’une baisse progressive de la satisfaction avec la démocratie, nos résultats suggèrent l’existence d’une restructuration de l’espace politique sous le quinquennat Hollande, certains électeurs particulièrement pessimistes se tournant progressivement vers le Front National.
L’extrême gauche aussi semble traverser une importante recomposition électorale, les individus plus âgés et la classe moyenne s’y identifiant davantage. Ces deux phénomènes combinés indiquent ainsi une polarisation progressive du vote extrême. L’optimisme croissant des électeurs d’extrême gauche reflète sa capacité à attirer des individus progressifs et plus aisés, votant habituellement au centre-gauche ; mais cette dynamique va de pair avec son incapacité à rassembler les individus les plus précaires et pessimistes, qui se tournent désormais vers l’extrême droite contestataire.
Références
Arzheimer, K. (2009). “Contextual Factors and the Extreme Right Vote in Western Europe, 1980-2002”, American Journal of Political Science, Vol. 53, No. 2, April 2009, pp. 259-275
Benveniste, A., Pingaud, E. (2016). “Far-Right Movements in France: The Principal Role of Front National and the Rise ofIslamophobia”, in Lazaridis, G., Campani, G., Benveniste, A., The rise of the far right in Europe, Palgrave Macmillan, 2016
Flavin, P., Pacek, A. C. (2014). “Life satisfaction and political preferences: an International analysis”, Working Paper
Golder, M. (2003). “Explaining the variation in the success of the extreme right parties in Western Europe”, Comparative Political Studies, Vol. 36, No. 4, May 2003, pp. 432-466
Nos remerciements les plus chaleureux vont à Elizabeth Beasley, Claudia Senik et Yann Algan. Leur soutien constant et leur aide bienveillante ont été des plus précieux dans la conception et la réalisation de ce projet.
Questions utilisées dans les enquêtes « Eurobaromètres »
Question |
Échelle de réponse |
A propos de politique, les gens parlent de « droite » et de « gauche ». Vous-même, voudriez-vous situer votre position sur cette échelle ? | Échelle de 1 à 10, où 1=Gauche, 10=Droite |
D’une façon générale, êtes-vous très satisfait(e), plutôt satisfait(e), plutôt pas satisfait(e) ou pas du tout satisfait(e) de la vie que vous menez ? | Échelle de 1 à 4 |
Dans l’ensemble, êtes-vous très satisfait(e), plutôt satisfait(e), plutôt pas satisfait(e) ou pas du tout satisfait(e) du fonctionnement de la démocratie en France ? | Échelle de 1 à 4 |
Quelles sont vos attentes pour les douze prochains mois : les douze prochains mois seront-ils meilleurs, moins bons ou sans changement, en ce qui concerne … ? | Échelle de 1 à 3 : Meilleurs (1), Moins bons (2), Sans changement (3). |