Plusieurs comparaisons internationales ont montré que les Français sont globalement plus pessimistes que les habitants de pays comparables.
Ce pessimisme relatif d’ensemble recouvre cependant un paysage intérieur très contrasté, le revenu et la catégorie socioprofessionelle – au-delà du pur effet revenu – constituant des déterminants importants de l’optimisme individuel et collectif. Le niveau d’éducation, le genre, le lieu d’habitation ou encore la présence d’enfants sont également autant de déterminants dont nous explorons les effets sur le bien-être subjectif dans cette note.
Auteurs :
Elizabeth Beasley, chercheuse à l’Observatoire du Bien-être du Cepremap
Claudia Senik, Professeur à l’Université Paris-Sorbonne et à l’Ecole d’économie de Paris.
On le sait, cela fait longtemps que les Français sont globalement pessimistes, beaucoup plus que les habitants d’autres pays comparables. Quand ils évaluent leurs perspectives personnelles, ils sont moins de 40% à déclarer un niveau de satisfaction élevé (supérieur à 6 sur une échelle de 0 à 10). Leur pessimisme est encore plus fort pour la France en général : ils sont moins de 15% à estimer que la prochaine génération en France ou dans l’Union européenne sera dans une meilleure situation que la génération actuelle.
En général, l’optimisme des personnes concernant leur situation personnelle décroît (et le pessimisme croît) avec l’âge (barres bleues, figure ci-dessous), et plus rapidement que la satisfaction pour la vie en général. En revanche, cette relation ne se retrouve pas dans la relation à l’avenir (barres rouges).
Un rôle fort du revenu dans l’optimisme pour soi, mais moins dans l’optimisme pour la France
L’optimisme augmente avec le revenu du ménage – les gens riches sont plus optimistes. Le revenu est un fort prédicteur des évaluations des personnes concernant leur position personnelle (satisfaction de vie et satisfaction concernant les perspectives futures personnelles), même lorsque l’on neutralise l’effet de l’éducation et de la categorie socioprofessionelle. Pourtant, ce n’est pas le cas pour les anticipations de la vie de la prochaine génération en France (en contrôlant pour l’éducation et le catégorie socioprofessionelle, le revenu n’est plus un prédicteur significatif).
Une grande divergence selon les catégories socioprofessionnelles, qui n’est pas expliquée que par le revenu
Ceux qui appartiennent à une catégorie socio-professionnelle plus élevée, en particulier les cadres et les professions intermédiaires, sont plus optimistes que les catégories moins favorisées, concernant leur situation personnelle ainsi que celle de la France et de l’UE. On observe dans le diagramme ci-dessous à gauche que les cadres et professions intermédiaires (coin supérieur droit) sont plus optimistes vis-à-vis de leur futur et jouissent d’une plus grande satisfaction de vie actuelle que les autres catégories socio-professionnelles (travailleurs indépendants, ouvriers et employés, dans le coin inférieur gauche). En revanche, les indépendants connaissent un assez haut niveau d’optimisme pour la prochaine génération en France (diagramme de droite). Ces relations subsistent même en tenant compte du niveau de revenu du ménage et d’autres variables sociodémographiques.
Moyennes pondérées par catégorie socioprofessionnelle. « Indépendants » inclut agriculteurs, artisans, commerçants, chefs d’entreprise, et professions libérales.
L’écart est grand entre la partie de la population possédant un niveau d’éducation supérieur au Bac et les autres
Les premiers sont plus satisfaits de leur situation économique, de leur situation présente ainsi que de leurs perspectives d’avenir. Le niveau d’éducation est fortement lié à la satisfaction courante, mais la majeure partie de cette relation provient des différences de revenu et de catégorie socio-professionnelle : en incluant ces variables dans l’analyse, la relation avec l’éducation diminue et peut même devenir non-significative. En revanche, la relation entre l’éducation et l’optimisme ne se réduit pas aux différences de revenu.
L’écart d’optimisme entre les plus et les moins éduqués est particulièrement marqué pour les plus jeunes. Le graphique ci-dessus à droite illustre la différence à chaque âge entre les gens ayant un diplôme plus élevé que le BAC (ligne bleue) et ceux qui ont un BAC ou un niveau d’étude inférieur. Cette différence est plus faible pour les personnes plus âgées. Bien entendu, ceci peut être dû à un effet générationnel : obtenir le bac en 1960 n’avait pas la même signification que d’obtenir le bac aujourd’hui. De même, le rendement de l’éducation en termes de salaire peut s’être modifié au cours du temps.
Les habitants des villes de taille moyenne (moins de 100 000 habitants) sont relativement insatisfaits et pessimistes (même au delà des effets de composition). Dans les milieux ruraux, les gens sont satisfaits de leur vie courante mais sont inquiets pour l’avenir, notamment l’avenir de la France.
Les Parisiens, eux, sont plutôt insatisfaits de leur vie courante, mais se montrent fortement optimistes pour eux-mêmes ainsi que pour la France. Leur optimisme pour eux-mêmes dépend évidemment de leurs caractéristiques sociodémographiques, mais leur optimisme pour la France et l’Union Européenne ne se réduit pas ces conditions de vie.
Moyennes pondérés par taille d’agglomération.
Un fort optimisme pour la France en région Parisienne, et un pessimisme prononcé dans le Nord, le Bassin Parisien et la Méditerranée
Les habitants des régions Ouest et Est sont particulièrement satisfaits et optimistes pour ce qui concerne leur vie personnelle, mais pas pour ce qui concerne la France ou l’Union européenne. (Ces relations, pour la plupart, ne se réduisent pas à des effets de composition).
Une fois encore, les résidents de la région Parisienne sont moins satisfaits de leur vie actuelle mais plus optimistes, surtout concernant la France et l’UE. Les résidents du Nord, du Bassin Parisien et de la région Méditerranéenne sont insatisfaits et pessimistes.
Les femmes plus pessimistes pour la France
À première vue, les femmes sont plus pessimistes que les hommes, à la fois concernant leur avenir personnel mais aussi l’avenir du pays et de l’Union européenne. Néanmoins, le pessimisme relatif des femmes concernant leur avenir s’explique entièrement par le fait qu’elles gagnent moins d’argent que les hommes. Mais ce n’est pas le cas pour l’optimisme vis-à-vis de la France ou de l’UE : dans ce cas, le pessimisme des femmes ne se réduit pas à leur niveau de revenu.
Les enfants rendent-ils optimiste ?
Pour les personnes en âge d’avoir un enfant à la maison (24 - 56 ans), on observe bien une relation entre l’âge et la satisfaction de vie actuelle (les lignes rouge et bleue dans le diagramme de gauche sont parallèles). En revanche, pour ce qui est de la satisfaction des personnes vis-à-vis de leurs perspectives personnelles futures, les relations sont très différentes.
Les gens sans enfant sont plus optimistes (lignes verte et jaune dans le diagramme de droite) que les gens avec enfants (lignes bleue et rouge) jusqu’à leur trentaine. Ensuite, leur optimisme décroît par rapport aux gens sans enfants. De même, jusqu’à l’âge de 40 ans, les gens sans enfants sont plus optimistes pour la France, et la relation s’inverse après 40 ans. Ces évolutions sont identiques qu’il s’agisse des hommes ou des femmes.
Note sur la méthodologie
Lorsqu’il est indiqué que la relation subsiste compte tenu des variable sociodémographiques, cela signifie que le coefficient est statistiquement significatif et du même signe dans une régression incluant âge, âge carré, genre, revenu (exprimé en log et ajusté pour la taille du ménage), catégorie socioprofessionnelle, niveau d’études, statut de travailleur, taille de ville ou région et vague de l’enquête.