Comment ont Ă©voluĂ© les conditions de vie au travail en France, depuis le dĂ©but de la grande rĂ©cession, en 2008 ? Dans cette radiographie, nous utilisons lâenquĂȘte SRCV, disponible annuellement entre 2008 et 2014, pour Ă©tudier la vie au travail telle que la ressentent les Français, ainsi que son Ă©volution gĂ©nĂ©rale ces derniĂšres annĂ©es. Nous utilisons Ă©galement la base de donnĂ©es EU-SILC de 2013, pour comparer la satisfaction vis-Ă -vis de lâemploi en France Ă celle des autres pays EuropĂ©ens.
Le tableau qui se dĂ©gage est celui dâune France dans la moyenne europĂ©enne du point de vue de la satisfaction au travail, mais plus proche du niveau des pays dâEurope du Sud (plus faible) que des pays dâEurope du Nord (niveau de satisfaction plus Ă©levĂ©). La satisfaction au travail, dans ses multiples composantes, sâest dĂ©gradĂ©e depuis la crise de 2008.
Auteur :
Claire Vandendriessche, doctorante Ă lâĂcole dâĂ©conomie de Paris et assistante de recherche Ă lâObservatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap.
Publié le 30 mai 2017
La satisfaction vis-Ă -vis de lâemploi en France est dans la moyenne EuropĂ©enne. La satisfaction des travailleurs Français vis-Ă -vis de leur emploi est en moyenne de 7,05 sur une Ă©chelle allant de 0 Ă 10. Ce chiffre est trĂšs proche de la satisfaction moyenne des travailleurs en Europe (UE + 4 pays) qui est de 7,03 (cf. graphique ci-dessous). La France occupe une 14e place sur les 28 pays de lâUE (minimum : 4,78 en Bulgarie, maximum : 7,94 en Finlande).

La carte suivante reproduit les mĂȘmes informations que la carte ci-dessus, mais en faisant apparaĂźtre cette fois-ci le diffĂ©rentiel de satisfaction vis-Ă -vis de lâemploi dans les pays EuropĂ©ens par rapport Ă la France. On dĂ©couvre de profondes inĂ©galitĂ©s Nord-Sud. Si la satisfaction vis-Ă -vis de lâemploi est plus forte en France que chez ses voisins du Sud, lâItalie (-0,46 point de satisfaction de moins quâen France) et lâEspagne (-0,17), le travail apparaĂźt plus satisfaisant chez les voisins du Nord : Royaume-Uni (+0,23 point de satisfaction de plus quâen France), Allemagne (+0,25), Luxembourg (+0,38), Belgique (+0,48), et Suisse (+1,02). On note par ailleurs que les inĂ©galitĂ©s Nord-Sud sont nettement plus structurantes que les inĂ©galitĂ©s Est-Ouest : la satisfaction au travail en Pologne (+0,26) et en Roumanie (+0,11), par exemple, est plus Ă©levĂ©e quâen France.

Sur cinq annĂ©es de crise, aucun indicateur subjectif de qualitĂ© du travail nâa Ă©voluĂ© positivement. On constate dans lâensemble un accroissement de lâaliĂ©nation au travail, grossiĂšrement dĂ©finie par quatre indicateurs standardisĂ©s. Le sentiment dâexercer un travail rĂ©pĂ©titif, Ă la chaĂźne, sous contrainte de temps (cf. courbe bleu foncĂ© « Travail Ă la chaĂźne » dans le graphique ci-dessous), a augmentĂ© de 18% entre 2008 et 2014 aprĂšs contrĂŽle de lâĂąge. Le sentiment de pouvoir employer pleinement ses compĂ©tences (cf. courbe bleu clair « Emploi des compĂ©tences »), lui, a diminuĂ© de 10% sur la mĂȘme pĂ©riode. Le sentiment dâavoir des possibilitĂ©s de promotion dans son entreprise nâa pas Ă©voluĂ© significativement sur la pĂ©riode (environ 39% de « oui », non montrĂ© sur le graphique). La mĂȘme constance est observĂ©e dans le sentiment que son employeur reconnaĂźt le travail du rĂ©pondant Ă sa juste valeur (environ 2,7 sur une Ă©chelle de 1 Ă 4, non montrĂ© sur le graphique).

En ce qui concerne la dimension psychosociale, trois indicateurs subjectifs ont Ă©tĂ© sollicitĂ©s. On note une chute de 14,4% du sentiment dâavoir de bonnes relations avec ses collĂšgues (cf. courbe orange-rouge « Relations avec les collĂšgues », ci-dessus), aprĂšs contrĂŽle de lâĂąge. Sur la mĂȘme pĂ©riode de 2008-2014, le sentiment de vivre des tensions avec un public (cf. courbe orange « Tension avec un public ») a augmentĂ© de 9,6%. Le sentiment dâĂȘtre sous pression (non montrĂ© sur le graphique) est restĂ© stable sur la pĂ©riode, Ă environ 2 (« Parfois ») sur une Ă©chelle de 1 (« Jamais ») Ă 4 (« Toujours »).
Nous avons utilisĂ© trois indicateurs pour mesurer approximativement la dimension physique de la qualitĂ© du travail. LâintensitĂ© dâexposition Ă des produits nocifs ou toxiques (cf. courbe vert foncĂ© « Produits toxiques » sur le graphique ci-dessus) a augmentĂ© de 7,3% entre 2008 et 2014, aprĂšs contrĂŽle de lâĂąge. Le sentiment dâexercer un travail physiquement exigeant (cf. courbe vert clair « Travail physique ») a augmentĂ© de 4,1%. Sur la mĂȘme pĂ©riode, pourtant, le nombre dâheures travaillĂ©es, nâa pas Ă©voluĂ© significativement (restĂ© stable Ă 38h par semaine). Le troisiĂšme indicateur, mesurant le travail de nuit (travail obligeant Ă ne pas dormir entre minuit et 5h du matin), non montrĂ© sur le graphique, a augmentĂ© de 5% Ă un rythme rĂ©gulier sur la pĂ©riode.
Les bac pro et BTS/DUT offrent des perspectives peu satisfaisantes. Les personnes diplĂŽmĂ©es dâun Bac pro (environ 5% de lâĂ©chantillon) sont les moins satisfaites de leur travail (7,17), suivies de peu par les titulaires dâun BTS/DUT (reprĂ©sentant les trois-quarts des Bac +2/3) pour lesquels la satisfaction est de 7,25. Les uns comme les autres netirent pas davantage de satisfaction dans lâemploi que les personnes nâayant pas de Bac (7,30).

Une meilleure Ă©ducation est associĂ©e Ă une meilleure satisfaction, mais un faible niveau dâĂ©ducation est plus pĂ©nalisant pour les hommes.
Dans lâensemble, nous nâobservons pas de diffĂ©rence significative de satisfaction dans lâemploi entre les hommes et les femmes (elle sâĂ©tablit en moyenne de 7,31 sur une Ă©chelle de 0 Ă 10, entre 2010 et 2014). Les personnes ayant atteint un haut niveau dâĂ©ducation (premier ou deuxiĂšme cycle de lâenseignement supĂ©rieur) ont gĂ©nĂ©ralement un emploi leur procurant plus de satisfaction que les personnes ayant validĂ© au mieux un diplĂŽme dâĂ©ducation secondaire (7,33 contre 7,29). NĂ©anmoins, ce rĂ©sultat masque une autre diffĂ©rence: les hommes ayant atteint le secondaire ou le supĂ©rieur sont plus satisfaits de leur emploi que les femmes de mĂȘme niveau dâĂ©ducation ; tandis quâĂ lâinverse, les hommes ayant le plus bas niveau dâĂ©ducation (niveau primaire ou prĂ©-primaire) sont moins satisfaits que les femmes de niveau dâĂ©ducation Ă©quivalent. Cet effet est stable quels que soient lâĂąge, le niveau de vie, lâoccupation du conjoint, le type de contrat de travail, le secteur dâactivitĂ© ou la catĂ©gorie socioprofessionnelle.

La fonction publique fournit des mĂ©tiers encore satisfaisants. En dehors des mĂ©tiers de direction dans le privĂ©, oĂč la moyenne de satisfaction dans lâemploi est particuliĂšrement haute (7,9 sur 10), la fonction publique prĂ©sente les mĂ©tiers les plus satisfaisants pour ses travailleurs, pour tous les niveaux de sa hiĂ©rarchie. Les fonctionnaires de catĂ©gorie A (nĂ©cessitant au moins un niveau de Licence) et de catĂ©gorie B (nĂ©cessitant au moins un niveau Bac) ont une satisfaction dâenviron 7,6, tandis que les fonctionnaires de catĂ©gorie C (nĂ©cessitant un niveau type BEP/CAP) ont une satisfaction de 7,4, au mĂȘme niveau que les ingĂ©nieurs/cadres (principalement Bac+5) des secteurs privĂ©s. Tous les autres mĂ©tiers sont en retrait, en particulier les manĆuvres et ouvriers spĂ©cialisĂ©s (7 sur 10).

En France, les travailleurs de la restauration et lâhĂŽtellerie en grande difficultĂ©. Les personnes travaillant dans ce secteur dâactivitĂ© sont les moins satisfaites de leur emploi, avec une satisfaction moyenne de 6,91 (sur une Ă©chelle de 0 Ă 10, entre 2010 et 2014). Les travailleurs du secteur industriel subissent aussi fortement, avec une satisfaction moyenne de 7,09. Dans les secteurs dâactivitĂ© fortement dĂ©pendants de la demande publique (administration publique, Ă©ducation, santĂ© et action sociale), la satisfaction des travailleurs est plus Ă©levĂ©e (environ 7,5), bien que ne devançant que de peu les autres secteurs (et indĂ©pendamment des Ă©volutions rĂ©centes dans ces secteurs).

Les femmes avec enfant(s) travaillent de plus en plus, et la conciliation travail-famille se dĂ©tĂ©riore. Depuis 2005, le nombre dâheures consacrĂ©es au travail augmente rĂ©guliĂšrement chez les femmes en couple avec enfant(s), atteignant la durĂ©e hebdomadaire effective de travail observĂ©e chez les femmes en couple sans enfant (35 heures par semaine, en incluant les heures supplĂ©mentaires, rĂ©munĂ©rĂ©es ou non, cf. graphique ci-dessous). Sur la mĂȘme pĂ©riode, les hommes en couple avec enfants nâont pas rĂ©duit leur temps de travail (42 heures effectives par semaine). Sur lâensemble de la population active occupĂ©e, la durĂ©e hebdomadaire effective de travail sur la pĂ©riode 2005-2014 est de 37,9 heures, soit le chiffre Ă©galement constatĂ© dans lâEnquĂȘte Emploi de lâINSEE sur la mĂȘme pĂ©riode.

Mais en parallĂšle Ă cet accroissement du nombre dâheures travaillĂ©es, on observe un affaissement de la qualitĂ© de lâĂ©quilibre famille-travail. Celui-ci, dĂ©jĂ faible chez les personnes en couples avec enfant(s) par rapport aux personnes en couples sans enfant, se dĂ©tĂ©riore entre 2008 et 2014, autant chez les hommes que chez les femmes (cf. graphique ci-dessous Ă droite), et quelque soit le niveau dâĂąge.
