Note de l’Observatoire du Bien-être n°2021-04 : Le Bien-être des Français – Mars 2021

Du déconfinement aux mesures de freinage en passant par les déconfinements, le bien-être des Français en temps de Covid-19 a connu des hauts et des bas. Au cours de l’année 2020, il a suivi des fluctuations fortes, tout en oscillant autour d’un niveau moyen assez stable, comme cela a été le cas aussi dans d’autres pays. En 2021, la situation change. La dernière vague de notre tableau de bord révèle une usure du moral des Français. Après avoir pesé sur le bien-être émotionnel, la dégradation atteint maintenant la satisfaction de vie des Français et le sentiment que leur vie a du sens. Les jeunes (dans un sens assez large) sont particulièrement touchés. Cette usure constitue une nouvelle contrainte d’acceptabilité des mesures de lutte contre l’épidémie.

Mathieu Perona, Observatoire du Bien-être du Cepremap, mathieu.perona@cepremap.org

Claudia Senik, Sorbonne-Université, PSE et Cepremap, senik@pse.ens.fr

Tableau de bord

Commençons par une comparaison du moral des Français en mars 2021, par rapport au même mois de l’année précédente. Dans les deux cas, l’enquête est passée juste avant un épisode de confinement. Si en mars 2020 les métriques de bien-être étaient encore peu affectées, elles ont connu depuis des hauts et des bas marqués. Et à l’orée du troisième confinement en France, une usure semble toucher les dimensions essentielles du bien-être.

Notre instantané (Tableau 1) révèle avant tout une dégradation des métriques clefs : la satisfaction de vie plonge au niveau le plus bas jamais mesuré par notre enquête (début 2016). Le sentiment de faire des choses qui ont du sens, qui avait jusqu’ici résisté, plonge lui aussi. Plutôt qu’une inquiétude liée à la santé ou au niveau de vie – ces indicateurs restent stables, notre enquête pointe le rôle central des relations avec les proches et des loisirs (temps libre), contraints par les fermetures et les restrictions.

Dimension   Moyenne de 0 à 10
Grandes dimensions   Mars 2020 Mars 2021
Satisfaction de vie 6,7 6,3
Sens de la vie 7,1 6,9
Bonheur 6,8 6,9
Anxiété et dépression* 2,2 2,2
Santé 6,9 6,9
Niveau de vie 6,6 6,6
Comparaison avec les autres Français 6,6 6,7
Année dernière 6,4 6,0
Perception de l’avenir      
Vie future (personnelle) 6,0 5,9
Prochaine génération France 4,0 4,1
Prochaine génération Europe 4,2 4,2
Proches et environnement      
Relations avec les proches 8,2 8,02
Gens sur qui compter 7,6 7,6
Sentiment de sécurité 7,3 7,3
Agression ressentie* 1,7 1,6
Travail et temps de vie      
Satisfaction au travail 7,1 7,2
Relations de travail 7,0 6,9
Équilibre des temps de vie 5,9 5,9
Temps libre 6,6 6,1

Quant à la perception de l’avenir, alors que se déploie en France la campagne de vaccination, les indicateurs prospectifs, tant à moyen qu’à long terme, ne s’améliorent pas, suggérant que le retour à la normale paraît encore loin.

Une année de résistance

Pour mettre en perspective la chute de nos principaux indicateurs de bien-être, il n’est sans doute pas inutile de prendre un peu de recul. La dernière livraison du World Happiness Report fait état d’une forte stabilité de la satisfaction de vie dans la plupart des sociétés aux premiers temps de la pandémie de Covid-19, si bien que le classement général des pays en matière de satisfaction de vie ne change guère par rapport aux deux années précédentes (Figure 1)1. La France, passe ainsi de 21ème à 20ème sur 95 pays, soit une position pratiquement stable.

Figure 1
Satisfaction dans la vie, moyenne 2017-2019 (rouge) et 2020 (bleu).

Cela ne signifie pas que l’épidémie ait peu affecté le bien-être. La question de la satisfaction de vie au cours de l’année écoulée donne une indication contraire : alors qu’elle attirait d’habitude de la part des Français une réponse remarquablement stable, comme si les événements conjoncturels passés s’effaçaient de leur mémoire, en juin 2020, la moyenne des réponses a brusquement bondi, reflétant une réévaluation de l’année 2019 à la lumière des nouveaux risques apparus en 2020. En mars 2021, cet indicateur a chuté lourdement, indiquant une perception rétrospectivement très négative de l’année 2020 (Figure 2).

Figure 2:
Réponses moyenne à la question « Et quand vous pensez à l’année dernière, comment vous situiez-vous sur une échelle de 0 à 10 ? »Dans ce graphique comme dans les suivants, les bandes grisées signalent les périodes de confinement en France métropolitaine.

En décembre 2020 (Note 2021-01), la satisfaction dans la vie était principalement affectée par la dégradation des relations sociales et avec les proches et du temps libre. L’évaluation des aspects économiques de la vie restait stable, si bien que pour la première fois, le score de satisfaction de vie des Français se dissociait de l’indice synthétique de confiance des ménages de l’INSEE, deux indicateurs mesurés auprès du même échantillon de personnes par l’enquête CAMME. En mars 2021, on constate que la dégradation des premiers indicateurs se poursuit, tandis que la résistance des seconds s’érode : le pessimisme s’étend à la sphère économique et les deux indicateurs se rejoignent (Figure 3).

Figure 3
Pour ce graphique, nous représentons pour chaque série l’écart à sa moyenne, normalisé par l’écart-type sur la période.

Des signes d’usure

Au cours de l’année 2020, moins de personnes avaient déclaré s’être senties heureuses. Au premier trimestre 2021 (et rappelons-le, avant le troisième confinement), ces signes s’étendent à des mesures plus cognitives. La satisfaction de vie chute à son plus bas niveau depuis le début de notre enquête (Figure 4).

Figure 4

En 2020, les personnes les plus insatisfaites- celles qui déclarent un niveau de satisfaction inférieur ou égal à 5 sur l’échelle de 0 à 10, représentaient de manière assez stable un gros quart de l’échantillon. Cette proportion avait un peu baissé avec le déconfinement et l’été ; elle dépasse en mars le tiers de l’échantillon.

Mise en place au début du premier confinement, l’enquête CoviPrev de Santé Publique France permet de confirmer nos observations et de dater plus finement les inflexions (Figure 5). Après un plateau haut suite au premier déconfinement, la satisfaction commence à chuter à l’automne, à l’aube du second confinement, puis à nouveau début 2021. La chute de la satisfaction est donc bien visible dans ces deux enquêtes.

Fait nouveau, le sentiment que ce que l’on fait sans sa vie a du sens est également affecté. Comme l’évaluation rétrospective précédemment évoquée, il s’agissait jusqu’ici d’une dimension du bien-être assez peu sensible à la conjoncture. Or, elle atteint en mars 2021 un point bas (Figure 5).

Figure 5:
Réponses moyenne à la question sur la satisfaction de vie dans Camme et dans CoviPrev (Santé Publique France)

Cette baisse est commune à toutes les classes d’âge (Figure 6). Elle prend toutefois une signification particulière pour les plus de 65 ans. Là où les générations plus jeunes conservent leur noyau familial et leur travail comme point d’ancrage, les restrictions sanitaires ont probablement plus pesé sur les seniors qui trouvaient leur épanouissement dans des loisirs, des activités bénévoles ou l’accueil régulier de leurs petits-enfants.

Figure 6

Les jeunes décrochent

On sait que les jeunes sont particulièrement touchés par les restrictions sanitaires. En raison de la construction de l’échantillon, les jeunes adultes sont peu nombreux dans notre enquête. Pour obtenir des résultats solides, nous regroupons les personnes de 17 à 45 ans. Le bien-être de ces dernières se détériore particulièrement au début de l’année 2021 (vague de mars). Leur satisfaction de vie baisse nettement plus que celle des générations plus âgées (celle des 45-65 ans, par exemple, est au même niveau qu’en décembre 2020). À la différence des plus âgés, leur satisfaction à l’égard de leur niveau de vie s’est nettement repliée. Les moins de 45 ans expriment enfin une insatisfaction croissante à l’égard de leurs relations de travail, et surtout de leur temps libre (Figure 7).

Figure 7

L’enquête CoviPrev permet, ici encore, d’approfondir le diagnostic. Utilisant les questions de l’échelle médicale HAD (Hospitality Anxiety and Depression scale) pour mesurer l’anxiété et la dépression, elle met en évidence une augmentation significative de ces symptômes chez les jeunes, dont le taux de dépression se détache des autres à l’automne 2021, en touchant près d’une personne sur trois (Figure 8).

Figure 8

Chez les plus de 65 ans également, si l’ampleur du risque est moindre dans l’absolu, son augmentation est sensible, avec un triplement par rapport au niveau de cet été.

Enfin, la même enquête CoviPrev confirme sur la durée ce que nous avions déjà observé au cours du premier confinement : les jeunes ressentent plus durement le coût des mesures de (re-)confinement (Figure 9).

Figure 9

Au total, la conséquence des mesures de restriction sur le mal-être et la santé mentale, en particulier des plus jeunes, constitue donc une nouvelle contrainte qui pèse sur la gestion de la crise sanitaire.

  1. Le World Happiness Report utilise les données du Gallup World Poll. Les données ont donc été collectées à des périodes différentes de l’année.